[CRITIQUE] : Juré N°2
Réalisateur : Clint Eastwood
Avec : Nicholas Hoult, Toni Collette, Chris Messina, J.K. Simmons, Kiefer Sutherland, Zoey Deutch, Leslie Bibb,...
Distributeur : Warner Bros. France
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h54min
Synopsis :
Alors qu'un homme se retrouve juré d'un procès pour meurtre, il découvre qu'il est à l'origine de cet acte criminel. Il se retrouve face à un dilemme moral entre se protéger ou se livrer.
Critique :
Si #JuréN2 est son ultime effort, Eastwood tire sa révérence avec les honneurs, en croquant un complexe et prenant drame procédural Grisham-esque en diable, où il réduit son cinéma à l'essentiel : une mise en scène épurée, un scénario solide et une direction d'acteurs grandiose. pic.twitter.com/eCYAXKHF1c
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 30, 2024
Tout grand cinéaste ne peut pas dégainer un chef-d'oeuvre à chaque nouvelle réalisation, tant ce serait presque une hérésie de tenir une perfection artistique sur plusieurs décennies, mais surtout parce que leur appréciation est, tout simplement, une question de sensibilité et de subjectivité chez chaque spectateur.
C'est une évidence qui pourtant, se doit d'être répétée ad vitam aeternam tant il incomberait presque à chaque faiseur de rêve, de ne pas décevoir quiconque - monumentale connerie.
Passé ce petit aparté, il est donc sain de revenir avec lucidité sur les derniers efforts de l'immense Clint Eastwood, de loin l'un des meilleurs faiseurs de rêve du cinéma ricain (tellement qu'il n'a strictement plus rien à prouver à personne), simplement parce qu'ils ne s'assoient, supposément encore une fois, jamais vraiment à la même table que les canons de sa propre filmographie.
Comme s'il ne pouvait pas se contenter de conter d'histoires intimes, comme s'il ne pouvait pas cornaquer de petits films pour lui et lui seul, comme s'il ne pouvait pas faire ce dont il avait envie, et nous dire ce qu'il a envie de nous dire, privilège qu'un tel cinéaste ne devrait pas avoir à réclamer ni justifier.
Vendu comme son dernier long-métrage, pas tant d'après ses propres dires que par une Warner Bros qui n'a pas pour autant célébrer plus que de raison la nouvelle, en lui servant une grille de salles absolument ridicule - 50 seulement, là où Joker : Folie à Deux plafonnait à 4200 sur son premier week-end - sur son propre territoire (même s'il était question, pendant un temps, d'une sortie directement sur la plateforme Max), Jurée N°2, délesté de tout potentiel adieu déjà opéré par le magnifique (oui) et joliment méta Cry Macho, se fait un drame procédural purement Grisham-esque (avec, évidemment, une révérence à Douze Hommes en colère), certes pas toujours heureux dans son écriture à la fois familière et prévisible - sauf peut-être dans une conclusion qui ne sait pas sur quel pied swinguer -, mais qui permet au cinéaste de s'offrir un dernier tour de piste avec des thématiques qui lui son cher : les notions de justice - et ses limites -, de culpabilité, les failles d'une institution judiciaire américaine fragile ou encore la complexité et l'ambivalence de la morale humaine.
Claire Folger/Warner Bros. |
Deux thèmes que le tandem Eastwood/Jonathan A. Abrams au scénario, noue d'une manière joliment habile en insinuant assez justement que si la balance de la justice est un peu trop alourdie pour faire son office, c'est justement par la faute d'une humanité n'ayant de cesse de la biaiser, autant par le déni et/où la difficulté d'affronter ses actes, que par la mise en avant de ses intérêts particuliers et autres ambitions personnelles.
Alors certes, si son intrigue impose à son spectateur une certaine suspension consentie de son incrédulité (parce que la coïncidence y a une part non-négligeable), impossible de ne pas se sentir totalement impliqué dans les dilemmes moraux désespérés de son personnage titre, Justin (Nicholas Hoult, formidable, à qui répond solidement sa " mère " de About a boy, la toujours exceptionnelle Toni Collette), futur père de famille originaire de Géorgie, dont l'existence est en passe de littéralement dérailler lorsqu'il entre dans le box des jurés, pour un féminicide présumé : il réalise qu'il pourrait bien être responsable de la mort de la victime, sauf que la personne qui fait face à la justice n'est nulle autre que son petit ami, un homme colérique au casier judiciaire fournit, un suspect idéal qui se disputait le soir de la disparition de la jeune femme, dans le bar même où Justin, angoissé, affrontait déjà ses propres démons.
Un « homme bon » comme on se répète à nous l'asséner, se débattant à la fois avec les troubles de son passé, la véritable situation de crise du présent et son angoisse croissante face à l'avenir (celui d'une femme qu'il laisserait seul avec son enfant à naître, en admettant que sa grossesse à risques aille à terme), le bonhomme se demande si sa vie mérite plus d'être sauvée que celle d'un accusé que la destinée à catapulté à sa place (au point même de chercher à atténuer sa culpabilité en dissuadant les autres jurés de rendre un verdict de culpabilité); si sa vie mérite de briser à nouveau la vie de quelqu'un.
Et ce sont ses tourments, masqués aux yeux de ceux qui l'entourent mais palpables pour le spectateur, cette plongée sans réserve dans les abîmes des sentiments contradictoires d'un homme que les plaidoiries ne font que le renvoyer à sa propre culpabilité et à ses propres mensonges, qui se font le moteur d'une narration redoutable efficace même si pas exempt que quelques panouilles autant du côté de l'intrigue mère que de la profondeur de ses personnages (celui de l'accusé, à peine effleuré, ce qui nuit un brin à la sécheresse folle du dénouement final, où encore celui totalement accessoire de Kiefer Sutherland).
Un solide thriller procédural en somme, qui se veut aussi captivant que stimulant, emballé avec fluidité et soin par un Eastwood toujours aussi alerte, et encore plus lorsqu'il doit capturer toutes les nuances de la dualité d'une figure suppliciée, prêt à tout pour garder intact son secret, son double crime - la mort et le silence.
Courtesy of Warner Bros. |
À l'approche du crépuscule, Clint Eastwood est en paix avec lui-même et a réduit son cinéma à l'essentiel, une mise en scène épurée qui, lentement mais sûrement, joue la carte de l'usure comme pour mieux pressuriser ses protagonistes, pour mieux craqueler leurs masques de façades.
La preuve, si besoin était, qu'un cinéaste même avec neuf décennies au compteur, est toujours capable de divertir et de pousser à la réflexion son auditoire, sans pour autant renier une once de la puissance de son œuvre.
Vaya con dios, l'homme sans nom - mais avec une filmographie incroyable -, on ne t'oubliera jamais, mais on te regrettera pour toujours.
Jonathan Chevrier