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[FESTIVAL] : BIFFF 2024 - Carnets de bord


Le BIFFF s’est tenu du 9 au 21 avril au palais 10 de Brussels Expo, énorme complexe de bâtiments Art Déco plutôt austères et assez excentrés hérités de l’exposition universelle de 1935. Rendez-vous des cinéphiles férus de bis depuis maintenant plus de quarante ans, le festival est connu pour son ambiance décomplexée et animée. L’occasion pour deux des rédacteurs de Fucking Cinephiles, une néophyte et un habitué, d’y participer.

  

Mardi 9 avril

Éléonore

J’arrive le 9 avril à la gare de Bruxelles – Midi. Il faut seulement 1h25 pour relier Paris à Bruxelles. J’ai beau avoir visité la ville à plusieurs reprises, à chaque fois, la rapidité du Thalys (appelé Eurostar à présent) me surprend. Je rejoins Jessica du blog Bon Chic Bon Genre, également cofondatrice de la S’Horrorité qui sera mon acolyte pour le voyage. Nous nous installons dans notre location de la semaine, un petit appartement dans le quartier assez vivant et peu touristique de Bockstael. Nous profitons de l’après-midi pour nous promener dans le centre-ville, et surtout manger notre première gaufre et boire notre première bière, une jupiler, souvenir doux amer de mes quelques mois passés à Liège en tant qu’étudiante.

Ayant déjà vu le film d’ouverture (Civil War d’Alex Garland) et Jessica ne souhaitant pas y participer, nous avons décidé de rester à l’appartement pour regarder le chef d’œuvre Nowhere sur Netflix, film subtil sur la condition des migrants (non). Cette énorme blague espagnole eut été un choix plus judicieux pour accompagner les hurlements de la salle du BIFFF. Civil War, qu’on l’apprécie ou non, s’éloigne un peu trop du délire bis du festival pour être pleinement apprécié dans une salle en délire. Je n’y étais pas mais dès cette toute première séance, on m’a rapporté des propos limites, des blagues pédophiles. Ce ne sera que le début de l’expérience BIFFF.

Civil War - Copyright A24 / DCM


Mercredi 10 avril

Éléonore

La météo nous étant favorable, nous décidons, Jessica et moi, de rejoindre le festival à pied en passant par le très joli Parc de Laeken. 16 000 pas au podomètre plus loin, nous nous retrouvons face à l’immense bâtisse du palais des expositions, imposante et éloignée de toute vie urbaine. Un vrai décor de dystopie.

Après avoir récupéré nos accréditations et retrouvé d’autres copains, nous sommes allés à notre toute première séance : Your Lucky Day de Dan Brown dans la grande salle. Un brave thriller en quasi huis clos pas bien méchant mais assez prenant. Un horrible homme privilégié et raciste gagne à la loterie (156 millions de dollars) dans une supérette de quartier. La nouvelle ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Le jeune et maladroit dealer Sterling décide de récupérer le ticket en braquant l’individu. L’affaire se passe mal. Deux hommes dont un policier finissent à terre. Toute la question du film : qui va récupérer le fameux ticket et à quel prix ? Vous l’aurez compris, pas un chef d’œuvre mais juste ce qu’il faut d’action, de whatthefuckisme et de critique anti états-unienne pour me plaire. D’autant qu’il est l’un des derniers films d’Angus Cloud, jeune acteur prometteur découvert dans la série Euphoria parti trop tôt.

Your Lucky Day - Courtesy of Well Go USA

16h30, direction la deuxième salle bien plus petite pour le premier film de la réalisatrice et photographe Kourtney Roy, Kryptic. Quête identitaire et féministe qui se veut expérimentale mais n’arrive jamais à assumer pleinement son étrangeté. On sent l’influence de Lynch pour la dualité de son personnage et celle de Mandico pour l’érotisme. La salle n’a pas été réceptive à cette proposition particulière. Plusieurs hommes se sont permis d’hurler une myriade de propos sexistes. Si j’avais trouvé l’ambiance assez tolérable dans l’immense salle 1 (1300 places) dans la salle 2 qui est bien plus petite, mon expérience personnelle a été très difficile. J’ai donc décidé de modifier mes séances de la semaine pour ne plus faire que des films passant dans la grande salle. J’étais un peu déçue de rater les courts métrages, mais tant pis, je ne me voyais pas supporter une nouvelle séance dans un espace plus restreint.

Nous avons terminé la journée par Last Straw d’​​Alan Scott Neal. Nancy, manager dans le diner de son père, vit un quotidien pas folichon. Elle n’a aucune autorité sur ses employés et doit faire respecter l’ordre dans le restaurant lorsque des petites frappes viennent faire le boxon. Une nuit, alors qu’elle est seule au diner, un groupe d’adolescents cherchent à lui faire peur… ou peut-être même un peu plus. Last Straw n’est pas bien original mais a la bonne idée d’être prenant et d’avoir une actrice principale, Jessica Belkin, assez pêchue.

Last Straw - Copyright Blue Finch Films



Jeudi 11 avril

Éléonore

Deuxième véritable jour de festival. Nous profitons de l’après-midi pour faire un tour rapide des expositions : celle des affiches des quarante et une éditions précédentes mais aussi un ensemble d’œuvres sur le thème « trolls et bestioles » prêtés par le musée d’Art fantastique de Bruxelles.

Nous nous mettons ensuite en quête de chercher la salle de presse. Après avoir fait trois fois le tour de la mezzanine, nous finissons par trouver le coin presse. Des bénévoles nous accueillent avec le sourire, du café et des petits bretzel au chocolat à grignoter. Je m’installe face à un des ordinateurs mis à disposition. Plusieurs films du festival sont disponibles au visionnage. Nous décidons de regarder Steppenwolf, quatorzième long-métrage du Kazakh Adilkhan Yerzhanov, néowestern noir et absurde où deux personnages que tout oppose, une mère catatonique et un detective nihiliste et opportuniste, partent à la recherche du fils de cette première, kidnappé par un mafieux. Un road trip meurtrier à la fin énigmatique. Le style si particulier du réalisateur est toujours aussi plaisant, même si j’ai regretté qu’il soit un peu moins politique que ces précédents.

Steppenwolf - Courtesy of Blue Finch Film Releasing

Direction Krazy House de Steffen Haars et Flip van der Kuil, co-production americano néerlandaise, comédie potache avec Nick Frost et Alicia Silverstone qui s’en donnent à coeur joie. Krazy House est une parodie de sitcoms des années 90 bien barrée. Une famille catho semble vivre dans une harmonie parfaite et sirupeuse. Un jour, le mari laisse entrer des artisans russes pour réparer une simple fuite dans la cuisine. C’est le début de la descente aux enfers. Est-ce que la foi inébranlable du mari va résister à cette épreuve ? Krazy House fonctionne plutôt bien dans l’humour absurde et blasphématoire. Le ton est juste un peu lourd pour mon goût mais il y a un public pour ce type de film,et clairement, il se trouve au BIFFF. J’ai simplement regretté que la blague finale franchement bas du front vienne ruiner l’ensemble.

Nous enchaînons avec l’assez oubliable mais plutôt appréciable Devils de Kim Jae-Hoon, policier coréen au pitch plutôt fifou. Un policier traque un tueur en série qu’il est méchant, qu’il est sadique. Les deux disparaissent quelques semaines. Lorsqu’on les retrouve inconscients dans une voiture, tout laisse penser que leur corps ont été échangés… ou peut-être bien que non… ou peut-être bien que oui… Vous l’aurez deviné, Devils ne brille pas par la subtilité de son scénario. Mais à partir du moment où il assume complètement sa stupidité, il devient vraiment plaisant à regarder. Dommage que certaines scènes assez sympathiques à base de peinture fluo et de démembrements au début du film n’aient pas été plus exploitées par la suite.

Devils - Copyright Fantasia Film Festival


Liam

Habitué au BIFFF depuis des années, j’ai également décidé de passer le film d’ouverture de cette édition, le remarquable Civil War d’Alex Garland. L’introspection convenant mieux au fond thématique du réalisateur britannique et cherchant à entamer les hostilités avec une séance plus à propos avec l’ambiance du festival, mon édition s’entame avec Krazy House. Home invasion jouant la carte de la sitcom et de la rupture constante de ton, le long-métrage de Steffen Haars et Flip Van der Kuil s’avère assez amusant dans son propos. En détricotant la structure familiale américaine, il s’y crée un ton étrange, renforcé par son imagerie faussement bienveillante de début. On peut alors inscrire le titre dans la lignée de créations numériques comme Too many cooks ou encore This house has people in it, jouant sur une imagerie assez commune et télévisuelle pour mieux insérer un ton acide. Si l’on peut regretter la conclusion qui appuie trop un côté outrancier beaucoup mieux contrôlé durant le reste du film, Krazy House dispose de nombreuses qualités pour s’apprécier, en particulier l’interprétation d’un Nick Frost, toujours sur le fil avant de basculer totalement avec le long-métrage.


Vendredi 12 avril

Éléonore

Nous commençons cette journée assez tôt dans l’après-midi avec à 14 heures, la projection de The angry black girl and her monster, premier film du réalisateur Bomani J. Story. Le film est une sorte de relecture moderne du Frankenstein de Mary Shelley où le scientifique fou serait une jeune adolescente noire brillante qui n’a pas froid aux yeux et la créature, son frère tué quelques semaines plus tôt. Si le film ne brille vraiment pas par sa mise en scène qui est, mis à part quelques images impactantes, plus utilitaire qu’autre chose, il trouve son intérêt dans son concept et sa métaphore qui évoque plusieurs aspects de la difficulté d’être noir aux États-Unis.

Le prochain film sera l’un des pires de la sélection. Canceled d’Oskar Tellender est un film de maison hantée suédois. Un groupe de Youtubers chasseurs de fantômes en perte de visibilité s’installent dans un vieux manoir pour y tourner une nouvelle vidéo. Tout ne va pas se passer comme prévu. Canceled est un film paresseux et sans intérêt qui ne semble pas savoir quoi raconter.

The angry black girl and her monster - Courtesy of SXSW

Heureusement la journée s’est bien mieux terminée. L’un des films événement de cette édition du BIFFF est Abigail de Radio Silence, réalisé par Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett. La séance, bien complète, a été précédée par la venue sur scène du compositeur Fabio Frizzi (L’emmurée vivante, L’enfer des zombies,…) Ce dernier a été fait chevalier de l’ordre du corbeau. Abigail, fille d’un riche homme d’affaires, est kidnappée par un petit groupe de bras cassés qui espère récupérer ainsi une belle rançon. Ils s’installent pour la nuit dans un immense manoir. Surprise, surprise, la petite fille est en réalité un vampire qui a sacrément soif. Après deux opus Scream un peu tiédasses, c’est un véritable plaisir de retrouver le duo de réalisateur aux manettes d’un nouveau projet. Abigail est la digne petite soeur de Wedding Nightmare : même type de décors, même type de propos sur la succession et l’héritage et surtout cette même énergie communicative dans la mise en scène.

Énergisés par Abigail, nous décidons de partir à la recherche du second bar du festival, soit disant caché. La recherche fut de courte durée car le bar n’était effectivement pas indiqué mais pas vraiment caché non plus. Ceci-dit, le lieux vaut plutôt le détour : des flippers à l’effigie de certains monuments de la pop culture, une continuation de l’exposition et surtout des canapés où s’affaler pour prendre un verre.

Abigail - Copyright Universal Pictures México


Liam

Reprise des événements avec The angry black girl and her monster, où une adolescente noire tente de ramener à la vie le corps de son frère, décédé dans un conflit de gangs. Les sentiments sont plutôt ambivalents par rapport à ce titre au vu d’une gestion visuelle jamais totalement à la hauteur de ses intentions mis à part quelques images assez réussies. Cela reste dommageable au vu de son fond particulièrement fort, la modernisation du mythe de Frankenstein permettant de mieux illustrer sa tragédie quotidienne. Le côté social y trouve une résonnance qui désempare, son côté funèbre envahissant tout le film sans jamais réellement nous lâcher. Sans doute qu’un budget un poil plus conséquent et qu’une mise en scène plus maîtrisée auraient rendu le résultat final particulièrement mémorable. C’est d’ailleurs cette maîtrise que l’on retrouve comme point fort principal d’Abigail, diffusé en première internationale. Les déçus des deux derniers volets de la saga Scream devraient en avoir pour leur argent tant on retrouve la verve de Radio Silence avec ce film lorgnant bien plus du côté de Wedding Nightmare, les explosions sanglantes appuyant ce rapprochement. Le film prend ainsi le temps de poser ses personnages ainsi que son décor pour mieux s’orienter vers un divertissement gore assez généreux et ne tombant pas trop dans un méta avilissant dans sa gestion vampirique. L’envie de développer un mystère dans sa première partie alors même que l’ancrage du film est rapidement éventé peut paraître incongrue mais cela n’est rien face au plaisir de découvrir pareil long-métrage, encore plus dans l’ambiance chaleureuse et électrique du BIFFF.


Samedi 13 avril

Éléonore

Nos séances ne commençant qu’à 19h, nous avons décidé de profiter de la ville de Bruxelles : balade sur la grand place et ses environs, salutations au manneken pis – malheureusement pas habillé ce jour-ci alors qu’il revêtira un très beau costume de Dracula le lendemain – et surtout un très bon cornet de frites. Une fois repues, nous nous rendons au 58 rooftop et nous mettons ensuite en quête d’un bar à bière car celles du festival sont quand même plutôt décevantes. Notre choix se porte sur le Bier Central, adresse peut-être un peu touristique mais qui a la bonne idée d’avoir plus de deux cents références de bières. Direction le palais des expositions pour la séance de Love lies bleeding peut-être la plus attendue du festival car le film n’avait pas encore de sortie en France de prévue.

Love Lies Bleeding - Copyright Metropolitan FilmExport

Second film de la réalisatrice Rose Glass dont le premier Saint Maud m’avait vraiment touché, Love lies bleeding est un film noir qui allie romance lesbienne, culturisme et délire mafieux. Au casting, Kristen Stewart, Katy O’Brian, Jena Malone, Dave Franco et Ed Harris. La séance ne s’est malheureusement pas passée dans les meilleures conditions possibles. En plus du public habituel du BIFFF qui est assez âgé, beauf et blanc – n’ayons pas peur des termes – des groupes de jeunes militants LGBTQIA+ sont venus, parfois d’assez loin, pour pouvoir profiter de cette projection exceptionnelle d’un film qui risquait fortement de ne pas sortir en salle.

Avec une configuration de public pareil, difficile de ne pas envisager le pire… Entre les hurlements dans la salle qui ne peuvent que choquer un public non averti et les propos ouvertement homophobes dits à haute voix, les groupes composée à majorité de lesbiennes n’ont pas supporté et, à raison, ont tenté de faire stopper l’homophobie ambiante puis sont tout simplement sorties de la salle. Elles ont été accueillies par des bénévoles qui ont été incapables de comprendre et gérer une telle situation. Les jeunes femmes ont commencé à manifester pour faire arrêter la projection. Sans succès. De peur que la situation ne dégénère, le gardiennage du lieu a appelé la police. (Pour information, je ne fais que paraphraser des témoignages que vous pourrez retrouver dans des articles de presse ou sur twitter, ainsi que sur le droit de réponse du BIFFF. Pour ma part, je suis sortie avant la fin du film, de peur que la situation ne dégénère ne comprenant pas dans les détails ce qu’il se passait).

Love Lies Bleeding - Copyright Metropolitan FilmExport

Nous terminons la journée, encore sous le choc, avec le film Baghead d'Alberto Corredor. La séance a commencée très difficilement, une partie du public étant encore échauffée par l’incident. L’animateur du festival a tenté d’expliquer et prendre en compte ce qu’il s’était passé mais de manière bien trop succincte et infantilisante pour être suffisante. Les premières minutes du film ont été difficiles. Les éléments les plus perturbateurs ont été particulièrement bruyants, rendant le début du film presque irregardable. Je me suis un peu accroché et à raison car Baghead est plutôt sympathique. Une jeune américaine pas bien riche hérite de son père d’un pub à Berlin. Dans un premier temps, elle pense le vendre pour des raisons financières puis découvre un des secrets du lieu. Une sorcière vit dans les murs de la cave. Cette dernière peut prendre les traits d’un défunt pendant deux minutes et communiquer avec le monde des vivants. Iris se rend compte que des gens sont prêts à payer très cher pour discuter avec un proche mort. Elle décide de garder le pub mais saura-t-elle garder le contrôle sur la situation ? Baghead est loin d’être un film parfait mais il propose quelques jolies séquences effrayantes et un concept pas trop déjà vu.


Liam

Que dire de Baghead, proposition résolument intéressante mais manquant d’un je-ne-sais-quoi pour réellement fonctionner ? Le point de départ est particulièrement intriguant, la résolution s’avère des plus réussies mais il y a une forme de ventre mou dans sa moitié, comme si sa façon de s’accrocher à ses deuils ne pouvait totalement s’accomplir, faute de personnages bien brossés. Il n’empêche qu’il y a quelque chose qui nous donne envie de replonger dans les intentions d’un long-métrage assez efficace dans sa gestion narrative, à défaut d’être totalement abouti dans sa globalité. Côté générosité, il faudra se tourner vers Tim Travers and the time traveler’s paradox, film de science-fiction assez fauché mais doté d’une grande envie de jouer et de démonter son rapport au temps et à ses doubles. Stimson Snead va loin, très loin même, pour rendre son résultat aussi ludique que drôle, tout en dessinant peu à peu une ligne émotionnelle assez touchante. En démultipliant son personnage titre de manière foisonnante, il en sort d’autant plus une détresse et une solitude, frappant de manière surprenante le public alors même que le long-métrage exploite son concept jusqu’au bout de ses gags. C’est une réelle bonne surprise, aussi modeste qu’elle en est sympathique.

Baghead - Copyright Reiner Bajo

C’est également comme cela qu’on pourrait décrire Penalty Loop, slowburner où un homme endeuillé se retrouve dans une boucle, à tuer encore et encore le meurtrier de sa copine. Shinji Araki prend son temps pour installer un aspect quotidien à son drame, ce qui a pu sortir quelques personnes de l’audience par sa montée graduelle assez lente mais cohérente avec le propos du film. Ainsi, les mises à mort s’enchaînent avec une certaine difficulté tout en n’annulant jamais la mélancolie du ton, l’absurdité de la vengeance et de l’auto-justice ne sonnant finalement pas comme un moyen de reconstruction mais une tâche à accomplir, sans plaisir ni satisfaction. Présenté en première mondiale, ce long-métrage japonais aurait mérité d’être plus abordé dans les titres préférés du festival, souffrant doublement de sa diffusion au même moment que Love lies bleeding, sur lequel ma collègue est déjà bien revenue.


Dimanche 14 avril

Éléonore

Le choix de revenir au BIFFF n’a pas été évident à prendre et la nuit a été difficile. Il s’agissait de notre dernière journée en groupe, la plupart des français partant le lendemain, j’ai donc décidé d’essayer d’en profiter tout de même malgré la confusion autour des événements de la veille. Nous assistons à la projection d’Unspoken de Daming Chen, film policier chinois un peu mièvre par instant mais qui propose tout de même un propos pas inintéressant sur le racisme anti-asiatique en Amérique. Xu, ancien policier, apprend la mort de sa fille sourde muette, étudiante au Canada. Il fait le voyage pour mener l’enquête lui-même.

Nous avons enchaîné avec Le mangeur d’âme, dernière réalisation du duo Julien Maury & Alexandre Bustillo, qui était aussi une des grosses attentes du festival. La commandante Élisabeth Guardiano est chargée d’aller enquêter sur un double meurtre d’une rare brutalité dans une petite commune des Vosges. Sur place, elle rencontre le capitaine de gendarmerie Franck de Rolan qui fait face à une série de disparitions d’enfants. Impuissants face à un village hostile, ils vont être contraints d’unir leurs forces pour découvrir la vérité, une vérité terrifiante empreinte de légendes occultes. Si j’avais énormément apprécié À l’intérieur, été plutôt divertie par The Deep House, Le Mangeur d’âme m’a déçue. La base du film semble plutôt prenante : un brave polar noir avec une histoire de folklore fascinante mais le duo passe à côté des atouts de son histoire. La créature est à peine exploitée, les dialogues sont stupides et aucun des acteurs ne relève le niveau. On passe plus de temps à imaginer ce que le film aurait pu être plutôt qu’à apprécier ce qu’on a sous les yeux.

Le mangeur d’âme - Copyright Star Invest Films France

Heureusement pour nous, le tout dernier film de notre festival fut Your Monster. Adorable comédie romantique, mêlant numéros musicaux, affirmation de soi et grosse bête poilue et charismatique. Laura est une jeune actrice un peu trop gentille pour son bien. Un jour elle apprend qu’elle a un cancer. Elle le surmonte… seule, étant donné que son compagnon décide de rompre avec elle. En pleine rémission et de retour chez sa mère, elle va faire une rencontre détonnante : le monstre de son placard qui est bien plus séduisant que dans ses souvenirs. Cette étrange rencontre va la mettre face à ses peurs et la contraindre à sortir de sa coquille. Une belle réussite qui donne le sourire où Mélissa Berrera semble enfin s’épanouir.


Liam

Le mangeur d’âmes était plutôt attendu au vu de la personnalité marquée de ses metteurs en scène, Alexandre Bustillo et Julien Maury. C’est d’ailleurs la violence inhérente à leur filmographie qui ressort des meilleurs instants du film, les corps marqués par une autodestruction se liant aux apparences d’une société à priori sans histoire. Le récit se marque ainsi par diverses oppositions qui nourrissent le fond, à défaut d’aboutir à quelque chose de réellement surprenant ou marquant dans son trajet narratif. 
Gueules noires s’avère en revanche bien plus mémorable tout en étant peut-être le meilleur film de Mathieu Turi. En balançant de la mythologie Lovecraftienne au sein d’une mine, le réalisateur de « Méandre » parvient à charrier tout le fond social de son contexte historique en le mêlant à une forme étouffante, les tunnels engloutissant peu à peu les personnages dans une inconnue sanglante. Quand certaines personnes parlent de l’absence d’ambition du cinéma français, on aurait très envie de leur recommander ce long-métrage au vu de l’envie du metteur en scène de concilier différents univers avec un équilibre particulièrement bien géré, à l’avenant d’une filmographie qui brillait déjà par son inventivité. 

Gueules Noires - Copyright Florent Grosnom

Ce qui résonne au contraire d’Ultimate Chabite, c’est le jusqu’au boutisme de son apocalypse par un jeu puéril, et ce en n’hésitant pas à virer vers le post-apo. Le manque de moyens s’avère rapidement pallié par l’envie d’aller au fond de ses intentions, tout en conservant sur le côté son traitement d’une immaturité masculine qui vire à l’annihilation totale de la société. Par ce point, on trouve un point de recherche thématique qui renforce le plaisir d’un film foutraque et assumé mais jamais cynique, rappelant au contraire le temps de certaines créations Internet qui compensaient le manque d’argent avec une envie permanente de faire plaisir à son public sans le prendre pour un demeuré.


Lundi 15 avril

Liam

Jean-Luc Herboulot ayant déjà présenté il y a deux ans le surprenant et particulièrement réussi Saloum, une certaine attente s’était installée pour son nouveau long-métrage, Interstate (ou Jour de colère en français). Les sentiments en sortie de salle étaient malheureusement plutôt divisés, l’intention d’un dialogue entre un tueur repenti et un meurtrier possédé ayant de l’ambition mais tombant régulièrement avec maladresse dans de l’inabouti. La direction d’acteurs s’avère ainsi particulièrement divisée, les longs plans en voiture voulant créer une atmosphère de fuite constante finissent par tourner en rond et la base narrative se perd, rendant le tout plutôt confus dans son résultat final. On pourrait arguer qu’il en sort une sensation de rêve fiévreux mais l’absence de maîtrise sur son sujet nous a laissé particulièrement déçu.

Kidnapping inc - Courtesy of Sundance Institute

Heureusement, Kidnapping inc a pris la relève et l’on peut déjà annoncer que c’est une petite bombe de film noir. Suivant les pérégrinations de deux kidnappeurs maladroits, le film de Bruno Mourral est aussi généreux que sur le fil de son ton, entre humour à la lisière du grotesque et violence sèche. Les tonalités se confrontent autant que les personnages pour un long-métrage réussi en tous points, aboutissement d’une production chaotique s’étirant sur des années. L’éclat de Kidnapping inc n’en est que plus brillant encore et on croise les doigts pour une distribution à plus grande échelle pour cette petite pépite.


Mardi 16 avril

Liam

On connaît le goût du BIFFF pour les blockbusters asiatiques n’ayant malheureusement pas droit à une sortie salle à la hauteur du divertissement proposé, ce qui poussait à une certaine attente avec The moon, où un astronaute se retrouve isolé lors d’une mission vers la lune. Malheureusement, si l’on ne peut nier l’envie de spectacle du film (en particulier une fois que le récit prend place sur son décor titre), un sentiment de trop peu nous envahit, sans doute à cause d’un pathos pas très bien géré. Le côté médiatique et administratif du récit avait de l’ambition mais ne parvient pas à s’accomplir suffisamment pour que le tout sente le fonctionnel. Petite déception donc pour ce titre, qui nous pousse plutôt à replonger dans Seul sur Mars, tout en étant évacuée par la surprise que constitue Exhuma. D’une durée de près de 2h20, le film de Jang Jae-hyun réussit à concilier ambition fantastique avec une écriture maligne, liant différents types d’horreur à l’histoire du pays. Il en ressort des séquences assez réussies, un rythme contrôlé qui n’étouffe pas la caractérisation des personnages et un divertissement constant, de ceux que l’on apprécie découvrir dans le cadre du festival.


Mercredi 17 avril


Liam

Dans la catégorie des trouvailles autres, Things will be different s’installe plutôt bien, à l’instar de son principe de départ. Alors qu’un frère et une sœur se cachent dans une maison située hors du temps, ils se retrouvent coincés dans un rapport de temporalité qui va rapidement les dépasser. La promesse de mindfuck intellectuel n’est pas totalement accomplie mais il se dégage une amertume dans son traitement narratif, notamment par la culpabilité qui va alimenter les personnages principaux au fur et à mesure de la durée du film. C’est cette douleur qui fait de ce titre quelque chose d’assez recommandable, l’épure dans les moyens accentuant leur isolement dans un contexte qui va virer vers une tristesse ambiante, alimentant jusqu’à la dernière image du long-métrage.

Cuckoo - Courtesy of Neon, Berlin Film Festival

Le contraste avec Cuckoo n’en est que plus fort, Tilman Singer usant d’une direction artistique assez marquée pour créer l’étrangeté. L’atmosphère est ici au malaise, vertigineux jusqu’au rire faussement salvateur et réellement cruel, tout en distillant des pistes assez inattendues. La gestion de la reconnaissance familiale se fait aussi douce que désarçonnante, tout en profitant d’un casting au diapason. Hunter Schafer trouve ainsi peut-être son meilleur rôle tandis que le charme glaçant de Dan Stevens renforce l’étrangeté d’un film qu’on a hâte de revoir dans les salles de cinéma !


Jeudi 18 avril

Liam

Pour finir notre galerie des films vus durant cette édition du BIFFF, on se dirige vers deux titres dont la réputation n’est clairement plus à faire. Faut-il en effet en rajouter sur Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, variante assez réussie d’un genre exsangue pour mieux aborder une solitude adolescente assez vibrante, à l’image de ses acteurs principaux ? Sans doute pas au vu du succès critique et public du long-métrage mais en même temps, cela fait du bien de savoir que pareil titre a trouvé la reconnaissance qu’il méritait. On espère la même chose pour When evil lurks, bête de festival à la hauteur des attentes.

When Evil Lurks - Copyright Charades

Demian Rugna traite d’un mal qui se propage telle une maladie, conférant une sensation de fin de civilisation au gré de scènes chocs mais jamais réellement gratuites, à l’instar d’une fameuse séquence impliquant un chien. Au contraire, le côté poisseux et brutal du titre accentue une sensation d’apocalypse qui ne s’annonce pas réellement, nous laissant dans un état de quasi transe au vu de la noirceur totale du projet. De quoi clôturer cette édition avec une œuvre à la hauteur, tout en nous rappelant à quel point le BIFFF peut servir de vitrine à des grands films de genre dans une ambiance généralement euphorisante. Reste à espérer que la bascule connue cette année permettra à inclure une plus large audience dans les années à venir et à appuyer que l’identité du festival n’a jamais été au rejet mais à la célébration d’un cinéma qui ne doit pas rester dans l’ombre…


Éléonore Tain et Liam Debruel