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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Le Nom de la Rose


Réalisateur : Jean-Jacques Annaud
Avec : Sean Connery, Christian SlaterHelmut QualtingerElya Baskin, Valentina VargasRon Perlman, F. Murray Abraham, Michael Lonsdale,…
Distributeur : Les Acacias
Budget : 20M$
Genre : Aventure, Policier, Drame, Thriller.
Nationalité : Français, Allemand, Italien.
Durée : 2h12min

Date de sortie : 17 décembre 1986
Date de ressortie : 21 février 2024

Synopsis :
En l'an 1327, dans une abbaye bénédictine, des moines disparaissent. Un franciscain, Guillaume de Baskerville aidé du jeune novice Adso von Melk mène l'enquête. C'est l'époque où l'Eglise, en pleine crise, se voit disputer son pouvoir spirituel et temporel. C'est aussi l'apogée de l'inquisition. Un thriller moyenageux très attendu préparé avec soin pendant trois ans, respectant le mieux possible l'époque et qui a coûté la bagatelle de dix-neuf millions de dollars. C'est également un film de Jean-Jacques Annaud toujours passionnément entraîné par ses sujets.



Critique :


Une adaptation cinématographique d'une œuvre littéraire ne doit-elle justement pas trahir son matériau d'origine, pour être réussite ?

Vous avez trois heures même si la réponse est évidente, et encore plus à la vision du quatrième effort de Jean-Jacques Annaud, Le Nom de la Rose, mise en images difficile et aux multiples réécritures (fruit de quatre plumes exténuées, Gérard Brach, Alain Godard, Andrew Birkin et Howard Franklin) du monument éponyme et métaphysique d'Umberto Eco, qui vient rompre le conformisme absurde d'un postulat qui l'est tout autant (à l'image du Shining de Stanley Kubrick) : non, toute œuvre littéraire, même incroyablement dense, n'est pas inadaptable.
La notion de fidélité elle, est un autre débat.

© © Neue Constantin / DR

Survivant résolument bien aux affres du temps autant donc, qu'aux enflammades purificatrices des " de toute manière, le bouquin était inadaptable "- zouzes, et quand bien même l'expérience qu'il incarne est moins heureuse (tout n'est qu'une question de point de vue même si oui, les personnages et l'intrigue sont volontairement simplifiés) que la version qu'il prend comme modèle, le film et ses deux heures de bobines savent tout aussi bien envoûter son auditoire que les pages exhaustives de l'auteur piémontais, fantastique et brumeuse thriller religieux et moyenâgeux cloué aux basques d'un homme de foi, Guillaume de Baskerville (hommage assumé et indéniable à Sir Arthur Conan Doyle et son Sherlock Holmes), un franciscain malin qui disposait de méthodes résolument antérieures à son 14ème siècle natal, pour déterminer avec perspicacité les affres du comportement humain.

Pas de petits attributs pour déchiffrer le mystère entourant les multiples disparitions de moines dans une abbaye bénédictine, perdue au nord de l'Italie, à une heure où l'Inquisition est à son apogée, et qu'une Église en crise se voit disputer son pouvoir spirituel et temporel.

© © Neue Constantin / DR

Une enquête ici non plus vue uniquement par le prisme de la perte de l'innocence du jeune novice Adso von Mel à l'écran (qui reste le narrateur à un âge plus avancé), mais bien par le tandem, l'amitié qu'il forme avec son mentor (semblable au duo Holmes/Watson, encore une fois), l'adaptation cinématographique accentuant leurs liens autant que l'humanité de ses deux personnages (couplée à l'alchimie folle entre leurs interprètes, l'impérial Sean Connery - dans son plus beau rôle - et Christian Slater), peut-être un peu plus enfermés dans leurs archétypes au coeur du roman (là où les seconds couteaux eux, le sont définitivement plus à l'écran).

Un humanisme qui se ressent jusque dans l'opposition, encore plus vivant, fait par Annaud entre la solennité de la vie évangéliste et la misère qui errent à ses portes, entre la foi et la raison, entre l'ouverture du doute (Baskerville) et le fanatisme/obscurantisme (Gui), même s'il expurge sa narration des nombreux et méticuleux débats religieux et autres disgressions politico-mediévales du livre.
Une arme ici à double tranchant (comme le rire et son pouvoir, MacGuffin du récit) dans son final, puisque cet humanisme, cet esprit d'un avenir un poil meilleur, ce désir d'une fin heureuse vient tout autant trancher avec la réalité historique de l'époque, autant qu'avec le pessimisme vénéneux et percutant d'Eco.

© © Neue Constantin / DR

De la photographie crépusculaire de Tonino Delli Colli, au travail titanesque côté décors et costumes de Dante Ferretti et Gabriella Pescucci (sans oublier, évidemment, le score tout en dualité de James Horner), Le Nom de la Rose est et reste un sommet de divertissement élégant et cultivé à l'atmosphère poisseuse et désespérée, un millésime tout en cruauté et en passion dans sa quête labyrinthique (comme sa bibliothèque Babelienne incroyable du monastère, qui implique de devoir continuellement se perdre sur le chemin de la connaissance) de la vérité au plus profond des entrailles putrides de l'obscurantisme.

En capturant l'essence de l'œuvre d'Eco, Annaud ne se fait peut-être pas un scribe fidèle (il l'assume lui-même à l'écran, assurant que son film est un palimpseste du roman original), mais sa célébration cinématographique n'en est que plus belle.


Jonathan Chevrier