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[ENTRETIEN] : Entretien avec Dominique Abel et Fiona Gordon (L’étoile filante)

© Potemkine

Cinéastes connus pour un style burlesque chargé émotionnellement, Dominique Abel et Fiona Gordon reviennent sur les écrans avec L’étoile filante, un polar qu’ils rêvaient de tourner depuis le début de leur carrière. Nous avons eu l’occasion d’en discuter plus longuement il y a quelques mois lors d’un entretien au Festival International du Film Francophone de Namur où le film était projeté en exclusivité.

C’est une vieille idée qu’on avait avant de faire du cinéma, avant notre premier court-métrage. C’était ce film-là qu’on voulait faire. Fiona Gordon

Quelle était l’idée derrière L’étoile filante ?

Fiona Gordon : C’est une vieille idée qu’on avait avant de faire du cinéma, avant notre premier court-métrage. C’était ce film-là qu’on voulait faire. On faisait un genre de polar au théâtre, un polar détourné. Le polar est génial car il y a beaucoup de codes, de manières dont on peut rendre un polar personnel. On a inventé cette histoire dans le lieu dans lequel on était en train de jouer. On était super naïfs, on pensait qu’on pourrait tourner un film comme ça sans rien y connaître et on n’a pas réussi à le tourner jusqu’à maintenant (rires).

Comment vous maintenez ce traitement du burlesque d’un réel qui vous est caractéristique ?

Dominique Abel : Pour nous, ce n’est pas un choix, c’est plutôt le style qui nous a choisi. Au théâtre, on était inspirés par les gens du burlesque, du cinéma muet, car c’était un style pas du tout réaliste. C’étaient des clowns qui arrivent dans le cinéma en amenant tout leur sens de la transposition et de l’épure aussi. Parce que quand on est clown, sur scène ou dans un cirque, on n’a pas accès au monde réel. On travaille avec des contraintes extrêmement fortes au niveau de la simplicité. Comme ces gens-là nous inspirent beaucoup, quand on a fait du théâtre, on a gardé cette manière de concevoir les choses et on l’a gardée au cinéma. On aime la transposition, surtout pour parler des choses qui nous touchent beaucoup. Le clown, ça parle de gens qui tombent. Il arrive avec certains sujets qu’on rit à des moments assez tragiques. On ne rit pas de rien, on rit souvent quand on est gênés, déstabilisés. Donc, quand on parle de choses gênantes, déstabilisantes, humiliantes ou tragiques, il nous arrive de prendre des formes pour les revivre différemment, revivre ces moments durs avec une distance qui nous permet de dépasser ces moments.

F.G. : En fait, on essaie toujours d’être sincères. Quand les acteurs jouent, cela peut donner des situations complètement idiotes et pas crédibles mais on veut sentir une sincérité. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut planifier, il n’y a pas de recette à ça. Il y a ces touches de sincérité d’enfant même quand c’est complètement absurde et cela nous donne quelque chose de beau et drôle à la fois.

En parlant de sincérité, j’ai été très touché par ce couple marqué par la perte. Comment avez-vous travaillé ce duo et la douleur qui les relie ?

D.A. : Ce côté « mère en perdition » qui choisit le métier le plus risqué et complètement improbable, le tout avec un côté alcoolique, c’est venu dans l’écriture. Au début, quand on écrivait, on avait 35 ans, c’étaient un homme et une femme qui se rencontraient un soir, tombaient amoureux en se promettant de se revoir et, le lendemain, l’homme a disparu et la femme ne trouvait pas ça normal. Elle avait juste mal au début, se disait que les choses ne s’étaient pas bien passées, et puis elle avait aussi des indices qui lui font dire que la situation n’était pas normale. Elle se rendait chez lui et commençait son enquête. On n’a jamais fait ce film-là car on avait d’autres idées qui ont nourri nos 5 premiers longs-métrages. Cette fois-ci, on se disait qu’il manquait peut-être une profondeur et qu’il fallait jouer avec notre âge, notre côté cabossé. On a 65 ans maintenant. Cette idée d’un couple plus âgé qui erre séparément après la disparition de leur enfant, on trouvait que cela apportait un côté tragique intéressant.

F.G. : Mais dans le jeu, on est toujours présents. On n’est pas des acteurs « méthode ». On joue dans le présent en sachant qu’on peut sentir ces choses-là, on peut empathiser avec des gens. On ne peut jamais comprendre la situation si cela ne nous est pas arrivé mais on a confiance en notre capacité d’entrer en empathie sur cette sensation de perte présente.

© Potemkine

C’est drôle que vous parliez de présent car vos personnages sont marqués dans leur passé et, sans trop en dévoiler, la dernière partie se déroule durant une manifestation pour le futur. Cela crée un contretemps temporel qui est passionnant et hyper drôle. Est-ce que cette dernière partie est aussi quelque chose qui a évolué dans le scénario original ?

D.A : Oui, oui.

F.G. : Ce n’était pas un activiste de gauche du passé dans notre scénario mais un gangster. Je crois qu’on a décidé de faire le film à partir du moment où on avait ces éléments qui le distinguaient d’un polar type.

D.A. : Et puis, on le sent tellement dans notre vie, on était contents d’avoir une idée de film qui rentrait avec les turbulences du monde actuel. Tout le monde ressent cet espèce de mal-être, de turbulence sociale. Il y a une crise mondiale où on voit que l’offre politique ne répond pas à ce que les gens attendent. Il y a un gros problème comme dans les années 80, comme quand nous étions jeunes. C’était la période d’Action Directe, des CCC, Brigades rouges, la bande à Baader, tout ça, une période où il y avait des gens de gauche idéalistes qui sentaient que les choses étaient menacées par un ultralibéralisme galopant et qui allaient disparaître. Ils essayaient de lutter avec les armes pour dire non. Ils étaient dans cette utopie communiste en quelque sorte. Les rues étaient noires de monde. Je me souviens quand j’étais jeune, il y avait énormément de manifestations contre les missiles, contre l’OTAN, … Et puis, tout à coup, depuis les années 18, 20, on ressent ça, avec les gilets jaunes et tout. On ressent qu’il y a une crise sociale grondante qui couve. Cela nous faisait plaisir aussi de mettre ces deux périodes-là en miroir car elles ont les mêmes questions à 35 ans de différence mais toujours sans aucune réponse : l’hôpital, le social, … Tout le monde dit qu’il faut mettre plus d’argent dans les écoles mais personne ne le fait. Même Biden, qui n’est pas un gauchiste, dit lui-même que l’ultralibéralisme n’est pas bon. Ce côté ruisselant de la richesse où on nous dit « aidons les riches pour que les pauvres gagnent plus », cela ne marche pas du tout ! Les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres. Il y a donc un gros problème.

F.G. : Ceci dit, les gens qui nous lisent vont croire que c’est un film pamphlétaire (rires). Mais on sait tous que ça ne l’est pas. On n’a pas envie de trop faire la morale aux gens, on a envie de parler en tableaux, laisser pénétrer les images et les gens prendront beaucoup ou non selon les individus.

C’est vrai quand même que ce côté politique du film est passionnant à aborder.

F.G. : C’est notre pensée mais on ne veut pas les dicter à nos spectateurs. C’est aussi pour ces raisons qu’on a un couple avec un drame personnel intime, où le monde n’existe pas tant leur drame est tellement plus fort que ce qui se passe autour d’eux. On a chacun une vie à vivre.

En parlant d’images, comment travaillez-vous vos chorégraphies, notamment dans leur intégration dans le scénario ?

F.G. : On sait que l’on va avoir des chorégraphies mais on ne sait pas encore lesquelles. On attend les acteurs avec qui on va travailler pour faire cela ensemble petit à petit. On commence en esquissant avant de perfectionner ça en répétition. On aime bien une petite dose d’imperfection aussi.

D.A. : À l’écriture, c’est déjà un peu ça qu’on cherche. Nos cerveaux sont à la recherche de ces propositions écrites puis, dès qu’on peut, on invite les rôles principaux et on essaie tout ensemble. Après, on essaie deux personnes qui rêvent dans un lit. Qu’est-ce qu’on peut faire avec ça ? On les fait courir, on met la caméra en topshot et on essaie des choses. Notre création est peut-être plus collective que sur certains films car tout le monde s’y met. Même avec la chef opératrice, il y a un moment où on l’intègre pour trouver les cadres ensemble. Les moments les plus chorégraphiques, les danses, ont nécessité 3 ou 4 sessions en amont. Pendant toute une après-midi, on danse et on fait n’importe quoi. C’est assez mauvais mais on garde des petits bouts et on bâtit comme ça. Ici, on avait Kaori Ito, qui est une danseuse contemporaine avec un niveau de danse…

F.G. : bien supérieur…

D.A. : à nous, oui. Ce fut un plaisir de collaborer avec elle et de mélanger une certaine forme de perfection avec une certaine forme d’imperfection.

Est-ce qu’il y a une chorégraphie qui a eu besoin de plus de travail ou qui vous a plus marqué en tout cas durant sa création ?

F.G. : Notre chorégraphie à deux a été difficile car, c’est tout bête, on voulait que ce soit parfait et on n’arrivait pas à bien le faire (rires).

D.A. : En général, on travaille plus les collectifs avec les autres que les moments à deux, c’est souvent comme ça parce qu’on est réalisateurs et qu’on s’occupe de nous en dernier lieu. Dans les dernières nuits, on peaufine nos moments sauf qu’au moment de ce tournage, on a attrapé le Covid. Tous les acteurs principaux l’ont eu. Les trois premiers jours ont été supprimés, on n’a rien fait. Donc on a attaqué le film par notre chorégraphie.

© Potemkine

En tant que duo, quelle est votre dynamique de travail dans la mise en scène ?

F.G. : On partage toutes les tâches. Il y a des choses que Dom fait mieux que moi et d’autres que je fais mieux que lui mais on est tous les deux têtus donc on ne veut pas lâcher le morceau ! (rires) On fait tout à deux.

D.A. : Sûrement plus que des couples connus. Je pense notamment aux frères Dardenne qui le disent clairement en interview, avec un qui s’occupe plus de la mise en scène. Nous, on a commencé par faire des pièces ensemble, on a toujours été à deux sur scène et on a l’habitude de se chamailler à la maison, d’essayer plein de trucs et de faire tout.

F.G. : Après, quand Dom joue, c’est moi qui suis à l’extérieur et vice versa. Il y a tout à coup un petit pouvoir (sourire des deux) mais qu’on ne retient pas. C’est très fusionnel et avec notre équipe aussi. Ils ne sont pas cantonnés à leurs rôles et peuvent baver sur les autres. Tout le monde ne doit pas parler en même temps mais notre équipe a le chic pour savoir quand ils peuvent intervenir ou pas. Quand ils interviennent, c’est souvent le bienvenu.

D.A. : On aime bien les scènes comme celle du cauchemar par exemple car toute l’équipe est sur le pont. On n’a pas 15 accessoiristes dont tout le monde s’y met. Même les gens qui travaillent à l’administration viennent donner un petit coup de main pour jeter des seaux d’eau ou m’arroser.

F.G. : On est attachés à l’artisanat de processus.

Vos décors sont à la fois très épurés et hyper significatifs…

F.G. : Le processus de repérage se fait à chaque fois à deux. Cette fois-ci, c’est Dom qui a fait plus de repérages avant seul car il fait de la moto (rires). Pour les intérieurs, on se connaît maintenant avec notre décorateur donc il sait ce qu’on aime. On lui a juste donné comme unique consigne de ne pas trop faire les années 50 car il aime beaucoup cette période et on voulait quelque chose de pas trop marqué. Il propose plein de choses, on réagit, il agit sur nos réactions, et on travaille comme ça.

D.A. : On a eu à un moment un changement car on voulait du décor. On aime choisir les formes et vu qu’ici, c’est autant un film noir qu’un film burlesque, on voulait aller plus loin niveau transposition des formes. On voulait faire cet intérieur bar en studio et, par hasard, en allant faire une mise en scène à Paris, on est tombés dans un théâtre, le théâtre des Thénardier, qui est aussi un bar, et on a trouvé !

F.G. : On a donc fait demi-tour en amenant Nico, notre décorateur, qui avait déjà fait des projets, pour qu’il voie l’architecture des lieux pour développer son décor.

L’importance du lieu se ressent notamment lors de la fin du film et de ce dernier plan assez significatif sans trop en dévoiler ici. Est-ce que cette conclusion était envisagée dès le début ?

F.G. : Ce n’était pas prévu comme dernier plan.

D.A. : Cela devait être l’avant-dernier plan mais on trouvait que cela faisait plus film noir ici. On voulait aussi parler de la violence. Sans faire de grand discours, si on trouve que la colère est légitime dans le cadre des crises sociales, est-ce que la violence l’est ? Peut-être parfois mais souvent pas jusqu’à la mort. Je me demandais parfois ce que pensaient des gens, comme du CCC, qui, au nom du bien-être social, tuent par exemple un ambulancier. Cela doit être terrible car où mets-tu l’idéal que tu as ? Cela peut être un gros problème. Dans notre histoire, la violence n’amène que de la violence. Sans trop spoiler… (rires)

F.G. : Il va spoiler lui-même le film ! (rires) On trouvait aussi que c’était juste pour ce film-là de ne pas terminer avec nos personnages récurrents mais avec ce couple à la trajectoire qui commence et qui est la raison de l’histoire.

D.A. : On a hésité car on avait le plan où on marche tous les deux le long du canal, en retournant vers la maison. C’est toujours un choix difficile les fins mais on a préféré faire court cette fois-ci pour conserver ce côté sec.

Entretien réalisé par Liam Debruel.

Merci à Heidi Vermander de Cinéart ainsi qu’à l’équipe du FIFF pour cet entretien.

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