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[CRITIQUE] : Un Automne à Great Yarmouth


Réalisateur : Marco Martins
Avec : Beatriz Batarda, Nuno Lopes, Kris Hitchen,...
Distributeur : Damned Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Portugais.
Durée : 1h53min

Synopsis :
Octobre 2019, en Grande-Bretagne, trois mois avant le Brexit. Tânia organise le travail, transport et logement des travailleurs immigrés portugais de l’usine de volailles de Great Yarmouth, dans le Norfolk. Flottant dans un monde où les bâtiments sont délabrés et les conditions de travail des ouvriers à l’abattoir particulièrement dures, Tânia apprend l’anglais en rêvant d’ouvrir un jour un hôtel pour y accueillir les touristes du troisième âge.



Critique :


Si l'on dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions, de quoi serait fait un paradis artificiel, dont on a justement pleinement conscience, de l'artificialité ?
Poursuivant encore et toujours la veine du formalisme désespéré du réel qui est si cher à son cinéma, Marco Martins tente de répondre à cette question en catapultant sa caméra au cœur des ravages de notre société néoliberale, où l'exploitation de l'être humain tel un outil que l'on use jusqu'à la moelle, une matière que l'on tord et brade pour une misère, se fait un esclavagisme des temps modernes (et encore plus depuis la pandémie du Covid-19) sensiblement plus normalisée, institutionnalisée, décomplexée.

Avec Un Automne à Great Yarmouth, il croque une sorte d'exode portugaise en mettant constamment en parallèle l'homme et l'animal (chacun étant, d'une manière plus tragique d'un des deux côtés évidemment, à l'abattoir), où une poignée d'hommes et de femmes rejoignent les côtes anglaises pour être ses travailleurs de l'ombre, assurant des emplois ingrats qui les britanniques eux-mêmes dédaignent.

Copyright Damned Distribution

Sa caméra reste tout du long vissé sur Tânia (magnifique Beatriz Batarda), une portugaise " intégrée ", puisqu'elle fait partie intégrante de cette traite humaine, participant à l'usure et au marchandage de ces corps sacrifiés, une femme qui elle aussi a renier ses rêves, et se pense comme une sainte mère protectrice là où elle n'est qu'un rouage de plus, dans une mécanique abjecte et sans scrupules.
Une âme déconnectée qui, à l'arrivée de sentiments amoureux improbables, va voir la réalité se rappeler à elle dans une prise de conscience dévastatrice...

À l'instar des bandes de Paul Schrader et de ses plongées sombres et angoissantes dans la noirceur de l'âme humaine et de l'(in)humanité, Martins use de la foi chrétienne et de la détermination qu'elle suscite, comme une sorte de boussole pas toujours bien fidèle au cœur du chaos, dans ce qui peut se voir comme une fusion étonnante entre le réalisme britannique (qui, oui, n'est pas QUE l'apanage de Ken Loach) et la chronique urbaine et brutale - Schrader encore une fois -, une mise en images puissante et viscérale, voire meme profondément inconfortable, des contradictions et des ravages d'un néolibéralisme sur lequel nous fermons tous, consciemment, les yeux.


Jonathan Chevrier