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[CRITIQUE] : La Zone d’Intérêt


Réalisateur : Jonathan Glazer
Avec : Christian Friedel, Sandra Hüller, Ralph Herforth,...
Distributeur : BAC Films
Budget : -
Genre : Guerre, Drame, Historique.
Nationalité : Américain, Britannique, Polonais.
Durée : 1h46min

Synopsis :
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2023.

Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.


Critique :


Radical, puissant et réglé comme une p*tain d'horlogerie suisse.
Librement adapté du roman éponyme de Martin Amis, qui en élimine volontairement tout l'humour satirique, Jonathan Glazer prend, avec La Zone d'intérêt, les armes épurées et esthétiques du septième art moderne, pour mieux aller plus loin qu'une simple étude hors-champ de la noirceur de l'âme humaine, et ainsi aborder frontalement un débat aussi séculaire que stagnant : la responsabilité de représenter la banalisation d'une horreur bien réelle - les camps de concentration -, dont les répercussions sont encore perceptibles et les cicatrices toujours marquées.

L'histoire - comme le roman - est vissé sur Rudolf Höss, commandant du camp d'extermination d'Auschwitz, qui vit confortablement dans un luxueux manoir avec piscine, flanqué juste à quelques mètres de la clôture des crématoriums du camp, avec ses cinq enfants et sa femme.
Des murs au mobilier, tout est d'un blanc immaculé dans ce qui peut se voir comme une bulle de bonheur familial pas même perturbé par les bruits de la machinerie infernale de l'autre côté des murs.

Image via A24

L'odeur du four crématoire et les cris de désespoir et de douleurs des victimes ont beau se faire sentir, la famille de Höss n'en a que faire, et rien ou presque ne pourra perturber sa quiétude et son souci de paraître unie à la face de l'institution nazie.
Tout change lorsqu'arrive un jour, une lettre menaçant de mettre fin à ce faux paradis situé aux portes des enfers : le mari pourrait être muté à Berlin et faire partie intégrante de la politique du pays, là où sa femme refuse de quitter le confort du manoir...

Véritable tour de force esthétique et sensoriel (incroyable travail sur le son et l'image, qui fait constamment retentir le bruit sourd des machines meurtrières voisines), The Zone of Interest, magnifique film de hors-champ, nous plonge dans un monde irréel (puisque motivé par ce que l'on ne veut pas voir), une prison de verre glaciale ou chaque rempart renferme toutes les limites de ce qui est censé être supportable dans la perversion humaine, et ce sans jamais filmer frontalement la violence abjecte et inhumaine des camps.
Un monde où la classe bourgeoise ne s'occupe que de son petit confort dans un monde qui brûle, où les exactions d'un père et le plaisir aveugle des siens face aux avantages matériels que sa position leur offre, rend toute une famille complice, frappée par un déni à la fois macabre et dramatique, d'autant que Glazer sépare volontairement les actions de leurs effets (du montage vif et tranchant, à des grands angles déformants), comme pour mieux exprimer la déconnexion totale de ses personnages, comme pour mieux prévenir d'un retour de bâton inéluctable.

Image via A24

Mais dans cette froideur radicale et insoutenable (à la frontière des cinémas de Kubrick et Haneke), où la mise en scène fait s'immiscer la noirceur atroce de l'histoire de l'humanité dans le quotidien excessivement blanc d'une famille nazie, le cinéaste ne cherche même pas à dessiner une quelconque empathie, une quelconque justification où étude de personnage un tant soit peu poussée : tout n'est que cérébral et démiurgique, un regard organique perturbant et malaisant, dont il ne veut jamais totalement nous isoler.

Ou comment offrir une plongée à la fois intérieure et périphérique, d'une horreur connue et inconnue de tous, pour mieux démontrer que le mal ne nous a jamais vraiment quitté, et qu'il a simplement changé de forme (là où, au présent, les chambres à gaz sont devenus une attraction touristique).
Une claque, rien de moins.


Jonathan Chevrier