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[ENTRETIEN] : Entretien avec Delphine Lehericey (Last Dance!)

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Comédie dramatique abordant la question du deuil et le regard biaisé sur les corps plus âgés, Last Dance! fonctionne aussi bien par l'investissement physique de François Berléand que par la façon de le mettre en scène de Delphine Lehericey. L'occasion était donc belle de revenir sur ce long-métrage avec la réalisatrice.


Je me trouvais donc un peu perdue entre deux endroits mais, si je me posais la question plus personnellement, j'avais très envie d'écrire une comédie.Delphine Lehericey


Pour commencer, quelle est la raison qui vous a motivée à faire Last Dance! ?


Cela faisait plusieurs années que je réalisais des drames, des documentaires et tout, mais j'avais très envie d'écrire une comédie parce que je suis quelqu'un de très drôle ! (rires) Bon, peut-être pas pour ça mais dans la vie, je suis quelqu'un de joyeux et j'avais envie d'offrir ça au public car j'avais beaucoup de gens qui sortaient de mes films en disant « C'était beau mais j'ai beaucoup pleuré. Vous ne voulez pas essayer de nous faire rire plutôt ? », comme si, pour le public, le rire était une expérience plus agréable alors que pour les festivals et les membres de l'industrie, c'est mieux de pleurer. Je me trouvais donc un peu perdue entre deux endroits mais, si je me posais la question plus personnellement, j'avais très envie d'écrire une comédie. Et puis, je suis très proche de mon grand-père, qui est très âgé mais qui est très vivant, très drôle, très inspirant. Donc j'avais écrit plusieurs pitchs, plusieurs synopsis, et même jusqu'à un scénario avec une scénariste belge, une comédie où il y avait au centre un personnage âgé qui s'appelait déjà Germain à l'époque... Puis il y a eu le confinement. Je ne voulais pas faire un film sur le Covid mais j'ai eu un peu plus le temps d'écrire que d'habitude parce que je travaille beaucoup. Surtout, j'avais l'impression que c'était une période horrible pour les vieux parce qu'on leur disait ce qu'ils devaient faire, ce qu'ils ne devaient pas faire, ... Mon grand-père, ça le rendait dingue. Lui qui est très libre et très curieux de tout, il ne pouvait plus faire tout ce qu'il voulait avant, ce qui me rendait un peu triste. Du coup, moi qui venais du spectacle vivant, je me rendais compte que les gens n'allaient plus au théâtre, au cinéma, mais ils consommaient de la culture chez eux, énormément. Tout le monde disait « ça me sauve ». Au-delà des séries Netflix, il y avait des gens qui regardaient des opéras, des spectacles de théâtre, ... Tout à coup, il y a eu une offre que je trouve plus intéressante que maintenant parce qu'on est revenu à la normale et je me disais « L'art, c'est ce qui nous sauve de tout ». C'est quand même ce métier, nous qui écrivons des histoires, qui nous sauve de tout cela. J'ai lu énormément de livres, je lis beaucoup mais là encore plus. Voilà, c'est né comme ça. Je me disais que je venais du spectacle vivant et du théâtre contemporain et aussi de la danse contemporaine – pas comme danseuse mais j'ai filmé de la danse contemporaine pendant des années – et je me suis dit « Il faut absolument que je trouve une histoire qui croise ça ». Et puis c'est venu comme ça et du jour au lendemain, c'était fait, il y avait une histoire.


Comment avez-vous travaillé cette énergie de groupe théâtrale, notamment avec François Berléand ? On sent ainsi une véracité forte dans la cohésion de ces danseurs...


Il y a d'abord La Ribot qui a travaillé avec moi, qui est quelqu'un de très généreux, très talentueux, etc. Et qui a l'habitude de travailler avec certains danseurs et des amateurs. Donc elle pratique déjà ça et, pour elle, rencontrer des acteurs de cinéma, c'était une curiosité mais pas si différent de travailler avec des amateurs qui viendraient d'horizons différents comme une infirmière ou un banquier, comme elle l'a déjà fait avant. Du coup, tous les acteurs de cinéma, qui étaient invités à participer à la répétition et dans la troupe, étaient obligés de faire un effort pour ne pas être dans le confort qu'on leur offre habituellement, c'est-à-dire qu'on tourne un plan avant de faire une pause. Car quand on fait de la création de danse ou de théâtre, c'est 8 heures plateau et ça y va. Ce n'est pas comme nous au cinéma quand on fait 12 heures plateau mais que le comédien ne reste pas pendant ces 12 heures. C'est les techniciens et tout ça qui le font. Tout le monde a donc dû se rencontrer. François Berléand a fait du théâtre contemporain dans ses jeunes années donc ça ne l'impressionnait pas de devoir faire quelque chose de bizarre, de ne pas savoir expliquer ce que l'on fait mais en le faisant quand même. Et puis, ils se sont tous pris au jeu. Moi, je viens du documentaire aussi donc il y a des choses que j'ai filmées de cette façon pendant les répétitions, les échauffements et les recherches. On mettait déjà la caméra au milieu pour attraper d'autres trucs. On a beaucoup utilisé ça, plus que ce qu'il y a dans le scénario de base car il y a une complicité qui est née entre les danseurs et François. Lui, il dit -et je le répète car ça m'émeut vachement- que c'était son plus beau tournage. Il avait l'impression d'être revenu à ce qu'il faisait tout au début et donc ça lui a donné l'impression d'avoir retrouvé une seconde jeunesse. Il s'est beaucoup marré, il était très proche des danseurs, ... On avait fait une première partie du tournage dans un théâtre de Fribourg. On y est restés enfermés deux semaines et demie pour travailler toutes ces parties dansées et après, on est parti les deux semaines et demie restantes à Genève, dans la maison avec sa famille, et là, il a beaucoup souffert. En fait, il a tellement pris le rôle à cœur qu'il avait l'impression qu'ils étaient chiants mais ce n'était pas les acteurs qui l'étaient mais les personnages. Lui, il était tellement en manque de la troupe que c'était drôle. Il a fait un transfert (rires).


C'est intéressant justement que vous parliez de cette partie familiale car vous adoptez par ce biais un certain regard sur la vieillesse avec cette activité de corps alors même qu'on renvoie souvent une image d'inactivité pour les personnes d'un certain âge. Quel fut votre travail à ce niveau ?


En fait, il y a quand même une triche car François Berléand est moins âgé que le personnage, il est moins bougon, moins à se laisser aller comme ça, mais on avait quand même l'idée de travailler son corps comme s'il l'avait abandonné ou n'y avait jamais fait attention. Ce qui est intéressant avec lui, c'est qu'il a ses petites jambes, ce ventre un peu gros, il n'est pas sexy quoi, et il est burlesque. Il a un corps quand même drôle. Donc je trouvais déjà super courageux de sa part de faire ça, de démarrer un personnage en se vieillissant lui-même et d'évoluer parce qu'il n'y a pas beaucoup d'acteurs qui acceptent de jouer un rôle plus âgé qu'ils ne le sont dans la vraie vie parce qu'après, on ne leur propose que des rôles de vieux. Déjà, il a accepté. Et puis, il a eu peur de souffrir car il a déjà eu plusieurs opérations du corps à cause d'accidents de ski donc il est un peu raide à droite. Là, en fait, on s'est adapté à lui. On a beaucoup répété avant le tournage et on lui a demandé de proposer des mouvements comme La Ribot le fait avec ses danseurs professionnels. Les danseurs se sont donc adaptés à François et, presque comme dans le film, il a dû proposer des mouvements chorégraphiques. J'aime beaucoup les gens. C'est très très con à dire (rires) mais, en vrai, je crois que dans la vie, les gens que j'aime sont gros, petits, maigres, avec des grands pieds, ... Parfois, ils sont handicapés, parfois, ils sont fragiles ou malades. Je crois beaucoup en la diversité. Je pense que j'ai une responsabilité en tant que cinéaste de mettre en scène, à travers des acteurs en les mettant à l'écran, de montrer de la diversité. Je ne peux pas faire comme dans le film de Cédric Klapisch, qui a ses qualités, de ne montrer qu'une jeunesse blanche, belle, musclée, mince, ... Je ne peux pas faire ça.


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Un autre point émouvant de votre film est son rapport au deuil, ce tiraillement entre continuer d'aimer l'être parti et le besoin d'avancer à ce sujet, surtout en intégrant le facteur de l'art comme moyen d'apaisement.


En fait, j'aime beaucoup cet écrivain et journaliste américaine, Joan Didion, qui a écrit pour moi le plus beau livre sur le deuil, « La nuit de la pensée magique ». Elle a perdu son mari puis, un an après, elle a perdu sa fille. Le livre n'est évidemment pas du tout drôle mais elle raconte toutes les étapes du deuil et en fait, elle les raconte car elle veut s'en sortir. C'est déjà une démarche. Moi, je me suis demandé « Qu'est-ce qui est le plus dur dans la vie ? ». Il nous arrive plein de choses : on peut tomber malade, perdre ses parents, ses enfants même si je ne l'espère pas, ... Qu'est-ce qu'on fait avec la fatalité ? Je n'ai pas la prétention d'offrir des clés pour s'en sortir et expliquer de manière pédagogique « comment faire son deuil en faisant de la danse contemporaine » mais quand même réfléchir, si moi, je perdais ma femme, comment je ferais en fait ? Et en lisant le roman de Joan Didion, ça m'a quand même aidée et je me suis sentie soutenue dans ce chemin-là. Je me disais « Qu'est-ce qui pourrait soutenir Germain ? » et, en prenant en compte ma propre expérience, « Qu'est-ce qui pourrait alléger cette aventure du deuil en ne le vivant pas comme une fatalité, assis dans le fauteuil en se répétant qu'on n'a que des problèmes, que je n'ai pas de chance et que la vie est dure ? » et comment se mettre en mouvement avec ça. C'est se dire « OK, il m'arrive un drame, mais je vais en faire quelque chose de positif ». Pas dans la performance, attention, je ne prône pas la performance. C'était surtout voir la capacité humaine qu'on a à rebondir parce qu'on rencontre des gens, parce qu'on se rend compte de soi-même... Moi, j'ai peur d'être vieille. J'ai hyper peur d'être morte. Comme tout le monde (rires). Mais je me dis « Est-ce que vieillir, ce ne serait pas essayer d'être la meilleure version de soi-même ? », « Comment est-ce que je pourrais en faire quelque chose de positif ? ». Voilà, c'est un travail de tous les jours mais j'essaie, j'essaie.


Votre film parle de choses donc plutôt dures mais vous avez quand même souligné cette envie de légèreté. Est-ce que cet équilibre n'était pas quelque chose de compliqué à atteindre durant toute sa production ?


Après, ça, il y a des gens qui trouvent qu'on n'est pas assez tristes, que Germain n'est pas assez triste. Il y en a très peu mais bon... On peut tous admettre qu'humainement, on cherche tous à vouloir vivre un bon moment. Donc je pense que c'est normal qu'il soit triste mais très vite, c'était important de se donner des clés pour se dire « Voilà comment il va faire ». Pas « Regardez comme il est malin » ou des trucs comme ça mais plutôt « Regardez comment il va faire car sa femme et lui... ». Il y a cette promesse de l'amour que personne ne peut contrarier en disant qu'il n'est pas obligé de le faire. Non, c'est obligé avec cette promesse d'amour que le spectateur accepte qu'il fasse ce qu'elle a dit. En fait, ce qui est chouette dans le processus du deuil, c'est qu'il y a un moment la colère. Il y a ce « Pourquoi tu es partie ? » mais aussi « Tu me fais chier en fait car tu es partie », il y a ce moment. Là, au lieu qu'il en veuille à sa femme, il lui en veut car il se retrouve avec ces danseurs contemporains. Donc c'est chouette, le spectateur peut s'identifier en se demandant dans quelle merde elle l'a laissé. Et ça, c'est une dynamique de comédie quand même. Enfin, je trouve car c'est quand même un sale coup, au début du moins.


Pourriez-vous parler un peu plus de votre travail actuel sur votre série, Les indociles ?


C'est un projet adapté d'une bande dessinée mais quand même très adapté. C'est même plutôt « Inspiré de ». C'est une mini-série fermée qui sera diffusée en novembre, décembre, d'abord à la RTS. On espère qu'on aura avant un ou deux festivals de séries. C'est une saga, une histoire d'amitié qui commence en 1973 et se termine en 2006. Chaque épisode a une époque : 70, 80, 90, 2000. Ça raconte l'histoire de trois amis qui se rencontrent quand ils ont 17 ans et qui, comment dire... En fait, ça suit l'histoire de la toxicomanie en Suisse. Et il y a eu une histoire très intéressante avec les scènes ouvertes de la drogue, les gens qui allaient en hôpital, en hôpital psychiatrique ou en prison. Et puis, tout à coup, il y a eu des gens qui ont été précurseurs en les considérant comme des malades, leur distribuaient de l'héroïne, etc. C'est à la fois un drame et à la fois les personnages sont très beaux et très drôles par moments. Donc c'est quand même un entre deux mais c'est un projet très humain, un projet que je porte depuis 4 ans et que j'ai hâte de montrer.


Enfin, pourriez-vous parler de votre scène préférée du film ?


La scène où Germain va aller voir la troupe et leur annoncer sa présence, je crois que c'est la scène que j'ai le plus réécrite pour que ce soit vraiment bien, vraiment crédible, vraiment émouvant. C'est la scène qu'on a le plus tournée, en faisant tout un travelling autour de Germain, et c'est la scène qu'on a le plus coupée. C'est quelque chose qui me questionne toujours, c'est comment toutes ces étapes dans la construction d'un film sont incroyablement passionnantes. Il y a toujours un endroit dans les films où c'est compliqué et où ça l'est du début à la fin. Bon, on a finalement trouvé comment faire mais c'était beaucoup plus long, beaucoup plus, de mon point de vue, trop littéraire, plus drôle, et à la fois plus émouvant. Au final, ça a la durée que ça a, ça fait le job que ça doit faire et ça nous lance dans le film donc j'aime bien cette scène mais en fait, elle devait vraiment ressortir comme la pierre angulaire. C'est la première scène que j'ai écrite, ce monologue de Germain qui dit « Prenez-moi, j'ai promis à ma femme ». Cette scène compte beaucoup pour moi et en même temps, elle est très courte maintenant.


Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à Marie-France Dupagne pour l'organisation de cet entretien à distance.

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