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[CRITIQUE] : La Bête dans la jungle


Réalisateur : Patric Chiha
Avec : Anaïs Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle, Martin Vischer, Sophie Demeyer,...
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h43min

Synopsis :
Pendant 25 ans, dans une immense boîte de nuit, un homme et une femme guettent ensemble un événement mystérieux. De 1979 à 2004, l’histoire du disco à la techno, l’histoire d’un amour, l’histoire d’une obsession. La " chose " finalement se manifestera, mais sous une forme autrement plus tragique que prévu.


Critique :


Une histoire d'amour plus où moins vouée à l'échec, frappée par la dureté de la vie, du disco à gogo dans ce qui a tout d'une bulle temporelle fleurant bon les 70s/80s, et une Anaïs Demoustier dont on ne se lassera définitivement jamais de contempler la beauté et le talent; le tout dans un récit (très librement) adapté du roman intemporel et éponyme du célèbre écrivain Henry James...

Qu'on se le dise, La Bête dans la jungle, estampillé nouveau long-métrage du cinéaste autrichien Patric Chiha, avait déjà conquis nos cœurs faciles avant même que l'on ne se rende dans une salle obscure, mais sa vision n'a fait que confirmer cette inéluctabilité, dans un formidable ballet des sens sur trois décennies, un drame vertigineux sous fond de passion, d'égoïsme (ou plutôt de vanité, même si la frontière entre les deux est ici poreuse) et d'attente.

Copyright Anna Falgueres

On y suit les atermoiements de May (Anaïs Demoustier, littéralement à tomber) et John (Tom Mercier, juste et énigmatique), deux âmes aux antipodes qui confirment le dicton que les contraires semblent toujours s'attirer, deux âmes vagabondes dans le petit théâtre des folies et des sentiments qu'incarne l'étrange et fascinante discothèque, vrai/faux pays des merveilles où ses deux Alice se retrouveront inlassablement, sur vingt-cinq ans, sous le regard d'une marraine/bonne fée omnisciente tout droit sortie d'un conte des frères Grimm - la physionomiste, campée par une fantastique Béatrice Dalle, à la prestance fulgurante.

Elle est profondément extravertie, adore danser et ne se voit pas vivre seule, lui est un homme introverti, solitaire et plus mystérieux qu'un vieux livre fermé, qui se sent prédestiné à un événement grandiose.
Mais quelque chose d'intense les lie, une connection inexplicable qui, comme les fêtes au sein de la discothèque, ne semble jamais pouvoir avoir de fin, ne semble jamais pouvoir s'altérer.
Plus les années passent, plus John semble lui voler sa propre vie dans son attente, l'a fait passer à côté de son existence tout comme il se borne à faire la même chose, piégeant une flamme intense et lumineuse qui ne semblait jamais pouvoir s'éteindre...

Copyright Anna Falgueres

Un clivage progressif, comme une lancinante mais douloureuse chorégraphie de danse, que Chahi capture avec une délicatesse mortifère, autant par la force d'une structure elliptique précise que par un savant jeu sur les musiques, les lumières et les regards, où l'ombre de la réalité semble de plus en plus envahir de cocon festif et hors du temps, d'une boîte traversée malgré elle par les bouleversement de son époque (l'élection de Mitterrand, la chute du mur de Berlin, les attentats du 11/09 mais surtout l'épidémie de SIDA qui décime la jeunesse - mais pas que).

Le cinéaste fait alors de son auditoire aussi bien le spectateur privilégié d'une plongée follement immersive dans un univers fantastique (magnifiée par la photographie stellaire de Céline Bozon, qui épouse à la fois la douceur et l'excentricité qui rend si vivante la discothèque), suspendu où l'on cherche à (re)vivre ne serait-ce qu'une nuit, que celui intime d'une romance qui ne semble jamais pouvoir avoir la chance de trouver son épanouissement.
Un amour mort-né dans un micro-univers où images et musiques se rencontrent, s'apprivoisent, s'enlacent et ne se quittent finalement (presque) jamais.

Copyright Anna Falgueres

Songe lyrique et expérimental sur la complexité de l'âme humaine et des relations, savamment expurgé de toute rhétorique putassière, La Bête dans la Jungle, pas si éloigné sur certains points du Eden de Mia Hansen-Løve, se fait une œuvre merveilleusement mélancolique, intense et dévorante dans ses questionnements universels et obsessionnels sur l'amour, la mort et le temps.
Une merveille, tout simplement.


Jonathan Chevrier