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[CRITIQUE] : Women Talking


Réalisatrice : Sarah Polley
Avec : Rooney Mara, Claire Foy, Jessie Buckley, Judith Ivey, Sheila McCarthy, …
Budget : -
Distributeur : Universal Pictures International France
Genre : Drame
Nationalité : Américain
Durée : 1h45min

Synopsis :
Des femmes d’une communauté religieuse isolée luttent en 2010 pour réconcilier leur foi et leur réalité quotidienne.


Critique :



Les femmes parlent, depuis toujours. Entre elles principalement. Une parole intrinsèque cachée du grand public mais qui, par cycle, vient aussi s’étendre dans d’autres sphères. Dans cette lignée, le roman de Miriam Toews, Women Talking, permettait qu’une parole d’une communauté de femmes boliviennes mennonites parvienne jusqu’à nous. Une série de viols, perpétrés par les hommes de leur communauté, enclenchait un débat entre ces femmes. Que faire ? Rien ? Se battre ? Fuir ? Comment conjuguer leur colère avec leur foi ?

Copyright 2022 Orion Releasing LLC. All Rights Reserved.

Sarah Polley en propose une adaptation qui, dans le contexte actuel, ressemble à un miroir de notre société. Dans une image à la saturation si faible qu’elle semble être en noir et blanc, la cinéaste transcende les réflexions féministes dans une fable contemporaine aux faux airs folkloriques. Que le lieu ou les costumes ne trompent pas le spectateur, il s’agit bien de notre monde dans Women Talking, de notre espace-temps. Nous sommes en 2010 et les femmes de la communauté, qui subissent depuis de longs mois des attaques sexuelles nocturnes, ont fini par attraper un des abuseurs. Celui-ci ne se fait pas prier pour donner les noms de ses collègues. Tous les hommes partent en ville, afin de payer les cautions des agresseurs. Restées seules, les femmes ont vingt-quatre heures pour pardonner, pour que tout redevienne normal. Mais la communauté féminine décide qu’il ne s’agit plus de seulement pardonner, que la discussion se doit d’être plus vaste et nuancée. En vingt-quatre heures, ces femmes silenciées par leur religion et leur mœurs vont parcourir les différentes solutions qui leur viennent à l’esprit et en choisir une en concordance avec leur foi, mais aussi avec leur besoin de sécurité et de liberté.

An act of female imagination”, voici comment Sarah Polley qualifie son récit, par un carton après l’incipit. Comme un pied de nez aux hommes qui n’ont pas pris au sérieux les plaintes des femmes de la communauté, leur opposant un mépris à toute épreuve. En leur laissant s’épancher tout leur saoul — la frustration, la colère, le besoin de reconnaissance, mais aussi l’envie d’être en paix malgré tout — la réalisatrice leur permet de prendre enfin de l’espace. Généralement confinées dans leur intérieur domestique, elles s’immergent dans la grange, s’éloignant ainsi de leur cocon, pour mieux s’éloigner d’un statu quo. Ce nouvel espace, qu’elles font sien le temps du débat, est une transition. Il permet de tout déverser, tout mettre à plat, de tout dire. Les hommes sont presque absents du cadre à l’exception du professeur des écoles, August, présent pour retranscrire leur parole par écrit. Cette absence ne rend pas le propos manichéen pour autant car il permet à ces femmes de pouvoir discourir en toute liberté. Ce sont les silhouettes menaçantes de terribles flash-back, où les victimes se réveillent d’un sommeil drogué, ensanglantées et meurtries. Ils représentent l’institution sans forcément en faire des monstres car la discussion se fait plus nuancée à mesure qu’elles prennent leur décision finale.

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La mise en scène permet le recul nécessaire pour ne pas juger les différentes directions que prend cet affrontement discursif. Il y a Salome (Claire Foy), personnification de la déesse Némésis, dont la parole est dictée par un besoin de vengeance, par l’appel du sang. Il y a Mariche (Jessie Buckley), la voix dissidente, telle une Éris (déesse de la discorde) dans la petite assemblée féminine, celle dont la parole remet en question chaque réflexion. Il y a Ona (Rooney Mara), la raison, l’oreille attentive, la tendresse personnifiée. Puis, les deux matriarches, Agata (Judith Ivey) et Greta (Sheila McCarthy), qui semblent être présentes pour placer la foi religieuse dans le débat. Ainsi que la génération future, celle qui subira les effets immédiats de leur décision commune. Si le film s’apparente à une forme didactique, à visée pédagogique, sur les conséquences d’une société misogyne, il arrive néanmoins à aborder plusieurs pensées féministes sans que cela semble forcé, formant une sorte de langage commun et compréhensible pour tou⋅tes. Leur chemin de réflexion est à la fois philosophique et intime, avec le potentiel de sensibiliser le public, grâce à une mise en scène qui permet de fluidifier la parole. Sarah Polley symbolise leur entraide, leur tendresse sous la colère, en filmant leurs mains qui se touchent, qui caressent, qui soutiennent. Malgré leurs désaccords, elles sont toutes dans le même panier et comprennent que si elles doivent s’en sortir, ce sera ensemble.

Pour éviter l’indigestion de logorrhée (ou pour laisser la réflexion faire son chemin dans nos esprits), Women Talking se permet des moments de flottements. Sortir du huis-clos, c’est aussi montrer leur environnement, le filmer de telle sorte qu’il nous soit tout aussi familier qu’il est intemporel. Car ces discussions n’ont pas d’âge, elles ne sont ni d'aujourd'hui, ni d’hier, mais forment peut-être un lendemain sous le signe du renouveau. Sarah Polley embrasse la théâtralité de sa narration car elle l’aide à composer les différentes strates de pensée et à laisser de l’espace pour chaque personnage. Ces moments hors de la grange s’apparente à des entractes où la théâtralité disparaît, où le cadre se fait plus “cinématographique”, où les femmes ne sont plus seulement une caractéristique de discussion mais des personnages à part entière.

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Si Women Talking s’éloigne d’un discours emphatique, les choix d’une esthétique froide, à la texture peu saturé, ainsi que des flash-back éclair, où l’horreur, déjà bien présente, s’accompagne d’une musique hélas pesante, ne font qu’envelopper d’austérité un film qui, par sa puissante image de fin, ne veut que porter un message d’espoir.


Laura Enjolvy


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