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[CRITIQUE] : Par Coeurs


Réalisateur : Benoît Jacquot
Avec : Isabelle Huppert et Fabrice Luchini.
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Français.
Durée : 1h16min

Synopsis :
Festival d’Avignon, été 2021.
Une comédienne, un comédien, face à leur rôle, leur texte, juste avant les représentations.
Devant la caméra documentaire de Benoit Jacquot, Isabelle Huppert et Fabrice Luchini au travail.



Critique :


On avait laissé le cinéaste Benoit Jacquot sur deux grosses désillusions consécutives - pour être poli -, que ce soit son Dernier Amour (ou la mise en images amorphe - mais à la reconstruction historique élegante des mémoires de Giacomo Casanova, à la structure aussi plombée par ses allers-retours/flashbacks redondants que par son jeu d'acteurs totalement à côté de la plaque - Vincent Lindon en tête) et Suzanna Adler (une adaptation de la pièce de théâtre éponyme d'une Marguerite Duras façon errance lancinante et redondante, un long-métrage vain sans âme et triste - dans tous les sens du terme - bien loin de ce qui aurait pu être un bel éloge autant qu'un beau spleen empathique, malgré une Charlotte Gainsbourg impliquée), à tel point que l'on se demandait bien si l'adage facile mais parfois criant de vérité du " jamais deux sans trois ", allait furieusement coller à sa caméra et plomber sérieusement son nouvel effort.
Citant directement son Par Coeur de 1998, où il scrutait déjà du bout de la pellicule un Fabrice Luchini qu'il filmait seul en scène récitant les verbes riches de Flaubert où encore La Fontaine, Par Coeurs - tout est dans le titre finalement - joue la carte de la " surenchère ".

Copyright Les Films du Losange

En effet, il ne filme cette fois non pas uniquement Luchini mais également Isabelle Huppert, en plein Festival d'Avignon en 2021 et quelques heures avant leurs entrées respectives sur scène (un seul-en-scène sur Nietzsche pour l'un, une mise en scène de La Cerisaie pour l'autre).
Par la simplicité du geste et de la vérité qui s'en dégage, rompant l'intimité de deux monstres travaillant autant qu'ils interrogent (et qu'ils s'interrogent) les mots qu'ils sont censés porter et habiter sur scène, Jacquot tutoie ce que sa direction d'acteur avait un brin laissé de côté dans son passé récent : l'exigence folle du métier d'acteur•ice quant il est véhiculé par des talents qui n'hésitent pas à s'abandonner et à faire vivre des textes qui ne sont pas les leurs, à les apprivoiser pour mieux les maîtriser sur le bout des doigts.
Fruit d'une confiance et d'une complicité totales entre le réalisateur et ses deux sujets, Par Coeurs se fait un objet de cinéma fascinant, un instantané brut et délicat de l'envers du décor de deux professionnels aux méthodes bien distinctes (face à l'exubérance parfois irritante d'un Luchini prompt à tout décortiquer/théoriser, on sera sensiblement plus charmé par la sensibilité d'Huppert et son naturel), un portrait contrasté et clivant de deux artistes au sommet de leur art mais toujours hanté par les incertitudes et le trac.


Jonathan Chevrier