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[FIFAM 2022] : Bilan de la 42e édition


La 42e édition du Festival International du Film d'Amiens s'est déroulée du 11 au 19 Novembre 2022. C'était notamment la première édition de la nouvelle directrice artistique, Marie-France Aubert. Et que d'ambitions ! Au programme pour cette première, )il y a d'abord (et évidemment) la compétition. Ces dernières années séparées en deux catégories fictions et documentaires, cette 42e édition marque le retour d'une seule et même compétition en ne séparant plus les fictions et les documentaires. La frontière entre les deux est parfois si mince, que le festival d'Amiens propose d'en voir les nuances dans sa compétition de 12 long-métrages. En parallèle, la compétition de court-métrages comptait 13 films.


Qui dit international, dit que tous ces films viennent de tous les horizons de notre monde. Ainsi, pour agrémenter les découvertes des compétitions, le Festival continue de porter le regard sur le patrimoine mondial. L'accent était surtout mis sur les archives dans la section ArchiVives : comment elles font vivre des luttes, la manière de les utiliser au cinéma, leur place face à la pensée et la fiction, leur rôle évocateur, etc – le tout en 25 films. L'autre section majeure de cette 42e édition était Robe à Paillettes : thématique de 10 films sur l'enjeu du costume, faite spécialement pour le côté festif, pour (re)découvrir des films qui prêtes à s'amuser.

De plus, une carte blanche de 6 films était donnée à la réalisatrice Alice Diop, un focus de 5 films sur le réalisateur sénégalais Samba Félix Ndiaye était organisé avec notamment le très beau Lettre à Senghor (1998), et plusieurs coups de cœur étaient diffusés entre avant premières et patrimoine. Sans oublier les plus grandes curiosités : des films tournés dans la région des Hauts-de-France où se situe Amiens, une projection des films d'étudiants de la FEMIS, la projection spéciale de Brazil de Gilliam pour fêter les 70 ans de Positif, un ciné-concert sur Nanouk l'Esquimau, et enfin plusieurs rencontres. Il est temps de revenir, en vingt films, sur cette semaine de festival.

Copyright Warner Bros.


COMPÉTITION LONG-MÉTRAGES


Our lady of the chinese shop d'Ery Claver. Le film se situe entre le conte spirituel, la comédie et la chronique sociale à touches philosophiques. La présence des statues de la vierge Marie, avec ce magasin, crée une atmosphère à la fois ambiguë et absurde. Les comportements changent et permettent de révéler les motifs d'un microcosme à multiples variables. L'ensemble est intéressant mais il y a trop d'hésitations, le cinéaste ne statuant jamais sur le ton qu'il souhaite prendre. Il va tout à tour du côté de l'onirisme avec des visuels bien prononcés, de la comédie avec une mise en scène du grotesque, puis de la chronique en étudiant les fractures qui se créent. Le tout semble vouloir se questionner sur la place de l'humain face au spirituel, mais plusieurs points de vue s'entremêlent, freinant l'exploration des tourments. Si bien que la mise en scène est trop souvent suggestive, à vouloir faire de l'ambiguïté une piste de réflexion sur les changements de comportements. Sauf qu'à force de multiplier les ambiguïtés, le film ne parvient pas à dépasser son rythme en poses d'idées : chaque nouvelle séquence semble être un pas de plus dans l'étude de personnages, mais sans jamais les confronter à leurs tourments. Le film reste tout de même beau dans la fantaisie de ses images et son atmosphère allégorique.

Credit: Noise Film & TV

How to save a dead friend de Marusya Syroechkovskaya. Magnifique documentaire intimiste, construit grâce à des vidéos tournées au hasard, au gré du temps. Marusya et Kimi se sont mutuellement filmés pendant 12 ans. Alors que cette durée ne se ressent jamais dans le film, et n'est jamais indiquée au montage, elle définit parfaitement l'esprit de lutte qui se joue. Aussi bien dans cette jeunesse qui parle de « Fédération de la dépression » pour désigner la Russie, que dans cette persévérance à vivre grâce à l'amour. Le hasard de la construction du film renforce la puissance de cette intimité, et des émotions filmées. Ici, l'intime devient la source d'une pensée, mais aussi le lien avec tout un environnement. L'intime est le pouvoir absolu sur tout ça, tout en étant le refuge face aux souffrances. Sans aucune jugement sur certains comportements, sans jamais exprimer une colère monstre ou faire preuve de violence, Maryusa porte à l'écran la tendresse qui ne cherche qu'à se libérer. C'est même un film de fantôme(s), dans ce qu'il garde d'images de cette tendresse, de cet amour, de ces présences dans l'environnement oppressant. Tout en étant le portrait d'une génération russe désabusée, qui s'accroche à des morceaux de vie. Tant qu'il y a une présence et un amour, la vie continue. Même jusque dans les pixels, et les caresses sur une photo numérique apparaissant à l'écran d'une tablette. C’est l'amour et l'impuissance humains pris « sur le vif », sans se priver d'images très dures à supporter. La beauté et la force de ce film réside donc dans le hasard des séquences, dans leur pureté brute, ainsi que dans la pluralité de leurs formes. L'intime est politique, et son côté expérimental montre comment une simple présence peut créer un nouvel imaginaire, de nouvelles images, un nouvel espoir, un nouveau chemin. Merveilleux. Coup de cœur.

Copyright Lightdox


Children of the mist de Hà Le Diem. Documentaire se déroulant au Vietnam, de nos jours. Pendant plusieurs années, la cinéaste suit le quotidien de la jeune Di, 13 ans. Dans le village montagneux où elle vit avec sa famille, elle fait la rencontre d'un jeune homme – avec qui elle se met à flirter. Mais elle fait aussi partie de la première génération d'adolescents à avoir accès à l'éducation. Sauf que cette voie, qui coûte du temps et de l'argent et doit convaincre ses parents, se place en contradiction avec une tradition pourtant illégale (le mariage des mineures). Le regard immersif de Hà Le Diem parcourt toutes ces composantes, non pas une à une, mais dans un mélange subtil où elles se confrontent toutes. La caméra montre qu'il est difficile de les faire coexister, tout comme il est difficile de comprendre leur intérêt. Ainsi, la cinéaste interroge à la fois ce qu'elle observe, tout comme elle interroge la place de l'image dans cette partie de la société. Sans pouvoir donner de réponse, Hà Le Diem utilise la retenue pour étudier les personnages et faire un portrait ethnographique. Comme si, la simple présence de la caméra permettait à la jeune Di d'affirmer ses questionnements et envies d'indépendance, de les exposer avec ardeur. En contrepoint, le film reste sympathique envers tous les personnages, peu importe le camp.

Courtesy of Cat & Docs


Tahara d'Olivia Peace. Voici un teen movie bien trop prévisible, qui avance dans le vide. Les idées de deuil, de huis-clos et d'apprentissage sont rapidement esquivés au profit de la légèreté. Même si cela peut se comprendre pour un film qui veut être une comédie (dans un sens), ça amoindrit l'anxiété et les désirs de l'une des deux protagonistes. Surtout qu'il y a une tentative de modeler l'ambiance et les attitudes avec chaque rencontre, chaque étape de cette journée en huis-clos. Cependant, les rôles secondaires sont bien trop effacés pour apporter quoi que ce soit, pour bouleverser quoi que ce soit. La mise en scène en devient superficielle, en cherchant constamment ses positions et ses angles de vue entre les différents tons abordés. Superficielle aussi car elle se contente de montrer des caprices frivoles, rendant son format carré très superflu. Le film n'a rien à dire ou montrer de ses personnages, si bien que les digressions n'affectent jamais cet environnement trop fermé sur lui-même.

Film Movement


La hija de todas las rabias de Laura Baumeister. Beau portrait du Nicaragua dans sa misère et la difficulté d'y grandir, où la jeune Maria vit avec sa mère célibataire et leur chienne. Non loin de la mer, dans une forêt dense, leur cabane est le lieu de l'adversité qui s'y concentre et de la poésie d'une vie simple et modeste. Au sein d'un paysage dépossédé, la mère et sa fille donnent de leur énergie et épuisent leur corps pour réussir à survivre. Parce que le paysage est aussi beau qu'indigent, les isolant totalement de toute ressource. Comme si, en étant tout de même au beau milieu de nulle part, elles ne pouvaient accéder à tout ce que la nature pourrait offrir. C'est là que les première et troisième parties sont touchantes dans leur rapport organique à cet environnement. Il y a même quelque chose de la fable, entre l'insouciance de Maria et le désespoir de sa mère Lilibeth. Ce rapport au paysage est un piège éternel, où se jouent la mort ce celui-ci et une fracture sociale bien trop épaisse pour espérer quoi que ce soit. Alors il faut se remettre au danger, même si la deuxième partie se trouve être trop longue et mécanique. Le regard s'éloigne de l'innocence et se livre totalement à un accablement redondant. Bien qu'elle permet de voir un autre visage de ce pays, plus terre-à-terre et à charge, elle écarte tout le lyrisme qui fut initié dans la première partie. Heureusement que l'insouciance et la détermination de la jeune Maria reste, pour finalement revenir vers la fantaisie et une scène finale éblouissante, pour revenir à cette fuite dans laquelle bouillonnent une colère et un courage oniriques.

Best Friend Forever


Ashkal de Youssef Chebbi. Le titre est le terme arabe qui désigne les motifs, les silhouettes, les ombres : ces formes dont seuls les contours sont visibles. Dans ce film, il renvoie directement à l'ambiguïté des formes qui traversent tous les espaces – jusqu'à devenir des allégories. Il y a la forme de ces bâtiments dont la construction n'a pas été finie, l'homme en capuche dont on ne voit jamais le visage, il y les flammes qui s'élèvent à plusieurs endroits et moments, etc. L'intrigue se déroule dans un quartier résidentiel tunisien qui n'a jamais été abouti. Encore actuellement, les bâtiments sont encore ouverts sur l'extérieur, ressemblant davantage à des labyrinthes sur plusieurs étages. En parallèle, il y a le feu et cette figure mystérieuse qui en est à l'origine. Les immolations dont il est lié font directement référence à toutes celles qui ont pu avoir lieu en Tunisie, en guise de protestations. Ainsi, dans ce paysage abîmé, non fini et ouvert sur le monde, les personnages se perdent et sont confrontés à la peur. D'autant plus que la caméra capte ce décor de manière qu'il surplombe et écrase les corps, jusqu'à même les observer dans un calme terrifiant. En jouant sur les flous et sur les cadrages, la longueur et la hauteur des bâtiments rendent les personnages impuissants face à tous les enjeux. Il y a toutefois un peu trop de tendances contemplatives dans le regard porté sur le paysage. Mais près du feu angoissant et purificateur, les tourments s'épaississent. Si bien que le réel devient une impasse, ne pouvant se diriger que vers le fantastique. Ce réel qui bénéficie d'un regard provenant du documentaire, le rendant plus évocateur d'un contexte tendu.

Copyright Jour2fête


A piece of sky de Michael Koch. Dans ce paysage montagneux, les sensations s'exacerbent et les relations se transforment. L'étendue et le calme de ce paysage naturel semble être hors du temps, hors de toute réalité. Comme si chaque regard et chaque corps ne pouvaient que le subir, le contempler, le découvrir à chaque fois. Dans le quotidien de ces montagnes suisses, le travail physique est régulier et les personnages ne semblent pas vraiment contrôler grand chose. S'étendant à perte de vue et épuisant les corps, le paysage absorbe les âmes jusqu'à la folie et le mélodrame. Anna et Marco finissent par se marier, comme une touche de douceur et de lumière dans ce lieu assez hostile et très brumeux. Marco est tel un animal ou un ogre, dont Anna prend soin pour le faire devenir humain. Sauf que tout est écrit au millimètre près, tels ces dialogues avec des pauses dès qu'il faut les jouer. Cette latence et cette lenteur des interactions entre les personnages sont profondément insupportables. La mise en scène est totalement figée au sein de ce paysage bloqué, qui n'est jamais bousculé ou modelé selon les humeurs et les nuances des personnages. Michael Koch ne donne qu'une seule perception du paysage, et n'en bouge plus du tout : ça devient une simple toile de fond qui ne peut pas vaciller. A force de vouloir lier le microscopique (l'histoire d'amour) et l'infiniment grand (le paysage), le film conforte le fossé qui les sépare. Alors la mise en scène se voit à chaque instant, jamais aidée par un montage très hasardeux. Passant du coq à l'âne constamment, il y a toujours un changement brutal d'échelles de plans sans raison. La tragédie et le paysage sont un poids, l'austérité crée la distance, la sensibilité est hermétique.

Copyright Grandfilm


Olho animal de Maxime Martinor. Un être (tel un animal) manque, et tout le reste semble se détériorer et être remis en question. C'est ce qui se déroule dans ce film très étrange. Avec son pitch « c'est l'histoire d'un chien cinéaste », il y a pas mal de mystère qui se crée et traverse chaque séquence. Dans l'étrangeté de tout ce qui est montré, mais aussi dans leur enchaînement, les images se connectent entre elles mais sans toujours être le fruit d'une émotion spontanée. Altérant souvent entre l'émotion et la pure curiosité, le film a tendance à se détourner de l’œil animal du titre, en devenant un témoignage de la place de l'animal dans la société. Ce n'est pas une mauvaise idée, mais le documentaire perd de sa proximité avec le sujet qu'il revendique à chaque instant. Parce que lorsqu'un être manque, arrive ce besoin de trouver des images lointaines : celles pour retrouver une tendresse, celles pour dessiner les contours de souvenirs, celles pour faire de l'imaginaire du passé une image éternelle. C'est la beauté du côté expérimental du film, qui se perd volontairement dans le hasard au gré du temps. Mais c'est aussi sa limite, en construisant son regard par procuration : notamment avec des images d'archives, des images existant ailleurs (d'autres films), ne fabriquant pas d'images soi-même. Bien dommage, car la mise en scène se concentre alors sur des interrogations distantes, plutôt que se laisser porter par la présence des animaux au gré du voyage.


Sur le fil du zenith de Natyvel Pontalier. Il y a quelque chose de très touchant et pourtant très inexplicable dans ce film. Alors que la cinéaste va tourner au Gabon, territoire de ses origines, sa caméra semble happée par une tradition, une spiritualité, un mode de vie qu'elle découvre. En même temps, la caméra se nourrit de paroles complexes, d'attitudes nouvelles ou étranges (comme une transe, ou la poésie de parler à un arbre). Grâce à ces deux gestes, la cinéaste va trouver quelque chose qui semble perdu dans l'espace et le temps (une croyance, un mode de vie), quelque chose qui serait exercé dans le secret et l'isolement. En faisant le voyage de ses origines, Natyvel Pontalier trouve aussi une beauté rare : celle de la sensibilité portée par la nature, par les paroles, par la foi et les traditions. Dans ce lien avec la nature, le spirituel et l'onirisme révèlent ce qui définit si bien le cinéma : la magie de la découverte, la magie du regard. Cependant, le caractère très personnel du film m'a tenu personnellement à distance. En quelque sorte, je ne me suis jamais senti concerné par tout ce que le film montre, révèle, écoute. C'est beau et touchant, mais assez complexe et mystérieux. A tel point que nous pouvons qu'observer ce mode de vie et n'être qu'un réceptacle. Le geste est trop privé pour impliquer le spectateur.

Copyright Tangente Distribution


Alma viva de Cristèle Alves Meira. Ce film ramène sa réalisatrice sur la terre de ses origines, celle où elle a elle-même passé ses vacances d'été. Dans cette histoire mêlant le deuil, les sorcières, le drame familial et le féminisme, il y a toute la frontalité nécessaire pour ressentir la brutalité et le quotidien de ces femmes. Au sein de ce village portugais, la frontalité montre un aspect énigmatique de son microcosme tout en étant explicite et pesant sur les détails du quotidien des personnages. Il y a ici un croisement entre le réalisme et le spirituel, entre la rudesse et la lumière des personnalités, entre le désordre et l'équilibre dans la misère. Devenant presque un film de fantôme. Mais il manque cruellement un poids dramatique, au-delà de la crainte et du défi social que doit dénouer la famille en deuil. Cristèle Alves Meira vient du théâtre et ça se voit : elle est parfois bien plus intéressée par les invectives entre des personnages, que de mettre en scène clairement la violence et les sentiments. Cette dualité manque, surtout lorsque des touches d'humour font dériver le drame qui se dessine. A trop vouloir s'engager dans le discours porté par le drame / la chronique, le film s'écarte de sa promesse surréaliste et ambiguë. Le surnaturel se résume à quelques éléments de décors et une poignée de scènes glaçantes, mais l'ensemble n'a pas la perspective faite de folie et de digressions (voire de distorsions) dont il aurait besoin. Un film finalement très consensuel dans sa construction de fond, à défaut de prendre des risques formels.

Copyright Tandem Films


Nous n'avons malheureusement pas eu l'occasion de voir Nous étudiants de Rafiki Fariala et About Kim Sohee de July Jung.


ARCHIVIVES


Le programme ArchiVives comptait de nombreux films, tous aussi différents les uns que les autres. Mais ils ont tous ce point commun essentiel d'interroger la place et l'utilisation de l'image dans la société et dans le discours politique. Cette section avait tout son sens pour cette 42e édition, où l'accent était mis sur la jeunesse. Dans une programmation beaucoup consacrée à la jeunesse, faite par la jeunesse, avec la jeunesse, les regards se multiplient pour penser le monde différemment. Ainsi, les archives ont ce rôle de témoin intemporel, dont les images peuvent créer des échos avec des époques plus récentes. Par exemple, Fiertés Inc (2020) de Thibault Jacquin met un prisme sur l'appropriation des combats LGBT par des entreprises privées. Comment les marches des fiertés, et les activités qui vont avec, sont soutenues par des sociétés qui peuvent se révéler problématiques pour bien des raisons. Une manière de montrer que la tolérance, le progrès, le respect peut parfois être un argument d'image pour une marque / une entreprise afin de dorer son blason. Une manière de montrer que tout ceci est une façade, détournant les combats par l'argent.

Une Jeunesse Allemande - Copyright W-film Distribution / Local Films


Dans ce programme, il y avait évidemment des films réalisés par Jean-Gabriel Périot, cinéaste qui n'a de cesse de faire dialoguer les archives (le passé) avec la pensée (un fragment du présent). Comme avec L'art délicat de la matraque (2009). Aussi avec Une jeunesse allemande (2015), où le cinéaste n'intervient jamais avec des voix-off ou des cartons de commentaires. Il laisse les images s'exprimer toutes seules, pour montrer l'intensité d'une situation conflictuelle. Dans le chaos que révèle le montage, un romanesque naît du sens du rythme pour que l'ironie et le choc des idées se libèrent. Dans Nos défaites (2019), le cinéaste crée une reconstitution d'images d'archives avec des étudiants, et les interroge systématiquement un à un après ces images. Il y a une surprenante insouciance dans les reconstitutions, avec un vrai travail d'interprétation pour donner une importance aux mots et leur rythme. Grâce à cela, le film regarde comment circulent les émotions : une façon d'interroger les défaites sociales, politiques et sûrement éducatives (en référence aux entretiens individuels avec les étudiants). Le miroir entre la reconstitution et les entretiens permet de voir deux nuances de réflexions, mais surtout de prendre du recul sur les mots et les images. Parce qu'avec une pluralité d'images et de voix, les archives et les réactions qu'ils provoquent sont le mouvement nécessaire à la clarté et l'inspiration.


CARTE BLANCHE A ALICE DIOP


Saint Omer d'Alice Diop. Tout ce bruit et ce buzz pour ça… Pour un film d'une lourdeur démonstrative, avec ses plans fixes qui laissent les mots du scénario prendre le pas sur la mise en scène, avec son discours et ses dénonciations tout sauf subtils. Alice Diop efface le point de vue initié au début derrière un jeu de miroir forcé et purement symbolique, sans qu'il ne serve à quoi que ce soit. On n'apprend jamais rien des personnages, parce que la métaphore du jeu de miroir semble être plus importante que créer un parcours psychologique à la protagoniste. Elle qui finit par se retrouver à la même place que le spectateur, laissant alors un film de procès très ordinaire, qui préfère faire un éventail de maux que créer des images sensibles. Dans la distanciation maladroite engendrée par la mise en scène, ce n'est qu'un film scolaire et bien trop bavard. Les plans séquences ne créent aucune rupture, puisque le procès est déjà un espace suspendu en soi… Alice Diop force bien les traits de ce qu'elle souhaite questionner, et finit par manquer de subtilité. La mise en scène est repliée sur elle-même, gênée par la parole envahissante et qui ne laisse place à aucune ambiguïté. Seuls les flashbacks sont intéressants dans leur non-dits, mais c'est insuffisant, tellement leur place reste éphémère... Il n'y a aucun soucis avec tous les thèmes sociologiques et politiques abordés par le film, mais faudrait-il savoir les mettre en scène au-delà d'un exposé en plans séquences. Le film sort en salles le 23 Novembre.

Copyright SRAB FILMS ARTE FRANCE CINÉMA 2022


Chronique d'une banlieue ordinaire (1992) de Dominique Cabrera. A Mantes-la-Jolie, trois tours HLM du Val-Fourré ont été vidés de leurs habitants et sont destinées à la destruction complète. La cinéaste a alors l'idée d'évoquer les 20 ans d'histoire de ces tours, en y faisant revenir certains de ses anciens habitants. Ceux-ci retrouvent leur ancien appartement totalement vide, et partagent des souvenirs et leur émotion. Dominique Cabrera fait preuve d'une grande qualité d'écoute, en se contentant d'observer respectueusement toutes ces personnes. Une grande humanité traverse ce documentaire, qui écoute et reçoit toutes les émotions diverses, en même temps qu'il s'imprègne de l'histoire d'un espace. La caméra circule tel un fantôme entre les pièces, et tel un explorateur dans les couloirs. Une plongée intimiste où l'image cherche à recueillir les vestiges d'un lieu qui donnait tant de promesses.


SÉANCES SPÉCIALES


Les démons de Dorothy (2021) d'Alexis Langlois. Court-métrage très intéressant dans les délires et débordements visuels qu'il propose, dans sa prise de liberté fantaisiste et outrancière qui lui procure une vraie liberté de création. Le réel se laisse envahir par l'imaginaire mental et rêveur, pour offrir un refuge à sa protagoniste qui en a bien besoin. C'est une jolie mise en abîme de la difficulté à créer dans la marge (notamment au cinéma), à faire entendre une voix queer. Toutefois, le film pêche par un regard davantage candide et frivole qu'il n'est subversif et désinvolte. Même si la parodie reste agréable à suivre, que ce soit par ses effets et sa dérision constante, c'est un bonbon acidulé assez inoffensif.

Copyright Shellac Distribution


Le parfum vert de Nicolas Pariser. Après deux films où la politique avait une place centrale dans la narration et la mise en scène à la fois, elle est davantage un contexte entre les lignes ici. Dans ce film dans une promesse d'ambiance entre Tintin et Hitchcock (les références à « La mort aux trousses » et « L'homme qui en savait trop » sont évidentes), le cinéaste se libère d'une compacité pour tendre vers une fantaisie. Alors il s'agit bien d'un pastiche, aux nombreuses références. Et il ne faut pas voir plus loin que cela, il n'y a pas besoin de vouloir davantage (comme un film qui parlerait de la montée du fachisme, alors qu'il s'agit juste d'un thriller déjanté). En prenant le film tel qu'il est, avec ce qu'il a proposé, il est fort agréable. Son absurdité lui permet d'être à la fois dans le mouvement permanent et dans la fuite, d'être à la fois un thriller modeste et une petite satire. Le caractère perdu et déjanté colle parfaitement à Vincent Lacoste, autant que le caractère frivole et curieux colle parfaitement à Sandrine Kiberlain. Même si leurs personnages sont bien davantage que cela. Tout comme le film, qui réussit à être un mélange de formes : Nicolas Pariser continue de jouer sur les mots, tout en rendant hommage au théâtre, à la bande dessinée et aux polars des années 1940 à 60. Alors que la mise en scène qui part dans plusieurs directions et plusieurs espaces pourrait perdre son regard, le cinéaste réussit à tenir son ton et à garder en ligne de mire son objectif de grand final. Dans les réminiscences discrètes du fachisme, Nicolas Pariser distille toute une mélancolie dans toutes les formes qu'il met en place. Entre une narration très référencée et une mise en scène loufoque portée par la bande dessinée, les images fourmillent d'élégance, de tendresse, de loufoquerie, d'ambiguïté, de chorégraphie de plusieurs regards. Même si le film est plus convaincant dans ses mouvements entre les espaces, sa sophistication est aussi humble que le duo de personnages n'est normalement pas fait pour enquêter. Comme si la loufoquerie qu'insuffle le cinéaste se retrouvait ici par hasard. Le film sort en salles le 21 Décembre.

Copyright Bizibi


LE PALMARÈS


Grand prix : How to save a dead friend de Marusya Syroechkovskaya


Prix du jury : Our lady of the chinese shop d'Ery Claver


Prix documentaire sur grand écran : Children of the mist de Hà Le Diem


Mention spéciale du jury : Alma viva de Cristèle Alves Meira


Mention spéciale du jury : About Kim Sohee de July Jung


Prix du jury étudiants : Children of the mist de Hà Le Diem


Mention spéciale du jury étudiant : About Kim Sohee de July Jung


Prix du public : About Kim Sohee de July Jung


Prix du jury court-métrages : Urban solutions de Arne Hector, Vinícius Lopes, Luciana Mazeto, Minze Tummescheit


Rendez-vous à la prochaine édition, du 10 au 18 Novembre 2023 !


Teddy Devisme