[CRITIQUE] : Azor
Avec : Fabrizio Rongione, Stéphanie Cléau, Carmen Iriondo, Juan Trench, …
Distributeur : Next Film Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Suisse, Argentin, Français
Durée : 1h40min
Synopsis :
Yvan De Wiel, banquier privé genevois, se rend dans une Argentine en pleine dictature pour remplacer son associé, objet des rumeurs les plus inquiétantes, qui a disparu du jour au lendemain. Entre salons feutrés, piscines et jardins sous surveillance, un duel à distance entre deux banquiers qui, malgré des méthodes différentes, sont les complices d'une forme de colonisation discrète et impitoyable.
Critique :
Avec un talent certain pour garder une tension latente, Andreas Fontana filme un monde bourgeois qui doit se réinventer pour perdurer. #Azor nous parle sans dire, nous montre sans nous faire voir, en marge du monde réel. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/FbL7xi1tL0
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 6, 2022
Pour son premier long métrage, Andreas Fontana nous emmène dans l’ambiance feutrée des salons mondains, où se joue d’importantes sommes d’argent. Azor, qui en patois suisse signifie « fais attention à ce que tu dis », glisse comme du velours. Rien ne dépasse, tout est raffiné, de bons goûts. Les discussions ne sont que des circonvolutions autour d’un thème précis, que l’on ne révèle jamais franchement.
Cette discrétion, le réalisateur l’imprègne directement dans sa mise en scène. Il se dégage une atmosphère désuète d’un autre temps, celle où dire frontalement les choses était considéré comme vulgaire. C’est lentement qu’Azor distille son récit, comme s’il ne fallait surtout pas bousculer les événements. Ils découlent des choix minimes que fait Yvan de Wiel, banquier privé suisse, venu en Argentine reprendre le flambeau de son associé disparu, Reys. Celui-ci hante le film comme un fantôme, présence diffuse mais menaçante dans les affaires de De Wiel. Sa disparition est un point d’interrogation d’un récit minimaliste au possible. C’est dans le small talk, dans les différentes rencontres du banquier et de sa femme, Inès, que se fondent les enjeux du films : garder les anciens clients et en ramener des nouveaux.
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Azor ne livre pas tout de ses enjeux, gardant sa part de mystère tout le long. Dans sa mise en scène, simple mais précise ne niche un ton policier d’antan, lorgnant vers les œuvres françaises des années 60. La bourgeoisie va mal, a peur et se retranche d’autant plus dans son petit monde capitonné. Tout est dit dans le secret le plus total, on chuchote, on regarde derrière son épaule si personne ne nous écoute. C’est un monde avec ses propres règles, que Reys, cet associé absent, a détourné à ses fins. Nous en venons même à nous demander si le personnage n’a pas été supprimé justement parce qu’il devenait un électron libre. Libre, donc dangereux. De son côté, De Wiel nage dans ce milieu depuis son enfance et connaît les limites. Dépeint avec beaucoup de sarcasme et d’humour par Scorsese dans Le loup de Wall Street, le banquier suisse est ici plus nuancé. Son rôle est de rassurer mais d’empocher quand même l’argent, un numéro d’équilibriste particulièrement difficile à effectuer. Un pas de travers et c’est la chute dans le vide. L’environnement que choisit Andreas Fontana, l’Argentine des années 80 dont la dictature (confortable pour les plus riches) commence doucement à vaciller, est propice à ce monde feutré. Cette menace sourde permet au réalisateur de distiller une atmosphère tourmentée : la bourgeoisie vacille et sent sa fin imminente.
Si le monde que dépeint Azor nous paraît si désuet c’est parce qu’il s’éloigne de notre monde moderne. Comme la place des femmes par exemple, tenues d’être des épouses, des mères, des plantes vertes. Inès accompagne son mari pour charmer les clients, mais doit vite disparaître quand les affaires commencent. Le verbe remplace le poing, à l’image des félicitations que balance De Wiel à un de ses rivaux, lors d’une soirée mondaine. Mis à l’écart, des femmes et du peuple, les hommes peuvent comploter tout leur soûl. Rien n’est montré, rien n’est dit évidemment, mais le public comprend vite que Lazaro, un client mystère, se rapproche dangereusement des affaires politiques et de la répression dictatoriale.
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Avec un talent certain pour garder une tension latente, Andreas Fontana filme un monde bourgeois qui doit se réinventer pour perdurer. Azor nous parle sans dire, nous montre sans nous faire voir, en marge du monde réel. Toujours au bord de quelque chose (du secret, de la vérité), le film pourrait être frustrant s’il n’était pas aussi réussi dans cette chose indéfinie, en creux d’une révélation ultime.
Laura Enjolvy