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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Voyage à Deux


Réalisateur : Stanley Donen
Avec : Audrey Hepburn, Albert Finney, Eleanor Bron,…
Distributeur : Ciné Sorbonne
Budget : 4 000 000 $
Genre : Romance, Comédie Dramatique.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h53min

Date de sortie : 6 septembre 1967
Date de reprise : 13 juillet 2022

Synopsis :
Joanna et Mark Wallace se sont rencontrés dans le Sud de la France douze ans auparavant. En couple, puis mariés, ils se disputent énormément, à tel point qu’ils pensent au divorce. Ils partent en voyage sur la Côte d’Azur, le moment pour eux de se remémorer leurs précédents voyages, leurs bons et mauvais moments dans un kaléidoscope de leurs années de jeunesse. Leurs chemins peuvent-ils se séparer ?



Critique :


Il est infiniment plus intéressant de comparer le chef-d'oeuvre (n'en déplaise à une critique américaine totalement à côté de la plaque) Voyage à Deux d'un Stanley Donen dont le cinéma était en pleine mutation (où plutôt libération, comme les 60s), à une autre oeuvre comptant au plus près les vicissitudes de la vie conjugale telle que Scènes de la vie conjugale d'Ingmar Bergman, plutôt que de l'opposer à la ribambelle de films romantiques nord-américains - où même européens - sortis dans sa foulée.
S'il est évident que les deux approches, que ce soit d'un point de vue formel où tonal, sont diamétralement opposés, Bergman enfermant - littéralement - son couple dans un huis clos anxiogène où sa mise en scène faîte de gros plans oppressants, tend à montrer l'étouffement lancinant qu'incarne le mariage, alors que Donen préfère opérer sa dissection à ciel ouvert et sur la route (so Hollywoodien), une vision allégorique (les différents parcours sont à voir comme un miroir des différentes étapes par lesquelles passe la vie conjugale), un road movie intégral au fil du temps; les deux se rejoignent parfaitement et se complètent même dans une idée radicale et férocement amère du mariage et, finalement, la réelle difficulté (impossibilité ?) pour l'homme et la femme de vivre heureux ensemble.

Copyright Ciné Sorbonne

Une dissection crue de l'amour conjugal que l'on retrouvera plus de trois décennies plus tard, toujours avec la plume fantastique de Frederic Raphael, dans le dernier long-métrage de feu Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut...
Furieusement ancré dans son époque comme aucun autre film de Donen (voire même très peu de films américains des 60s), tout autant qu'il ne dénote pas tant de ses efforts les plus populaires, le cinéaste laisse transpirer son besoin de mouvement non pas par la danse, mais par une chorégraphie au tempo tout aussi bien huilé et sans fin, où les costumes tout comme la musique, ont un rôle essentiel : celle d'un voyage qui emprunte et répète les mêmes routes, témoins goudronnés d'une première rencontre dont la fraicheur et l'enthousiasme va vite se faner au gré des saisons et des tromperies diverses.
Déconstruction subtile et habile de la comédie romantique usant d'une structure non-linéaire savamment empruntée à la Nouvelle Vague (même la partition obsédante de Mancini convoque Un Homme et une Femme de Lellouche), le film présente simplement mais avec dynamisme les différentes phases entre bonheur et tristesse de la relation entre Joanna et Mark, de l'engouement initial à la redoutable monotonie après des années de vie commune, traversant des épisodes sans fin de doutes, de désaccords, d'infidélités et de réconciliations souvent passionnées.

Copyright Ciné Sorbonne

Toute la narration se bâtie sur plusieurs épisodes clés qui structurent son propos (la première rencontre de Joanna et Mark en France, après que les compagnons de vacances de Joanna soient tombés malades d'une épidémie de varicelle; leur premier voyage en tant que jeunes mariés, en compagnie de l'agaçante famille Manchester; les premières vacances avec leur propre voiture où pointe les premiers reproches voilés à l'égoïsme de Mark; un voyage de vacances avec leur fille Caroline, après que Joanna ait été témoin d'une infidélité de son mari, étape clé de la désaffection que traverse le mariage; ou encore un voyage d'affaires où Joanna rencontrera David, avec qui elle aura une brève histoire d'amour; et une fête, qui marquera les retrouvailles de Joanna et David, qui aura pour conséquence une nouvelle dispute conjugale lors du voyage de retour), des segments qui s'épousent et s'alternent de façon non linéaire, pour mieux former une fresque où les rencontres et les désaccords du couple se succèdent sans rompre la continuité du fil discontinue de leur vie.
Fresque dans laquelle Donen distille des avertissements férocement évocateur quant au destin du couple (un tableau d'un couple marié assis à une table du restaurant sans échanger un seul mot, accroché dans une modeste chambre d'hôtel lors de leur première nuit ensemble; une cérémonie de mariage entraperçue de leur voiture,...).

Copyright Ciné Sorbonne

Dans une sorte de jeu du chat et de la souris frivole au montage parfait, Donen s'amuse de ces petits instants antagonistes et faussement futiles, pour démontrer comment un regard peu changer et comment la réalité peut être interprétée selon la vie que l'on mène, et les situations/maux que notre couple peut traverser, comment de petits détails peuvent paraître insignifiants lorsque l'on est heureux (retards, intempéries), mais être de véritables sources de conflits en des temps plus sombres.
Plus qu'une auscultation réaliste et sophistiqué de la vie conjugale, porté par un regretté couple Albert Finney/Audrey Hepburn instantanément empathique et à l'alchimie incroyable (un de leurs plus beaux rôles à tous les deux), Voyage à Deux montre comment les échecs successifs et les réconciliations de plus en plus fragiles d'une union jadis euphorique, ne sont que le fruit désolé d'un inévitable corsetage causé par l'institution même du mariage.
Où comment signer une oeuvre romantique à la fois magique, euphorique et nostalgique avec une acuité proprement exceptionnelle : on a bien dit chef-d'oeuvre.


Jonathan Chevrier
  

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