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[CRITIQUE] : Tempura


Réalisatrice : Akiko Ohku
Acteurs : Non, Kento Hayashi, Ai Hashimoto,...
Distributeur : Art House
Budget : -
Genre : Comédie, Drame, Romance.
Nationalité : Japonais.
Durée : 2h13min.

Synopsis :
Depuis toujours, Mitsuko vit dans sa bulle. Au cœur d’un Tokyo trop grand pour elle, elle se consacre avec passion à des recettes de cuisine qu’elle peaufine de son petit appartement. En célibataire épanouie, elle se fixe chaque jour de nouveaux défis jusqu’à celui inédit… d’inviter un garçon à dîner !



Critique :


On dit souvent que se parler à soi-même est le premier signe de la folie alors qu'il n'y presque rien de plus universel que de le faire, d'autant que pour certains d'entre nous, cette voix intérieure est la seule once de confiance que nous ayons dans un monde de plus en plus oppressant. 
C'est le cas de Mitsuko, une jeune femme qui vit et travaille dans des bureaux à Tokyo. 
Elle a beau sembler confiante à l'extérieur en raison de ses sourires radieux, mais elle est en fait confrontée à une profonde angoisse existentielle de se connecter aux autres, une peur sensiblement nourrie par la stigmatisation profonde d'une société nippone (mais pas que) ne comprenant pas toute personne vivant seule - et qui plus est par choix.
Sa méthode pour surmonter l'embarras est de papoter à sa propre voix intérieure, un ami imaginaire/coach de vie/psychologue maison nommée " A " (excellent Tomoya Nakamura) qui agit pour elle comme un ami la poussant à faire les choses qu'elle veut faire tout en incarnant une voix sympathique et compatissante quand elle hésite trop et n'agit pas.

Copyright Art House

Grâce à ce procédé protecteur, Mitsuko s'est créé un style de vie célibataire confortable grâce au soutien constant de cette voix, autant conscience que conseillère qui lui donne la confiance nécessaire pour faire face à l'épineuse question de traiter avec autrui, mais qui l'avertit qu'elle fait également essentiellement partie d'elle et qu'elle ne fait que se parler à elle-même - ce qui réserve de jolis instants drôles et lunaires.
Mais cet équilibre est bousculé lorsque Mitsuko est déchirée entre vouloir que sa vie de célibataire paisible avec "A" continue et lorsqu'elle réalise qu'elle est tombée amoureuse de Tada (Kento Hayashi), un vendeur timide mais adorable à qui elle donne des repas faits maison.
Il a deux ans de moins qu'elle et ce petit écart d'âge suffit à lui seul à inquiéter Mitsuko, mais son amour est un sentiment de longue date qu'elle ne peut plus ignorer, d'autant plus que Tada semble avoir le béguin pour elle.
Et si "A" n'était finalement plus un artifice pour se protéger, mais finalement un prétexte pour se retenir à pleinement vivre sa vie ?
Porté par une inventivité folle, Akiko Ohku, qui adapte ici une nouvelle fois un roman de Risa Wataya, use des artifices de la comédie romantique pour mieux dresser un doux et captivant portrait de femme complexe et solitaire (superbe Non), une héroïne aussi vulnérable et forte qu'elle est résolument moderne et savoureusement excentrique, emproit à une anxiété sociale et à de douloureuses crises d'angoisse.

Copyright Art House

Une femme introvertie dont la peur d'agir et d'avoir une intimité avec les autres proviennent de soucis liés à sa frustration et son manque d'avancement professionnel, son syndrome de l'imposteur ou encore un harcèlement et une objectivation sexuelle totalement banalisées.
Des expériences universelles qu'elle utilise comme des raisons pour justifier de ne pas s'impliquer avec les autres ou de changer sa vie de peur d'être blessée, et la voir déchirée par sa solitude et se cacher de la douleur, par la force d'une mise en scène célébrant autant sa folie qu'elle rend palpable ses maux, élève totalement une romance qui tend à la fois vers la comédie potacho-burlesque, et le drame intime et sombre.
Ancrant pleinement son auditoire dans sa vision sympathique du monde de Mitsuko, dont la bravoure arrive peu à peu à vaincre son angoisse existentielle, Tempura joue joliment la carte de l'introspection et croque un merveilleux petit bout de fable vivifiante et touchante, dont on ressort totalement charmé.
Une vraie et belle surprise de cet été ciné 2022.


Jonathan Chevrier