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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Medée


Réalisateur : Pier Paolo Pasolini
Acteurs : Maria Callas, Massimo Girotti, Guiseppe Gentile,...
Distributeur : Carlotta Films
Budget : -
Genre : Drame, Fantastique.
Nationalité : Italien.
Durée : 1h50min.

Date de sortie : 28 janvier 1970
Date de ressortie : 20 juillet 2022

Synopsis :
Médée la magicienne, fille du roi de Colchide, voit arriver sur sa terre le prince Jason venu enlever la Toison d’Or, l’idole de son peuple. Tombée folle amoureuse du jeune Grec, elle trahit sa famille et son pays en dérobant pour lui la Toison d’Or et s’exile à ses côtés. Des années plus tard, alors qu’elle lui a donné deux enfants, l’homme pour qui elle a tout abandonné se détourne d’elle pour une femme plus jeune...



Critique :


Médée constitue le dernier - et sublime - maillon de ce qui peut se voir comme le cycle " Mythique " de Pasolini - avec Œdipe Roi, Teorema et Pocilga sortie la même année - , sorte d'oeuvre réponse/miroir logique au premier film cité, lui aussi basé sur une célèbre tragédie (Sophocle pour Œdipe, Euripide ici, même s'il reprend des événements antérieurs à son texte), où cette fois ce n'est plus un fils qui a tué et provoqué la mort de ses parents, mais bien une mère qui a assassiné sa propre progéniture, par vengeance envers son mari Jason.
Si la substance de tout mythe est ontologique et absolue, Pasolini démontre avec habileté comment il trouve sa propre réincarnation chez l'homme moderne, en revenant à la relation syncrétique et symbiotique entre l'Homme et la Nature, pour mieux asséner ses flèches contre la société contemporaine - ici post-Seconde guerre mondiale - écrasée par le conformisme, la productivité de masse et le simulacre du progrès technocratique, qui annhile toute identité culturelle (urbanisation, gentrification où encore industrialisation féroces et massives).
Et cette réflexion, chère à la filmographie du cinéaste, trouve du corps dans le mythe de Médée, prêtresse de Colchide, témoin d'une culture liée à une foi religiosité archaïque - plus proche de la sorcellerie qu'autre chose - qui régit totalement le rythme de sa vie quotidienne, qu'elle va trahir sa foi pour suivre par amour l'hellénique Jason, venu sur ses terres récupérer la Toison d'or, peau de une chèvre aux pouvoirs thaumaturgiques.

© 1969 SNC. Tous droits réservés.

Le cinéaste italien use la dichotomie et du choc des cultures entre le monde ritualisé de Médée (reflet de la répression socioculturelle et des peuples marginaux colonisés) et la rigidité égoïste et sous-prolétariat de celui de Jason, obsédé par le pouvoir (reflet des colonialistes européens), pour mieux pointer du bout de la pellicule comment mythe et réalité ne cessent de continuellement se confondre dans notre société tant l'un est à la base de l'autre que chacun se nourrit de l'autre au quotidien
Ici, il pointe la coexistence entre un passé ritualisé et un présent désacralisé, entre le sacré et la raison/profane, pour mieux exposer sa critique sociale dans laquelle émerge autant les ravages de l'évolution contemporaine, que ceux de la manipulation/exploitation de l'homme machiavélique sur la femme - totalement objectivée -, dont la liberté n'est réduite qu'à l'image et au besoin religieux et machiste de la maternité.
Une marginalisation/humiliation sociale et intime couplée a une trahison sentimentale, qui finira par imploser de l'intérieur dans l'affirmation vengeresse et la manifestation tragique des pouvoirs de Médée (incroyable Maria Callas).
Trouvant sa force, comme souvent chez Pasolini, dans l'union entre une réflexion ontologique et une approche cinématographique rudimentaire et épurée - le " cinéma du réel ", ici en parfaite cohérence avec l'évocation du mythe, Médée, au-delà de la réappropriation exigeante et personnelle, est une merveille d'oeuvre sèche et sans concession sur l'origine primitive des croyances de l'homme, un douloureux et barbare poème qui laisse un délectable goût de cendre dans le palais.


Jonathan Chevrier


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