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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Les Enchaînés


Réalisateur : Alfred Hitchcock
Avec : Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains,...
Distributeur : Ciné Sorbonne
Budget : 2 000 000 $
Genre : Policier, Romance, Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h42min

Date de sortie : 19 mars 1948
Date de ressortie : 27 juillet 2022

Synopsis :
Alicia, fille d'un espion nazi, mène une vie dépravée. Devlin lui propose de travailler pour les États-Unis afin de réhabiliter son nom. Elle épouse donc un ancien ami de son père afin de l'espionner. Devlin et Alicia s'aiment sans oser se l'avouer, attendant chacun que l'autre fasse le premier pas. Lorsque le double jeu d'Alicia est découvert, son mari décide de l'empoisonner.



Critique :



Même s'il ne fait - injustement - jamais totalement partie de la conversation lorsque l'on énumère les plus importants efforts du maître Alfred Hitchcock, Notorious (Les Enchaînés par chez nous, et pour une fois un titre finalement plus juste et évocateur que celui original) n'en reste pas moins pourtant l'une de ses oeuvres les plus fascinantes et complexes de sa filmographie, dominée par l'iconique couple Cary Grant/Ingrid Bergman - qui tournaient pour la première fois ensemble devant sa caméra.
Une vraie pépite de thriller romantico-tortueux dont la restauration somptueuse couplée à sa - timide - ressortie en salles, en fond une (re)découverte si ce n'est essentielle, au minimum férocement immanquable.
Embaumé dans un noir et blanc enivrant (plus encore que pour Rebecca), le récit s'attache aux aléas de T.R. Devlin, un espion américain dont la mission est de traquer les nazis qui ont fui au Brésil après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Lorsqu'une opportunité se présente d'infiltrer un cercle d'espionnage infâme, dirigé par une cible hautement prioritaire, Alexander Sebastian, Devlin persuade Alicia Huberman, fille d'un espion allemand condamnée à une longue peine de prison, de s'envoler vers Rio pour infiltrer le groupe.
Le hic c'est qu'Alicia est vite prise entre les affections de Sebastian, qui l'a aimé dans une autre vie, et Devlin pour qui elle doit réprimer ses sentiments pour mener a bien sa mission...

Photograph: SNAP/REX Shutterstock

Usant d'une période politique trouble comme d'un terreau parfait pour aborder des thématiques captivantes (l'amour opposé au devoir, la traque ambiguë des nazis que l'on pourchasse autant que l'on soutient, la naissance d'une Guerre Froide qui n'est pas encore nommée, le marché de l'uranium et la terreur atomique, l'objectivation inhumaine de la femme,...), Hitchcock s'amuse du cynisme enveloppant son intrigue en apparence simple (l'opposition facile entre le bien et le mal), pour mieux nouer autant une quête purgatoire/rédemptrice qu'une romance inhabituelle et étrange au coeur d'un récit d'espionnage au suspens grimpant crescendo jusqu'à un final à la puissance incroyable.
Cynique jusqu'au bout de la pellicule, jusque dans son génie pour susciter l'empathie là où on ne l'attend pas (le personnage de Sebastian) mais aussi et surtout pour contourner les censures absurdes et vicieuses du code Hays, gardien des moeurs faussement puritaine de l'Amérique des 40s/50s (un baiser ne doit pas excéder 3 secondes : il les multipliera toutes les 3 secondes pendant près de deux minutes !), le cinéaste n'en sublime pas moins la sombre romance croissante (l'une des plus nuancée émotionnellement et mature de toute la filmographie du bonhomme) et toute en tension (comme souvent, le Hitch crée son suspense à partir de peu où rien) où surnage une Ingrid Bergman littéralement à tomber, toute en vulnérabilité, en confusion et en sincérité dévastatrice.
Sous les sonorités aériennes de Roy Webb, Les Enchaînés met autant à l'épreuve qu'elle oppose l'humanité face au poids écrasant de son (récent ici) passé, dans un uppercut qui même avec sept décennies au compteur, n'a strictement rien perdu de sa superbe.


Jonathan Chevrier