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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Le Soldatesse


Réalisateur : Valerio Zurlini
Avec : Tomas Milian, Marie Laforêt, Anna Karina, Léa Massari, Mario Adorf,…
Distributeur : Les Films du Camélia
Genre : Drame, Guerre
Nationalité : Italien, Français, Allemand
Durée : 2h00min

Date de sortie : 31 août 1966
Date de reprise : 20 juillet 2022

Synopsis :
1942, en Grèce, le lieutenant d’infanterie Gaetano Martino reçoit à contre-cœur l’ordre d’escorter jusqu’à leurs « postes de travail » respectifs un groupe de prostituées destinées aux soldats. Pour l’accompagner, le jeune officier désigne le sergent Castagnoli, un Toscan d’âge mûr, plutôt sympathique. Au cours du voyage, Gaetano se découvre peu à peu solidaire de ces jeunes filles dont la plupart ont accepté ce travail pour survivre.


Critique :


L’année 2022 se place sous le signe des reprises italiennes. Une occasion en or de (re)découvrir sur grand écran des pans trop méconnus du cinéma italien, les cinéastes qui ont su explorer les tréfonds de l’âme humaine, tout en y intégrant une fenêtre politique et sociale sur leur époque.

Valerio Zurlini est de cette trempe. Une filmographie rare et éparse, à l’opposé de la productivité de l’industrie italienne des années 60/70. Dans ses huit films, il nous partage son obsession des vies marquées, des cicatrices où émergent des sentiments divers. Il y a cette injustice diffuse dans son œuvre ; les rapports de force, que ce soit au niveau de la classe sociale ou du genre, se trouvent au cœur de ses films. Le Soldatesse (sorti en 1966 sous le titre peu subtil Des filles pour l’armée) apparaît comme un condensé des obsessions de Zurlini. Un regard sans concession sur la Seconde Guerre Mondiale et le fascisme dans lequel s’est enfermé l’Italie.

© Les Films du Camélia

Le cinéaste ne fait pas dans la dentelle et préfère positionner son public en témoin rigoureux. Le début de Le Soldatesse retrace l’histoire de l’occupation de la Grèce par l’Italie, puis montre ce que le texte nous a exposé : une guerre sans merci où les corps des jeunes recrues jonchent le sol. La misère a posé ses valises à Athènes, la « ville des morts », la caméra de Zurlini capte la détresse et la famine. Dans ses choix de cadre — principalement centrés sur les visages et sur les mains — on retrouve l’humanisme du réalisateur et son besoin de donner un visage à la désolation, comme s’il était impossible de délier l’humain des événements historiques.

Il n’est pas question d’être neutre. Le regard du cinéaste italien est dur et met la complaisance au placard. Le corps militaire est filmé dans un réalisme criant. La responsabilité et les choix des militaires se trouvent au cœur du récit. Doit-on obéir aux ordres, même si ceux-ci sont injustes, violents et humiliants ? Valerio Zurlini est catégorique, il existe une responsabilité partout, des plus petits grades jusqu’aux grandes pontes militaires. Ainsi, Martino (Tomas Milian), le lieutenant chargé d’une mission un peu spéciale, voit ses choix remis en question quand il est confronté à sa marchandise, qu’il doit acheminer en Grèce et en Italie. Un convoi de femmes, grecques pour la plupart, qui font le choix de fuir la misère et la famine en intégrant les bordels militaires. « Les soldats italiens supportent toutes les privations sauf celle-ci » ironise le sergent Castagnoli (Mario Adorf) à la vue du camion.

© Les Films du Camélia

Le Soldatesse creuse la corrélation entre la misère et les rapports de force genrés. Le peuple grec, mis à genou par une Italie fasciste, doit survivre dans un paysage détruit où la vie et l’espoir n’existent plus. Et comme bien souvent, ce sont les femmes qui doivent se soumettre à un système patriarcal où leur corps devient marchandise. Les femmes du convoi sont là par choix mais le cinéaste n’est pas naïf et nous dévoile les dessous de ce choix. Un magnifique monologue, interprété par Anna Karina, fait prendre conscience à Martino et au public que la faim passe au-dessus de la dignité. C’est une guerre différente que nous montre le film, celle de la résignation. Le titre original fait d’ailleurs référence à cela, dont la traduction littérale serait “les femmes soldats”. Le corps militaire est à prendre au premier degré, ce sont les corps féminins qui deviennent la seule barrière face à la misère.

Sorti le 31 août 1966 dans l’indifférence, nous avons enfin une deuxième chance pour reconsidérer le film de Valerio Zurlini. Le Soldatesse est à voir pour ce qu’il est, un véritable pamphlet anti-fasciste, qui refuse de verser dans le récit complaisant et symbolique pour montrer l’Histoire des vaincu⋅es.


Laura Enjolvy