[FUCKING SERIES] : Stranger Things saison 4, volume 1 : A Nightmare on Hawkins
Le fait que Stranger Things épouse pleinement l'idée de proposer - enfin - quelque chose de différent à l'heure où elle semble enclencher son ultime virage (la cinquième saison ?), incarne à la fois une belle promesse qu'un potentiel danger pour un show qui n'a jamais totalement su voguer en dehors de ses marques initiales.
En trois ans d'attente, tout change et encore plus dans une réalité qui est passé par une pandémie mondiale, un écueil auquel la série est obligée de se confronter tant ses jeunes héros ne sont plus totalement des enfants stars au crepuscule de leur pouvoir précoce, et Stranger Things n'est plus qu'un simple show star à l'importance démesuré au sein du catalogue foisonnant de Netflix (qui n'a pas hésité à dégainer à fond les produits et licences pour capitaliser sur son succès monstrueux).
Cela frappe aux yeux dès les premières secondes de cette nouvelle saison à la structure étrange (sept épisodes à la durée plus qu'étirée, que suivront deux autres d'ici quelques semaines) : il est difficile de se dire que quelques mois ont passés à Hawkins, alors que les jeunes protagonistes - sauf peut-être Dustin - ne sont plus les mêmes.
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Depuis qu'il est devenu clair et évident que Stranger Things était conçu pour s'inscrire dans la durée, les poussées de croissance imminentes du casting a largement été considérée comme une bombe à retardement, plus menaçante encore que n'importe quel monstre de l'Upside Down.
Un mal pour un bien, qui permet cette fois aux Duffers de pleinement confronter ses jeunes héros aux affres et épreuves de l'adolescence autant qu'à la dure réalité de la jungle lycéenne.
Une évolution non-négligeable puisqu'elle permet à la série de quitter le carcan usé jusqu'à la moelle après trois saisons, de l'hommage à Amblin pour voguer vers celui tout aussi familier mais plus grisant de l'horreur mature (Hellraiser, A Nightmare on Elm Street, Amityville, Carrie, Le Silence des Agneaux,...) mais également d'arpenter celui tout aussi iconique des teen movies de John Hughes.
Avec une Eleven dépouillée de ses pouvoirs, prise à partie par les jeunes de son âge et se cachant en Californie avec le clan Byers, les premiers épisodes de cette nouvelle saison n'ont jamais été plus éloignés de ce qui faisait la recette du show par le passé où l'aspect savamment naïf et coloré de l'époque sert non plus d'artifices pour appâter la nostalgie du spectateur, qu'une toile de fond vivante et vibrante pour nourrir des conflits intimes palpables et empathiques.
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S'ils sont évidemment toujours aussi habiles pour dégainer comme ce n'est pas permis toutes les références possibles à la pop culture de l'époque, les Duffer se montrent étonnamment perspicace pour dépeindre la sauvagerie subtile et douloureuse de la jungle lycéenne (tout autant que pour la détresse liée au deuil, cette fois-ci double avec Eleven mais surtout Max), où le désir d'acceptation est souvent plus fort que tout et où l'amitié fait parfois difficilement face à la réalité d'intérêts désormais différents.
Une maturité salutaire qui se retrouve de facto dans leur gestion du surnaturel, qui prend ses racines dans une menace à la fois plus physique (avec une violence gore décomplexée) et psychologique : Vecna (un nom une nouvelle fois tiré de Donjons et Dragons), sorte de fusion entre les White Walkers de Game of Thrones et Freddy Krueger, qui hante les rêves de ses victimes désespérées et fragiles, les isole du monde avant de réclamer leurs âmes.
Un vilain charismatique et badass, qui tranche clairement avec son prédécesseur - Mind Flayer -, puisque la narration lui donne autant un background fascinant (intimement lié à Eleven) qu'un dialogue qui donne du corps à ses motivations - sans oublier un design léché qui le rend authentiquement effrayant.
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Mais pour un spectacle qui fétichise autant le/notre passé, il n'y a finalement rien d'étonnant à ce que ses plus flagrants soucis résident justement dans ce mojo initial, et ici représenté par sa propension à ne pas pouvoir laisser derrière lui ce qui ne lui est plus vraiment - ou ne semble plus vraiment - utile, comme sa volonté de faire perdurer la présence de personnages de plus en plus tangents à l'intrigue, isolés dans des sous-intrigues qui peinent à rallier la principale.
Si la mort de Hopper (de loin l'un des personnages les plus attachants de la série, dont le traitement au coeur de la saison 3 s'avérait proprement indigne) était un marqueur essentiel pour le basculement adulte du show, obligeant les jeunes héros à basculer dans la dureté de la vie d'adulte expurgée de leur insouciance juvénile (il est vrai déjà bien éprouvée).
Le faire revenir trahit alors non seulement une intention scénaristique louable qu'une peur évidente de s'aliéner une partie des fans refusant son départ, ce qui amène ici les Duffer à l'embarquer dans une sous-intrigue au coeur d'une prison russe (mais aussi Joyce à sa recherche), qui ne semble mener si ce n'est nulle part, au moins bien loin de ce qu'aurait pu amener la gestion émotionnelle de sa perte auprès de ceux qui l'aimait.
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Ce refus de lâcher prise est, peut-être, l'épée de Damoclès qui pourrait jouer des tours à terme à cette nouvelle saison et la suivante, combiné au besoin insatiable du tandem de jouer la carte du bigger and longer dans l'expansion de son monde et de sa mythologie, doublant voire triplant la durée de ses épisodes au risque d'essorer un enthousiasme renouvelé par ce virage mature et horrifique.
Si quelques épisodes peuvent parfois traîner un brin en longueur (même si le plaisir procuré par ce retour reste intégralement intact), on espère que sa conclusion - deux épisodes de deux heures - se privera de ses quelques stagnations fastidieuses pour amener Stranger Things sur les rails de son chant du cygne qui, sur le papier, pourrait très bien être grandiose vu cette mise en bouche.
La balle est dans le camp des Duffer...
Jonathan Chevrier