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[CRITIQUE] : Nitram


Réalisateur : Justin Kurzel
Acteurs : Caleb Landry Jones, Essie Davis, Judy Davis, Anthony LaPaglia,...
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Australien.
Durée : 1h50min.

Synopsis :
En Australie dans le milieu des années 90, Nitram vit chez ses parents, où le temps s’écoule entre solitude et frustration. Alors qu'il propose ses services comme jardinier, il rencontre Helen, une héritière marginale qui vit seule avec ses animaux. Ensemble, ils se construisent une vie à part. Quand Helen disparaît tragiquement, la colère et la solitude de Nitram ressurgissent. Commence alors une longue descente qui va le mener au pire.



Critique :


Il n'y a sans doute rien de plus effrayant pour tout parent, que de s'apercevoir que l'on élève un enfant que l'on ne peut ni gérer ni comprendre, et c'est cette peur viscérale et insondable qui sert de coeur au puissant et glaçant Nitram de Justin Kurzel, fictivement vissé sur le jeune homme responsable de la fusillade de masse à Port Arthur en Tasmanie le 28 avril 1996, ayant tué 35 personnes et blessé 23 autres.
Un cauchemar captivant dont la noirceur se décèle dès son titre furieusement évocateur : Nitram, le surnom avec lequel le personnage était moqué à l'école, épellation inversée de son prénom tout autant que symbole d'un être déséquilibré aussi dangereux qu'indéchiffrable, voguant volontairement dans la direction totalement inverse de ceux qui l'entoure - il n'a pas d'amis, pas de vie sociale et encore moins de capacité d'interaction avec les autres.
Si sa mère le voit comme un extraterrestre incompréhensible qui soit être traitée avec fermeté, son père lui, qui sert d'influence apaisante de la maison, fait de son mieux pour maintenir la paix et maintenir une relation plus où moins stable avec un fils troublé dont il se soucie profondément.

Copyright BEN SAUNDERS

Formidable étude de personnage où la caméra reste tout du long à distance afin de mettre en évidence la déconnexion - des autres et de lui-même - de son déstabilisant sujet (d'autant que la nature précise de son état reste aussi opaque que les pensées qui courent derrière ses mystérieux et sourds regards), Kurzel démontre avec puissance qu'il n'est pas nécessaire d'être conscient de la réalité derrière son effort pour déceler l'issue tragique qui se trame : quelques instants en compagnie de Nitram montrent clairement que rien de bon ne peut venir de lui et de sa situation intrinsèquement dysfonctionnelle.
Pourtant, le réalisateur garde les choses constamment à l'affût, nourrit grâce au ragoût intime plein d'amertume, de solitude et de dissociation que concocte le jeune homme, bien aidé également par le rapport conflictuel qu'il entretient avec sa mère, une femme sévère dont les sentiments pour son fils sont un cocktail enflammé d'amour irréconciliable, de pitié et de peur profonde, persuadée qu'elle est que sa progéniture, quel que soit le visage public qu'il semble présenter, ne pense pas ou ne ressent pas les choses comme le commun des mortels.
Et c'est dans son horreur silencieuse à elle que le film enferme son spectateur : persuadé que Nitram peut commettre l'irréparable tout en ignorant ce qui le motive réellement, ce qui en fait un témoin impuissant face aux actions soudaines et terribles qu'il va commettre.

Copyright BEN SAUNDERS

Obsédant et dérangeant, charge frontale contre la légalisation du port d'armes en Australie (encore plus armée aujourd'hui qu'à l'époque des faits) autant que son manque de soutien institutionnel face aux démunis (les appels à l'aide répétés et sans réponses sont les coupables directs de la perte dévastatrice de vies innocentes qui résulte de cette tragédie), dont la puissance évocatrice se résume en une seule scène lourde de sens (Nitram se regardant dans le miroir d'une chambre, puis embrassant son reflet, avec un regard qui suggère à la fois un désir désespéré de s'aimer et une prise de conscience qu'il ne comprend pas la personne qui se tient devant lui); Nitram, porté par la prestation magistrale de Caleb Landry Jones, est un drame vibrant et perturbant dont on ressort lessivé par la justesse d'un regard étonnant, Kurzel se (nous) confrontant à la monstruosité avec empathie et dénué de tout jugement moral et/où pathos putassier.
Une sacrée expérience.


Jonathan Chevrier