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[CRITIQUE] : Les passagers de la nuit


Réalisateur : Mikhaël Hers
Avec : Charlotte Gainsbourg, Noée Abita, Quito Rayon Richter, Megan Northam, Emmanuelle Béart,…
Distributeur : Pyramide Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Français.
Durée : 1h51min

Synopsis :
Paris, années 80. Elisabeth vient d’être quittée par son mari et doit assurer le quotidien de ses deux adolescents, Matthias et Judith. Elle trouve un emploi dans une émission de radio de nuit, où elle fait la connaissance de Talulah, jeune fille désœuvrée qu’elle prend sous son aile. Talulah découvre la chaleur d’un foyer et Matthias la possibilité d’un premier amour, tandis qu’Elisabeth invente son chemin, pour la première fois peut-être. Tous s’aiment, se débattent... leur vie recommencée ?



Critique :


Mai 1981 fût présenté aux citoyens français comme un tournant décisif vers le changement, celui d'un espoir et d'un positivisme général matérialisés par l'arrivée au pouvoir d'un François Mitterrand amenant le progressisme aux portes de l'Elysée.
Une élection qui a eu l'effet d'une injection d'optimiste dans l'atmosphère du début de la décennie mais malgré cette promesse de bien-être, la vie d'Élisabeth (Charlotte Gainsbourg, étincelante comme toujours) elle, s'effondre irrémédiablement.
Elle se regarde désespérément dans le miroir, voit la cicatrice de sa mastectomie et ne peut s'empêcher de reprocher à son ex-mari de l'avoir abandonnée, alors qu'il l'a accompagnée dans les pires moments de sa maladie et, tant bien que mal, a choisi le moment le moins nocif, où plutôt le moins emprunt de culpabilité pour lui, pour partir.

Copyright Pyramide Distribution

Elle fait le bilan de tant d'années reléguées au rôle invisible de femme au foyer, tant d'années sans pouvoir travailler ni prendre de décision par elle-même, qui ne lui ont finalement apporté que déception sur déception, et cette solitude nouvelle cristallise toute cette peine mais aussi tout cette mélancolie déchirante.
C'est à ce moment précis, dans cette croyance populaire d'un monde de tous les possibles que le brillant Mikhaël Hers fait fusionner le récit initiatique et émotionnelle de sa femme courage, de la douleur de la perte a l'inéluctable apitoiement sur soi, en passant par ce sentiment viscéral, instinctif de survivre et de ne jamais abandonner, de s'occuper tant bien que mal de ses deux adolescents qui lui échappent.
Dans cette société de tous les possibles où elle n'a paradoxalement pas sa place, elle ne se fie qu'à la seule chose qui lui reste - sa détermination sans borne -, et décroche un petit boulot au service technique de son émission de radio préférée - Les Passagers de la Nuit, d'où le titre -, sur Radio France, animée par la voix suave de Vanda Dorval (Emmanuelle Béart, savoureusement antipathique lorsqu'elle est hors antenne).
C'est ici, dans ce vacarme d'êtres aussi mélancoliques et solitaires qu'elle, qu'Élisabeth réalise qu'elle n'est plus totalement seule, écoutant des auditeurs angoissés ou insomniaques, comme la jeune toxicomane Talulah (Noée Abita, solaire), qu'elle retrouve sur un banc devant la gare, ne sachant pas où elle dormira ensuite.

Copyright Pyramide Distribution

La jeune femme, qui est frappée de la même vulnérabilité et du même sentiment de non-appartenance qu'Elizabeth, s'installe dans le grenier de l'appartement familial et partage la routine des deux ados.
Et c'est là que réside le coeur même du film, ce désir d'exister et de communier avec l'autre, de se définir - où se redéfinir -, se comprendre et trouver sa place auprès des autres dans une sorte de bulle presque hors du temps, une époque de transition où l'on s'attache au moindre instant de bonheur, au moindre petit succès anodin comme les pièces discrètes mais essentielles à la promesse d'un avenir meilleur.
Avec une délicatesse rare et dénué de tout jugement moral, Hers et sa caméra revendique l'importance et la dignité des petites choses (ce qui, paradoxalement, nous apparaît peu important au quotidien), celles qui s'imbrique au coeur des moments cruciaux de la grande histoire, ces succession de journées ordinaires qui forment toute personnalité mais aussi et surtout toute une vie.
Ainsi, l'avancée des années quatre-vingt qu'opère la narration pointe lentement mais sûrement les changements significatifs qui frappent ses personnages empathiques, une accumulation de moments sans importance (du petit rituel familial chaque fois que la mère prépare une crème brûlée pour le dessert, à une séance de cinéma) capturés avec authenticité et humanisme, sans jamais tomber dans les travers faciles du mélodramatique putassier, de l'hyperbolique ou du kitsch extrême.

Copyright Pyramide Distribution

Fier d'une approche sincère et émouvante d'une période précise de notre histoire récente, déconstruisant habilement l'image carte postale de la capitale pour mieux en faire le Paris (ici Beaugrenelle) des solitaires et des noctambules, un Paris en marge où la nuit se fait le véhicule d'une nécessaire évasion du réel et d'un apaisement face aux pressions sociales; Mikhaël Hers fait de son nouvel effort un intense et puissant moment de cinéma, une évasion temporelle douce et nostalgique prônant l'acceptation et la bienveillance à une heure où les valeurs avaient encore un sens mais aussi et surtout, où elles pouvaient encore être partagées...


Jonathan Chevrier



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