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[INSTANT LITTÉRATURE] : #5. Le chœur des femmes (Martin Winckler)

 

" Quoi, un site centré sur le cinéma qui papote littérature, mais quelle hérésie ! ".Voilà une manière polie de dire " qu'est-ce qu'on est en train de foutre ", mais à une heure ou la littérature n'a jamais autant été liée au septième art (ah, Hollywood et son manque d'originalité...), nous avons trouvé de bon ton, en temps que media, de voir un petit peu plus loin que le bout de notre plume, et d'élargir notre prisme de partage culturel en papotant littérature donc, sans pour autant que cela soit lié au cinéma - même si cela arrivera certainement souvent.
Armez-vous de vos lunettes, d'un marque-page et d'un potentiel chèque-cadeau FNAC pour faire vos emplettes, et lisez un brin nos recommandations littéraires pleines d'amour, au coeur de notre nouvelle section : Instant Littérature !



#5. Le choeur des femme de Martin Winckler


« L'art de la guerre est, comme celui de la médecine, meurtrier et conjectural » disait Voltaire. Surtout quand il s'agit de femmes, cis ou trans, et de personnes non-binaires ou intersexes. Martin Winckler le sait bien. En tant que médecin, il a pu voir les effets d'une médecine qui ne prend pas en compte les femmes ou les minorités, comme patient⋅es et comme étudiant⋅es.

Dans Le chœur des femmes, il transforme son récit en témoignage et se fait le porte-parole d'une médecine plus à l'écoute, tournée vers les patientes. Plus qu'un simple roman, le livre a pour ambition de dévoiler un pan méconnu de la médecine : l'endoctrinement, des études poussées par l'ego et non par la science ainsi qu’un système patriarcal qui (bien évidement) régit l'environnement médical.

Martin Winckler place le lectorat à l'intérieur de l'esprit de Jean Atwood, prononcé "Djinn" à l'anglaise. Cette interne d'origine canadienne est majore de sa promotion. Elle se dirige durement mais sûrement vers la chirurgie réparatrice des organes sexuels. Et elle est plutôt mécontente quand elle apprend que pour valider son année, il lui faut passer six mois dans un service de soin dit "primaire", c'est-à-dire une médecine générale où l'on soigne le patient directement, sans passer par une salle d'opération. Elle se retrouve donc dans le service appelé MLF (Médecine de La Femme) dirigé par le docteur Karma. Là-bas, pas de chirurgie en grande pompe mais un service où l'on écoute les femmes, où l'on pratique l'IVG sans jugement, où l'on encourage les femmes à parler de leur sexualité et de leur corps, où l'on donne différentes contraceptions, choisies par la patiente elle-même. L'enfer sur terre pour Jean, qui bien qu'elle soit une femme, ne veut pas perdre son temps à écouter « toutes ces histoires de bonnes femmes » de ses propres dires.

Martin Winckler © WITI DE TERA/Opale/Leemage

Magnanime, le docteur Karma lui laisse une semaine pour qu'elle puisse choisir de rester dans le service ou de partir ailleurs pour ne pas perdre la main en chirurgie. Une semaine n'est pas suffisante pour changer un avis aussi tranchant que celui de Jean et pourtant... À force de les écouter, ces femmes, on se rend compte que leur parole n'est presque jamais prise en considération. Alors elles s’excusent. Elles parlent vite ou pas du tout. Elles ne veulent pas faire perdre le temps précieux des praticien⋅nes et acceptent les différents diktats que la médecine pose sur leur corps. 

Il fallait bien six cent pages (et même plus) pour retranscrire tous les manquements de la médecine envers les femmes. La méconnaissance du corps et de son fonctionnement, les idées reçues qui ont la vie dure, les gestes obstétricaux du siècle dernier dont on ne remet en question ni l'éthique, ni l'humiliation pour les patientes, ... La liste est longue. Jean elle-même doit remettre en question les a priori qu'elle a déjà posés sur les choix des femmes, concernant leur sexualité ou leur contraception, en connaissance de cause. L'ouvrage se lit avec fièvre tant il brasse un large portrait du monde de la médecine et essaie, tant que possible, de contrer chaque cliché et chaque intox, pour que Jean apprenne à être un meilleur médecin. Les femmes trans et les personnes intersexes sont incluses dans les discussions sur les violences gynécologiques, alors que le livre a été publié en 2009 ; ce qui est important à souligner quand on s'aperçoit que certains milieux militants peinent encore à les inclure ou refusent carrément.

Si le récit finit par patiner, à force de vouloir inclure de la fiction dramatique, Le chœur des femmes conquiert cependant nos cœurs parce qu'il explore avec autant d'exhaustivité que possible les manquements de la médecine — la plupart par pure misogynie — et parce qu'il donne la parole aux concerné⋅es.




Laura Enjolvy