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[CRITIQUE] : Le roi cerf


Réalisateurs : Masashi Ando et Masayuki Miyaji
Avec les voix de : Shinichi Tsutsumi, Ryoma Takeuchi, Anne, Hisui Kimura, Atsushi Abe, Yoshito Yasuhara, …
Distributeur : Star Invest Films France
Budget : -
Genre : Animation, Drame
Nationalité : Japonais
Durée : 1h53min

Synopsis :
Van était autrefois un valeureux guerrier du clan des Rameaux solitaires. Défait par l’empire de Zol, il est depuis leur prisonnier et vit en esclave dans une mine de sel. Une nuit, la mine est attaquée par une meute de loups enragés, porteurs d’une mystérieuse peste. Seuls rescapés du massacre, Van et une fillette, Yuna, parviennent à s’enfuir. L'Empire de Zol ne tardant pas à découvrir leurs existences, Il mandate Hohsalle, un prodige de la médecine pour les traquer afin de trouver un remède. Mais Hohsalle et Van, tous deux liés par le fléau qui sévit, vont découvrir une vérité bien plus terrible.


Critique :



Passé par le dernier festival d’Annecy, le premier long métrage de Masashi Ando, co-réalisé avec Masayuki Miyaji, adapte à l’aide d’une belle animation le roman éponyme de Nahoko Uehashi, Le roi cerf. Le film nous entraîne dans une époque féodale régie par une guerre entre deux peuples, les Aquaféens et les Zolites.

Un mal semble se propager sur l’un de ces deux peuples : une maladie étrange, nommée Mittsual, décime les Zolites mais épargne les Aquaféens. La singularité de cette pandémie engendre des folklores et des légendes parmi les autochtones. De quoi alimenter les ressentiments entre les deux peuples et augmenter la défiance.

Copyright Star Invest Films France

Le début du Roi cerf renvoie à un autre film d’animation, avec lequel un lien de filiation se tisse naturellement, Princesse Mononoké. Masashi Ando a longtemps travaillé pour les studios Ghibli, et forcément, cela se retrouve dans sa manière d’aborder l’histoire qu’il adapte. La façon dont le film met en avant la nature, met en avant les relations humaines et la bienveillance devant les conflits, se rapproche de la poésie folklorique du film de Miyazaki. Tout en nous expliquant les tenants et les aboutissants du conflit latent, le long métrage montre une meute de loups enveloppée dans une étrange fumée violette, métaphore de la maladie que les animaux propagent à travers leur crocs. Une seule morsure suffit à infecter un être humain, qui se voit affubler de tâches sur son corps, perdant peu à peu la force de combattre la maladie. Cette meute vient attaquer une mine la nuit, où des prisonniers zolites vivent comme des esclaves. Un seul homme en réchappe, un prisonnier ni zolite, ni aquaféen, mais un ancien combattant du clan des Rameaux Solitaires — des guerriers qui sont venus apporter un semblant de paix entre les deux peuples en guerre. Ce prisonnier, Van, sauve une petite fillette des crocs d’un loup. Ces deux êtres esseulés et ballottés par la vie se sont trouvés et rien, mis à part le destin, ne pourra les séparer dorénavant.

Malgré un enjeu politique de haute volée, Le roi cerf décide de mettre en avant les relations, notamment filiales de la petite Yuna et de son sauveur, Van, qu’elle considère comme son père. Après un environnement hostile, qualifié par une lumière sombre dans les sous-tons marrons et gris, la mise en scène s’appuie sur une lumière dorée pour entourer de douceur le milieu rural qu'elle dépeint dans le récit, tandis que Van et Yuna goûtent un repos bien mérité, écourté par la suite par les péripéties que convoquent l’histoire. Alors que les villes sont ternes, gangrenées par l’appât du pouvoir et les actions politiques secrètes, symbolisées par un échiquier (certes facile mais le message va à l'essentiel), la campagne est magnifiée par l’animation et par la bienveillance des autochtones. Ici, le conflit n’existe plus et les deux peuples sont unifiés dans le mariage. Bien que chacun continue de perpétuer leur croyance, les zolites ne boivent pas de lait et refusent la médecine comme la religion le leur impose, la ruralité semble avoir trouvé une solution idéale et communique une entente parfaite.

Copyright Star Invest Films France

Dans la même veine de la dualité ville/campagne, le film délivre un questionnement entre l’embrigadement religieux et la cause scientifique, symbolisé par le personnage de Hohsalle, un médecin qui se positionne au sein de tous les conflits. Teinté de magie ancestrale au cœur de son récit, avec en tête une maladie mystérieuse, Le roi cerf réajuste pourtant son folklore pour délivrer un message beaucoup plus terre à terre, mais néanmoins poétique dans son final. Cette volonté de réalisme s’explique peut-être par le souhait de se détacher du fantôme de Ghibli et de son enchantement éthérée, pour pouvoir voler de ses propres ailes. Et on peut dire que le pari est tenu. La comparaison avec le film de Miyazaki ne le dessert pas, au contraire, il apporte au film une filiation bienheureuse dans le monde de l’animation japonaise. Au lieu de poser un regard trop critique, la poésie “ghiblienne” qui s’échappe du Roi cerf ajoute de l’envergure au film.

Le roi cerf possède une rigueur académique qui l’empêche de tutoyer le firmament poétique des studios Ghibli. Cependant, grâce à sa façon de dépeindre les implications politiques dans un environnement religieux rigoriste et les relations fortes qui peuvent s’y former, le film s’en sort merveilleusement bien et préfigure, en tout cas on l’espère, une belle carrière de réalisation pour Masashi Ando et Masayuki Miyaji.


Laura Enjolvy