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[CRITIQUE] : Alerte Rouge

Réalisatrice : Domee Shi
Avec les voix originales de : Rosalie Chiang, Sandra Oh, Ava Morse, …
Distributeur : Disney Plus France
Budget : -
Genre : Animation, Famille, Comédie
Nationalité : Américain
Durée : 1h40min

Synopsis :
Les aventures de Meilin Lee, une jeune adolescente de 13 ans, pleine d’assurance, mais tiraillée entre son image de petite fille modèle aux yeux de sa mère hyper protectrice et le chaos de l’adolescence. Et comme si tous les changements qui s’opèrent en elle ne suffisaient pas, chaque fois qu’elle est débordée par ses émotions - ce qui, pour une ado, arrive quasiment tout le temps - elle se transforme en panda roux géant !


Critique :



Si le studio Pixar a toujours trouvé la recette pour nous laisser les yeux brillants de larmes, il ne brille pas particulièrement par son inclusivité au sein des équipes. On se rappelle de la lettre ouverte écrite par Brenda Chapman en 2012 dans le New York Times, quelques mois seulement après la sortie de Rebelle. Dans celle-ci, la réalisatrice exposait la façon dont elle avait été renvoyée de son propre film pour le voir confier à un homme : « Cette dernière année et demie a été une expérience dure et déchirante pour moi. Quand Pixar m'a retirée Rebelle — une histoire qui vient de mon cœur, inspirée par ma relation avec ma fille —, ça a été dévastateur » avait-elle écrit avant de conclure « Parfois, les femmes expriment une idée et sont stoppées, pour qu'ensuite un homme exprime la même idée et obtienne l'approbation générale. Jusqu'à ce qu'il y ait un nombre suffisant de femmes aux postes exécutifs haut placés, cela continuera de se produire ».

On se rappelle également comment John Lasseter, le directeur artistique et créatif du studio, a été poussé vers la sortie en douceur fin 2018 après que des accusations de harcèlement sexuel aient pris de l’ampleur suite au mouvement #MeToo au sein de Hollywood. La même année, Domee Shi devenait la première femme à réaliser un film chez Pixar avec Bao, un court métrage projeté en première partie du film Les Indestructibles 2 de Brad Bird. Quatre ans plus tard, cette même réalisatrice devient la première femme à réaliser un long métrage chez Pixar.

Copyright 2021 Disney/Pixar. All Rights Reserved.

Alerte Rouge, hélas, ne sort pas sur grand écran, comme ses prédécesseurs, Soul et Luca, et sort directement en SVOD sur Disney +. Après l’Italie dans Luca, Pixar pose sa caméra à Toronto, dans le quartier de Chinatown, où la famille Lee s’occupe d’un temple bouddhiste. Nous rencontrons Meilin, treize ans, un personnage pétillant et haut en couleur. Son quotidien est coupé en deux : le jour, elle est une adolescente fun et décalée, fan du dernier boys band en vogue, une passion qu’elle partage avec ses trois meilleures amies. Le soir, elle est une jeune fille sage, qui s’occupe du temple avec sa mère, et qui ramène toujours d'excellentes notes à la maison. Apparaît soudainement la malédiction familiale. Meilin se transforme en énorme mais mignon panda rouge dès que ses émotions deviennent trop intenses. Comment se contenir, cependant, quand on a treize ans et que l’on rentre dans l’adolescence ?

Domee Shi nous invite dans ses souvenirs et se sert de la métaphore de la transformation en panda roux pour dévoiler l’impact colossal que produit les changements du corps et de l’esprit à l’adolescence. Au moment de sa première transformation, un quiproquo se crée avec sa mère qui pense que sa fille vient d’avoir ses premières règles. Alerte Rouge, le titre français, fait d’ailleurs ironiquement référence à cette période du cycle. Le mot n’est jamais prononcé ouvertement mais le doute n’est pas permis quand la mère de Meilin, Ming, lui sort toutes sortes de serviettes hygiéniques et de remèdes contre les crampes utérines. Le corps de Meilin ne fait pas que se transformer, son regard change également quand le désir montre le bout de son nez. Peu habituée à penser aux garçons de cette façon, Meilin utilise ce premier émoi sexuel pour dessiner en long et en travers le beau caissier du supermarché sur lequel toutes ses amies craquent. Elle se cache sous son lit, honteuse, tandis qu’elle dessine les muscles — qu’elle imagine saillants 
 de ses bras et de son torse. Cet épisode est peint avec humour et auto-dérision mais il n’en reste pas moins très réaliste dans sa façon de montrer la naissance du désir érotique chez les adolescentes. Alors que des préjugés tenaces règnent encore au sujet de la sexualité des femmes et du désir féminin, la réalisatrice montre que ce désir est présent, puissant et tout aussi déroutant que celui des adolescents.

Copyright 2021 Disney/Pixar. All Rights Reserved.

On note également la volonté de représenter les groupies d’une façon positive. Leur passion pour le groupe 4-town (dont la musique et les costumes nous rappellent les N Sync) est le socle de l’amitié entre Meilin et ses copines, leur façon d’exprimer leur émotions et leur identité. Être groupie n’est pas l’apanage des femmes comme le montre la réalisatrice, d'une façon humoristique et tendre, vers la fin du métrage.

Malgré le côté universel du récit, Alerte Rouge dévoile tout un pan de l’expérience d’avoir un héritage familial riche et une culture différente. Meilin n’arrive pas à rallier les deux parties de son être, l’adolescente canadienne et la jeune fille chinoise. Une belle relation mère-fille se déploie tout au long du film, mise à mal par les changements corporels de Meilin et son besoin, comme toute adolescente qui se respecte, d’indépendance. Le lien avec le récit de Rebelle se fait naturellement, où comme ici, la relation mère-fille était contrariée par une transformation bestiale et par l’envie de la mère de contrôler l’avenir de sa fille. Grâce au point de vue de Ming, nous entrapercevons l’amour qu’elle porte à sa fille et son enfance dans une famille tout aussi stricte. Ming ne veut pas voir le lien sacré qu’elle possède avec Meiling disparaître à cause des hormones. Plus que la malédiction du panda roux, les femmes de la famille s’aperçoivent qu’elles se transmettent la malédiction de la perfection de mère en fille, avec la culpabilité et le sentiment d’échec qui vont avec. Le climax de Alerte Rouge rejoint alors celui de Encanto, où la pression familiale était finalement l’antagoniste principal.

Réalisé au moment où le studio se reconstruit une image plus inclusive et avec, pour la première fois, une équipe plus paritaire, Alerte Rouge est un film plaisant, où l’adolescence féminine devient une sorte de monstre géant, doux et poilu. Mélangeant l’universalité des premiers émois avec la question plus spécifique de posséder une double culture, le film de Domee Shi est une cure de jouvence qui nous donnerait presque envie de retomber dans l’énergie et la fougue adolescente.


Laura Enjolvy