[CRITIQUE] : Bruno Reidal
Avec : Dimitri Doré, Jean-Luc Vincent, Roman Villedieu, Alex Fanguin,…
Distributeur : Capricci Films
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Français.
Durée : 1h41min.
Synopsis :
1er septembre 1905. Un séminariste de 17 ans est arrêté pour le meurtre d’un enfant de 12 ans. Pour comprendre son geste, des médecins lui demandent de relater sa vie depuis son enfance jusqu’au jour du crime. D’après l’histoire vraie de Bruno Reidal, jeune paysan du Cantal qui, toute sa vie, lutta contre ses pulsions meurtrières.
Critique :
#BrunoReidal tend à montrer toute la cruauté d’un environnement qui nourrit à la fois la bonté et la violence, sans distinction, Le Port filmant un monde à l’abandon où l’espoir et Dieu n’existent que dans la tête de ceux et celles qui veulent bien y croire. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/FZsqcm6ccb
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) February 13, 2022
Alors que les tueurs en série ne cessent de fasciner (la preuve avec l’abondance de show True Crime), Vincent Le Port s’intéresse à un tueur d’un autre genre. Dans le livre de Stéphane Bourgoin, Serial Killers, un criminel a attiré l’attention du réalisateur. Bruno Reidal, un jeune homme de dix-sept ans, assassine violemment un petit garçon de douze ans un soir d’été. Il n’a effectué qu’un seul meurtre, pourtant il se retrouve dans la liste des tueurs les plus sanglants. Sa complexité fascine, d’autant plus qu’il n’a rien du monstre sanguinaire issu de l’imagination collective. Le film Bruno Reidal s’emploie à nous raconter sa vie par le biais de ses propres mots : les mémoires qu’il a écrites en prison à la demande du Professeur Lacassagne.
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Après quelques courts-métrages, dont le remarqué Le gouffre pour lequel le cinéaste a reçu le prix Jean Vigo en 2016, Vincent Le Port s’initie au long métrage et ne choisit pas la facilité. Il est déjà délicat de s’attaquer aux pensées d’un tueur mais Bruno Reidal est un homme encore plus singulier. S’il fascine autant, encore aujourd’hui, c’est à cause de son étonnante lucidité envers ses pulsions de meurtre. La violence perpétrée envers François Raulhac, sa victime, est le point final d’un long travail pour étouffer sa pulsion sanguinaire qu’il ressent depuis sa plus tendre enfance. Juste après, il vient se constituer prisonnier, avouant son crime sans chercher la gloire ou un quelconque plaisir sadique.
Bruno Reidal commence par cette violence. Un gros plan du jeune homme, interprété par Dimitri Doré, vient souligner la violence clinique du meurtre. Nous ne voyons pas l’acte mais le visage tendu du meurtrier, que l’on prend au milieu de sa tâche. Le sang gicle et un sourire mi-satisfait mi-horrifié se dessine sur son visage. Puis le plan change pour nous montrer ce qu’il regarde. Un corps sans vie et sans tête. L’aspect clinique de la mise en scène transforme ce corps en un tableau macabre. La lumière magnifie presque le sang qui se détache des feuilles orangées et de la terre. Peut-être que ce bref plan nous place à l’intérieur du point de vue de Bruno Reidal, regardant son œuvre. Mais l’horreur se tapit dans cette beauté perverse. Le plan suivant suit Bruno alors qu’il se rend à la police. Son visage n’a plus rien avoir avec son visage de meurtrier. Sa tête, penchant sur le côté, souligne sa détresse et son regard triste le transforme en victime de sa propre pulsion. Il a cédé, il doit payer.
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C'est là tout l'intérêt du point de vue de Vincent Le Port, montrer sans complaisance ni jugement, l'ambivalence des émotions de Bruno Reidal. De son dégoût pour lui-même à son envie d'enlever la vie d'un autre. Pour cela, le réalisateur nous emmène dans sa tête et dans son enfance et place le public dans un état privilégié contrairement aux professeurs venus l'étudier. Nous avons droit non seulement à son histoire mais aussi aux choses qu'il ne dit pas. Sa solitude. Son désir. Son agonie latente entre le bien et le mal. Dans l'introduction, un carton apparaît avec une citation de Albert Camus « un homme, ça s'empêche ». Son meurtre est comme un échec cuisant pour le jeune homme, destiné à une carrière de foi religieuse. C'est son échec mais également celui de l'Église tout entière, incapable de lui venir en aide. Sa confession qu'il donne au prêtre, en signe de détresse, ne reçoit que de l'indifférence de l'autre côté du confessionnal. Peut-être le prêtre a-t-il entendu pire que des pulsions meurtrières non assouvies (pour l'instant). Peut-être ne prend-il pas au sérieux les dires de Bruno. Il ne lui donne que la possibilité de devenir séminariste, comme si cela pouvait l'empêcher de basculer.
Malgré le choix de montrer l'enfance et le début d'adolescence du personnage, le ton du film ne permet aucun misérabilisme, si ce n'est un peu d'empathie envers sa souffrance et son désir de résister. Les différents acteurs qui se succèdent pour prendre les traits de Bruno montrent une vie complexe de campagnard mais ne donnent à aucun moment une excuse pour son geste. Vincent Le Port nous donne seulement des pistes, avec les quelques événements violents ou graves qui parsèment son passé. Les conséquences de ces actes ne sont pas montrées, seulement le silence d’une nature sauvage peu prompte à venir se lamenter sur ce que les hommes se font subir entre eux. Le Port filme un monde à l’abandon où l’espoir et Dieu n’existent que dans la tête de ceux et celles qui veulent bien y croire. Bruno Reidal tend à montrer toute la cruauté d’un environnement qui nourrit à la fois la bonté et la violence, sans distinction.
Laura Enjolvy