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[FIFAM 2021] : Jour 1


FIFAM 2021 - Jour 1


L'édition 2020 du Festival International du Film d'Amiens, qui n'était autre que le 40e anniversaire, fut annulée à cause de la pandémie. En cette année 2021, le festival est de retour. Pour l'occasion, il faut à la fois fêter le 40e anniversaire mais également continuer sur la même voie. En parallèle de ses trois compétitions traditionnelles (longs-métrages de fictions, longs-métrages documentaires, courts-métrages), le festival reviens sur des films qui ont composé son succès et son identité, propose à nouveau des films de patrimoine à (re)découvrir, puis quelques avant-premières. De quoi satisfaire tous les mordus de cinéma, ainsi que les nombreux fidèles du festival. Avec également quelques moments forts à venir, comme des rencontres professionnelles (autour de la valorisation des films de patrimoine, une masterclass du critique Laurent Delmas, etc) et un ciné-concert.

Pour aller plus dans le détail avec la programmation, le jury longs-métrages de fiction devra départager 9 films, pendant que le jury longs-métrages documentaires devra récompenser un film parmi 7, et que le jury courts-métrages est invité à voir 9 films. De plus, le festival invite Jacques Perrin pour un hommage très particulier. En douze films, la sélection revient sur toutes ses casquettes (acteur, producteur, réalisateur, etc). Il y aura aussi une rencontre avec la comédienne Macha Méril, qui a joué pour des cinéastes tels que Guy Gilles, Jean-Luc Godard et R.W. Fassbinder. Ce n'est pas les seules rencontres, car le festival donne une carte blanche au comédien Swann Arlaud, pour cinq films qui parlent de désir. Il y aura également une section consacrée aux Femmes de Cinéma, afin de mettre en lumière des réalisatrices et des sujets importants. Le festival rend aussi un hommage à Bertrand Tavernier, cinéaste français qui a toujours montré son amour pour le cinéma américain, dans une section de quelques films tous aussi beaux les uns que les autres. Enfin, il ne faut pas oublier les coups de cœur (entre restaurations et avant-premières), les films pour le jeune public, ainsi que la section spéciale anniversaire des 40 ans.

Une programmation très alléchante, pour faire plaisir aux plus petits et aux plus grands, aux plus fidèles et aux plus anciens, aux cinéphiles les plus et les moins avertis, etc. Alors, avec cette belle semaine qui s'annonce, on peut le dire : Joyeux Anniversaire le Festival International du Film d'Amiens !


Jour 1

Compétition documentaire : Au Coeur du Bois de Claus Drexel (2021)


Le premier film vu en cette première journée est le documentaire en compétition Au cœur du bois, de Claus Drexel. Pour son troisième documentaire en cinq films, le cinéaste pose sa caméra dans le bois de Boulogne. Il y fait la rencontre de nombreuses personnes, qui font le plus vieux métier du monde. À travers tous les dialogues et toutes les interviews, ces personnes se livrent, se confient, font preuve d'humour et d'ironie, pour nous raconter leur expérience et leur mode de vie dans ce célèbre bois. La particularité du cinéma de Claus Drexel tient notamment en deux motifs récurrents. Au-delà d'aller à la rencontre des personnes marginalisées, thème au centre de son œuvre, le cinéma travaille sur le temps et sur l'intimité. Il y a toujours une grande complexité dans la personnalité de ceux que filme Claus Drexel. Des personnes qui ont une telle originalité, qui cachent quelque chose d'extrêmement profond et enfoui en eux, qui en deviennent de vrais personnages de cinéma. Aucun mot ne se ressemble, aucune intimité est identique. La mise en miroir de toutes ces expériences au montage montre la grande diversité d'un bois trop souvent et facilement étiqueté. Autre motif, c'est celui du temps suspendu lorsque le cinéaste raconte son voyage. Dans chacun de ses documentaires, et encore une fois ici, Claus Drexel semble arrêter le temps pour nous confronter à ces identités, à ces intimités. Le film sort ces personnes du cadre de leur quotidien, pour les amener dans la personnification de leur environnement (il suffit de voir les aménagements de chacun, entre vans, camionnettes, tentes, tipie, etc). Toutefois, il manque toute la fantaisie visuelle que les mots laissent paraître. Claus Drexel intègre quelques fois des plans contemplatifs du bois, mais c'est beaucoup rare pour être significatif. L'environnement n'est jamais contextualisé, et la parole est largement privilégiée à l'image. C'est bien dommage de voir que le cinéaste se repose sur le dialogue, sans construire d'images autour de ces confessions. Parce que Au cœur du bois n'est au final qu'une simple séries d'interviews face caméra, découpées selon les questions thématiques posées par le cinéaste. Les images sont peut-être belles, mais elles montrent une grande limite dans l'exploration d'un environnement. Ca manque de mouvement, tout simplement.


© Daisy Day Films


Compétition fiction : Un Monde de Laura Wandel (2021)


Que dire également du premier long-métrage de Laura Wandel. Tout est là pour composer un film choc, un film qui hanterait les mémoires un moment après visionnage. On repassera pour le caractère choc. Cependant, lorsqu'on regarde Un monde, il est possible de penser aussitôt à Récréations de Claire Simon. C'est l'histoire de Nora, fille qui va à l'école en primaire. Sauf qu'elle est plutôt proche de son grand frère Abel. Mais dans la cour de récréation, elle assiste au harcèlement violent subit par son frère aîné. Mais voilà, Nora se trouve dans un entre-deux : entre tout dire à son père, ou garder le silence comme le demande son frère. La cinéaste Laura Wandel s'appuie sur cette dualité pour explorer le conflit qui habite sa jeune protagoniste. Mais elle s'en appuie également pour développer les relations que se crée Nora, avec des camarades de sa classe. Même si elle cherche à protéger son frère, il faut qu'elle se protège elle-même. La cinéaste capte avec justesse le trop plein d'émotion face à la violence, la panique qui se caractérise par le silence, ainsi que l'urgence de réagir à assouvir. Toutefois, comme avec le film d'ouverture L'événement d'Audrey Diwan, la cinéaste Laura Wandel se contente de très nombreux gros plans pour exercer une prétendue immersion. L'artifice du dispositif révèle ici une plus grande paresse que dans le film d'ouverture, à cause du huis-clos que représente l'école et sa cour de récréation. Alors qu'il y a une unité de lieu, la cinéaste choisit tout de même de ne pas l'explorer. La violence (à prendre avec des pincettes) est reléguée dans un coin de l'espace et dans un coin du cadre en contre-champ, pour bien s'assurer que le spectateur ne regarde pas ailleurs que le visage choqué et attristé de Nora. Comme avec L'événement, le flou est présent constamment en arrière-plan, refusant ici aussi toute perspective et toute ouverture sur l'espace. Le problème est que, contrairement au film d'Audrey Diwan, il n'y a ici jamais aucun effet de suffocation dans la mise en scène. Replier le cadre sur le corps de Nora, pour être « à hauteur d'enfant » (être à hauteur d'homme, expression absurde devenue iconique pour parler d'une esthétique), n'est autre qu'un refus de la mise en scène. L'environnement n'existe que hors-champ, pendant que les situations « choquantes » s'empilent pour réussir à tenir sur un long-métrage. Alors que le père a une place importante dans la dualité de Nora, alors que les enseignants sont une part essentielle de l'éducation des enfants, que valent tous ces corps d'adultes complètement coupés par le cadre ? L'identité visuelle du film est si naïve, que rien ne déborde du cadre alors que l'environnement est censé être violent.


Copyright Tandem


Compétition documentaire : Rien que le soleil de Arami Ullon (2020)


Deuxième long-métrage pour Arami Ullon, qui a fait le voyage jusqu'au Paraguay pour parler d'une communauté assez méconnue. La cinéaste adopte le point de vue de Mateo, membre de la communauté Ayoreo, qui parcourt la région du Chaco avec un enregistreur et des cassettes. Son objectif est de préserver des fragments de sa culture en voie de disparition. Comme beaucoup d'autres membres de la communauté, Mateo est né dans la forêt, en étant libre et nomade. D'abord sans aucun contact avec la civilisation blanche, les Ayoreo ont fini par les rencontrer à leur détriment. Des missionnaires religieux les ont obligé à abandonner leur territoire ancestral, leurs croyances et leurs foyers. En parcourant la région du Chaco, Mateo crée une histoire de rencontres que la caméra de Arami Ullon n'a plus qu'à observer. C'est là toute la beauté du film. Telle Yolande Zauberman avec M en 2018, la cinéaste n'a juste qu'à suivre les pas d'une personne pour l'amener vers des moments forts et des espaces inconnus. On dit que le cinéma est une histoire de rencontres et de curiosités, et bien ce documentaire réussit les deux à la fois. La rencontre d'intimités et de personnes qui ont tant à raconter. Puis la curiosité de découvrir la grande Histoire de cette culture, à travers la petite histoire de ces personnes. C'est une rencontre avec le passé que propose Rien que le soleil. Là où le micro de la cinéaste ainsi que Mateo sont toujours à l'écoute, pour porter une grande attention à une identité et à la fatalité d'une évolution sociale. Arami Ullon n'a donc qu'à se laisser porter par les histoires que déterre Mateo par son voyage. Ainsi, la cinéaste peut construire tout un visuel autour de ces rencontres. La caméra n'est jamais trop proche des corps et des visages, toujours dans la bonne distance pour apprendre à écouter attentivement et aussi pour exprimer une découverte. La caméra se pose, et laisse les corps et les esprits se révéler. A tel point que les personnes filmées font totalement corps avec le paysage, comme s'ils ne pouvaient appartenir à aucun autre paysage du hors-champ ou de l'horizon. Parce que finalement, cet espace socle de la culture Ayoreo est en pleine disparition. Tel le vent au bruit fort qui balaie sur son passage, fait s'envoler beaucoup de poussières. Dans ce paysage aride et presque mort, c'est la chronique d'un cimetière où les survivants sont clairement fragilisés et épuisés. Il y a même quelques très belles images oniriques (comme un feu de forêt). C'est un documentaire qui cherche les réminiscences d'une culture vouée à disparaître, dans un paysage qui n'a plus rien à offrir. Quelque chose se meurt, mais il reste le soleil de la chaleur humaine. C'est aussi à cela que sert une caméra de cinéma : mettre en lumière l'assombri.


© Cineworx Filmproduktion GmbH / Arami Ullón Cine

Avant-première : Nouvel Ordre de Michel Franco (2020)


Le premier mot qui vient pour décrire le nouveau film de Michel Franco est « pourquoi ? ». Surtout connu pour son long-métrage Después de Lucia datant de 2012, le cinéaste mexicain se lâche complètement dans ce long-métrage. Il faut d'abord remettre les choses en place. C'est l'histoire d'un mariage mondain, qui est brutalement interrompu par l'arrivée de personnes pas du tout invitées. Même si les premières images du film annoncent la couleur (concernant la noirceur, la frontalité et la violence du récit), tout commence dans une grande légèreté. Dès que les manifestants s'incrustent à la fête de mariage, tout bascule. Le chaos s'installe, et le film ne le quittera plus un seul instant. Même quand il s'agit d'être au chevet d'une femme âgée mourante. Le regard de Michel Franco est très juste, dans le portrait qu'il réalise d'une société en proie à beaucoup de violence, de cruautés et d'inégalités. Là où la violence répond à la violence, pour répondre à la colère. Toute rédemption est impossible dans Nouvel ordre. L'humain retrouve sa nature primitive et sauvage, dans une énergie indéniable. Il se passe toujours quelque chose dans le cadre de Michel Franco. Cependant, il est possible de s'interroger sur la finalité de chaque séquence, et ainsi sur la finalité du film. Si le long-métrage dénonce de façon très évidente les grands écarts qui existent et substituent dans la société, entre les classes, le cadre et la mise en scène ne vont pas vraiment plus loin. C'est toujours bruyant et dans la violence (à relativiser), tel un exutoire où Michel Franco a décidé de lâcher sa colère sans se prendre la tête. À tel point que l'accumulation de rebondissements et surtout d'actes de violences peuvent rapidement être gratuits. C'est très provocateur, mais le cinéaste perd petit à petit ses personnages et leur force individuelle. Le film finit par ne compter que sur le choc de la violence, que sur la fatalité du chaos, en oubliant ce qui le distingue dans les premières séquences. Alors que le début est plutôt nuancé, avec plusieurs mouvements contraires dans la mise en scène, Michel Franco s'exporte progressivement dans un rythme et un montage complètement brouillons. Les personnages n'existent plus que physiquement pour illustrer une violence, et la caméra suit bêtement le délire d'un jusqu'au-boutisme dont la pertinence est encore à prouver. Les disparités sociales qui entraînent le chaos et la violence disparaissent en même temps que la valeur des motifs visuels.


Copyright Ascot Elite Entertainment


Fin de journée...


La première journée complète de projections est terminée ! Et comme dans chaque festival, il a fallu faire des choix dans la programmation. Nous avons ainsi loupé de nombreux films, dont une projection du très beau Cinema Paradiso (Giuseppe Tornatore), ou celle de l'avant-première de De son vivant (Emmanuelle Bercot). Mais peu importe les choix qui sont faits, c'est un plaisir de voir le public de retour dans les salles du festival, après une année d'absence. L'appétit de films et de curiosités est bien vivant, et c'est le principal. Au programme de la deuxième journée, dont l'article paraîtra Lundi, il n'y aura que 2 films. Pour des raisons personnelles et professionnelles, cette journée de festival est écourtée. Mais elle n'en sera pas moins passionnante. En attendant, portez-vous bien, et bonne lecture !


Teddy Devisme