[CRITIQUE] : Loin de vous, j’ai grandi
Réalisatrice : Marie Dumora
Avec : -
Distributeur : Epicentre Films
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Français
Durée : 1h42min
Synopsis :
Depuis longtemps, Nicolas se débrouille seul. Aujourd’hui, il a 13 ans, aime l’histoire d’Ulysse, Jack London, et vit en foyer dans la vallée de la Bruche avec son ami Saïf, arrivé lui, de loin, par la mer. Ensemble, ils partent dans les bois écouter leur musique, parlent filles et mobylettes. Ou fuguent. Parfois, Nicolas retrouve sa mère et les siens pour une virée à la fête foraine, une grenadine ou un baptême. Mais bientôt il a quinze ans et l’avenir s’approche.
Marie Dumora filme depuis vingt ans la même famille. D’abord les deux sœurs, Sabrina et Belinda, placées en foyer dès leur plus jeune âge. Sabrina tombe enceinte à quinze ans et choisit de placer son fils, Nicolas, en foyer quelques jours après son baptême, ne se sentant pas capable d’assumer pleinement sa responsabilité de mère. Dix ans plus tard, Nicolas a treize ans et vit toujours au foyer. Il aime Jack London, L'odyssée d'Ulysse et écoute Prokofiev dans la forêt. Loin de vous, j’ai grandi continue l’histoire de la famille Muller, un nouveau chapitre plein d’espoir tandis que Sabrina voit en son fils la promesse d’un autre avenir.
Nous sommes en Alsace, dans la vallée de la Bruche. Un lieu gorgé d’histoire, une terre de souffrance et de résilience. Les arrières-grands-parents de Nicolas se sont rencontrés dans un camp de concentration non loin de son foyer et se sont aimés. Une ligne invisible se dessine entre eux et lui, porteur de leur histoire que lui apprend sa mère au détour d’une promenade. Marie Dumora filme cette famille yéniche et ce territoire comme si la caméra était invisible. Elle se fond dans le paysage et délivre une vérité à la fois belle et triste. L’attente qu’à la mère de Nicolas est lourde à porter : il doit ne pas commettre les mêmes erreurs qu’elle. Sans les marginaliser, la réalisatrice montre l’étau social autour de cette famille. L’enjeu de Nicolas peut sembler étouffant, c’est peut-être pour cela qu’il fuit le foyer parfois pour aller camper à Strasbourg, avec ses amis. Adolescent taiseux, il s’exprime par le biais des livres qu’il lit. L’appel de la forêt lui rappelle les virés qu’il fait avec son ami Saïf, un migrant tunisien qui lui raconte son épopée en mer pour arriver jusqu’ici. L’Odyssée l’émeut avec son récit d’un exilé incapable de rentrer chez lui. La musique classique, surtout celle du ballet Roméo et Juliette, lui permet peut-être d’exprimer des émotions qu’il se sent incapable de verbaliser. Surtout quand un choix se pose devant lui : rester au foyer ou rentrer enfin chez sa mère.
Marie Dumora a les mêmes règles depuis qu’elle réalise des documentaires. Un seul objectif, le 50 mm, la focale qui retransmet presque l'œil humain, ce qui l’oblige à se rapprocher de ses protagonistes si elle veut filmer des gros-plans. Elle refuse aussi de faire plusieurs prises si elle le peut. Ces règles lui permettent de transmettre une intimité qui pourrait lui être refusée si elle imposait sa présence. C’est presque comme si elle posait la caméra à un endroit et qu’elle laissait la vie se dérouler devant elle, même si sa mise en scène est plus partisane de la caméra portée pour pouvoir suivre Nicolas au gré de ses envies. Cette atmosphère de cinéma-vérité, une « reproduction la plus fidèle possible d'une réalité "vivante et saignante" », d’après Henri-Paul Sénécal, délivre un portrait sensible de l’adolescent. Le récit se construit en dent de scie, grâce à des petites séquences captées à droite à gauche, qui mises bout à bout, composent Loin de vous, j’ai grandi. Nicolas se confie peu et paraît fermé, devant la caméra, devant ses amis, devant sa mère. Mais une certaine innocence pointe le bout de son nez, parfois, dans les moments de libertés, quand il peut redevenir le jeune garçon qu’il est, sans les responsabilités et les choix compliqués qui constituent sa vie.
En refusant la voix-off ou des interviews face caméra, Marie Dumora offre une page blanche à ses protagonistes, leur donnant le soin de la remplir et d'écrire leur propre histoire. Loin de vous, j’ai grandi se construit par des moments de vie épars, dans un regard désireux de desserrer l’étau social. Parce qu’elle décide de filmer cette famille, Sabrina, Nicolas et ses petites sœurs (peut-être futures protagonistes de film…) se transforment en personnages de saga. Une saga intergénérationnelle, transcendant tout un milieu social pour en faire un récit important, presque romanesque, une odyssée intime au cœur d’un territoire gorgé d’histoires.
Laura Enjolvy
Avec : -
Distributeur : Epicentre Films
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Français
Durée : 1h42min
Synopsis :
Depuis longtemps, Nicolas se débrouille seul. Aujourd’hui, il a 13 ans, aime l’histoire d’Ulysse, Jack London, et vit en foyer dans la vallée de la Bruche avec son ami Saïf, arrivé lui, de loin, par la mer. Ensemble, ils partent dans les bois écouter leur musique, parlent filles et mobylettes. Ou fuguent. Parfois, Nicolas retrouve sa mère et les siens pour une virée à la fête foraine, une grenadine ou un baptême. Mais bientôt il a quinze ans et l’avenir s’approche.
Critique :
#Loindevousjaigrandi se construit par des moments de vie épars dans un regard voulant de desserrer l’étau social. Une saga intergénérationnelle transcendant tout un milieu social pour en faire un récit important et intime au cœur d'un territoire gorgé d’histoires (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/UJEajxFGUS
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) November 17, 2021
Marie Dumora filme depuis vingt ans la même famille. D’abord les deux sœurs, Sabrina et Belinda, placées en foyer dès leur plus jeune âge. Sabrina tombe enceinte à quinze ans et choisit de placer son fils, Nicolas, en foyer quelques jours après son baptême, ne se sentant pas capable d’assumer pleinement sa responsabilité de mère. Dix ans plus tard, Nicolas a treize ans et vit toujours au foyer. Il aime Jack London, L'odyssée d'Ulysse et écoute Prokofiev dans la forêt. Loin de vous, j’ai grandi continue l’histoire de la famille Muller, un nouveau chapitre plein d’espoir tandis que Sabrina voit en son fils la promesse d’un autre avenir.
© Epicentre Films |
Nous sommes en Alsace, dans la vallée de la Bruche. Un lieu gorgé d’histoire, une terre de souffrance et de résilience. Les arrières-grands-parents de Nicolas se sont rencontrés dans un camp de concentration non loin de son foyer et se sont aimés. Une ligne invisible se dessine entre eux et lui, porteur de leur histoire que lui apprend sa mère au détour d’une promenade. Marie Dumora filme cette famille yéniche et ce territoire comme si la caméra était invisible. Elle se fond dans le paysage et délivre une vérité à la fois belle et triste. L’attente qu’à la mère de Nicolas est lourde à porter : il doit ne pas commettre les mêmes erreurs qu’elle. Sans les marginaliser, la réalisatrice montre l’étau social autour de cette famille. L’enjeu de Nicolas peut sembler étouffant, c’est peut-être pour cela qu’il fuit le foyer parfois pour aller camper à Strasbourg, avec ses amis. Adolescent taiseux, il s’exprime par le biais des livres qu’il lit. L’appel de la forêt lui rappelle les virés qu’il fait avec son ami Saïf, un migrant tunisien qui lui raconte son épopée en mer pour arriver jusqu’ici. L’Odyssée l’émeut avec son récit d’un exilé incapable de rentrer chez lui. La musique classique, surtout celle du ballet Roméo et Juliette, lui permet peut-être d’exprimer des émotions qu’il se sent incapable de verbaliser. Surtout quand un choix se pose devant lui : rester au foyer ou rentrer enfin chez sa mère.
Marie Dumora a les mêmes règles depuis qu’elle réalise des documentaires. Un seul objectif, le 50 mm, la focale qui retransmet presque l'œil humain, ce qui l’oblige à se rapprocher de ses protagonistes si elle veut filmer des gros-plans. Elle refuse aussi de faire plusieurs prises si elle le peut. Ces règles lui permettent de transmettre une intimité qui pourrait lui être refusée si elle imposait sa présence. C’est presque comme si elle posait la caméra à un endroit et qu’elle laissait la vie se dérouler devant elle, même si sa mise en scène est plus partisane de la caméra portée pour pouvoir suivre Nicolas au gré de ses envies. Cette atmosphère de cinéma-vérité, une « reproduction la plus fidèle possible d'une réalité "vivante et saignante" », d’après Henri-Paul Sénécal, délivre un portrait sensible de l’adolescent. Le récit se construit en dent de scie, grâce à des petites séquences captées à droite à gauche, qui mises bout à bout, composent Loin de vous, j’ai grandi. Nicolas se confie peu et paraît fermé, devant la caméra, devant ses amis, devant sa mère. Mais une certaine innocence pointe le bout de son nez, parfois, dans les moments de libertés, quand il peut redevenir le jeune garçon qu’il est, sans les responsabilités et les choix compliqués qui constituent sa vie.
© Epicentre Films |
En refusant la voix-off ou des interviews face caméra, Marie Dumora offre une page blanche à ses protagonistes, leur donnant le soin de la remplir et d'écrire leur propre histoire. Loin de vous, j’ai grandi se construit par des moments de vie épars, dans un regard désireux de desserrer l’étau social. Parce qu’elle décide de filmer cette famille, Sabrina, Nicolas et ses petites sœurs (peut-être futures protagonistes de film…) se transforment en personnages de saga. Une saga intergénérationnelle, transcendant tout un milieu social pour en faire un récit important, presque romanesque, une odyssée intime au cœur d’un territoire gorgé d’histoires.
Laura Enjolvy