[CRITIQUE] : La fracture
Avec : Valeria Bruni-Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmaï, Aissatou Diallo Sagna,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : Français
Durée : 1h38min
Synopsis :
Le film a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2021
Raf et Julie, un couple au bord de la rupture, se retrouvent dans un service d’Urgences proche de l'asphyxie le soir d'une manifestation parisienne des Gilets Jaunes. Leur rencontre avec Yann, un manifestant blessé et en colère, va faire voler en éclats les certitudes et les préjugés de chacun. À l'extérieur, la tension monte. L’hôpital, sous pression, doit fermer ses portes. Le personnel est débordé. La nuit va être longue…
Critique :
#LaFracture analyse avec pertinence et humour la situation actuelle et rend hommage au personnel soignant, positionné en héros/héroïnes pendant le 1er confinement mais oublié par la suite, mais aussi à l’entraide dénuée d’intérêt pendant les situations de crise. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/oSoNiUWXML
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) September 13, 2021
Catherine Corsini revient avec son onzième long métrage et nous présente une nuit mouvementée au sein d’un hôpital parisien. Après avoir adapté le texte de Christine Angot dans Un amour impossible, la cinéaste s’intéresse à la crise sociale que nous vivons en France depuis quelques années.
Filmé l’année dernière, pendant la crise sanitaire, La fracture détient un ton d’urgence, un mouvement incessant qui lui donne tout son cachet. Cette fracture du titre en cache plusieurs. Fractures sociales, entre les Gilets Jaunes, la crise hospitalière, la violence policière. Fracture intime dans un couple formé par Valeria Bruni-Tedeschi et Marina Foïs. Fracture individuelle pour Pio Marmaï qui interprète un camionneur au bord du gouffre et Aissatou Diallo Sagna, une infirmière en burn-out avec un bébé malade. Fracture de ton dans un film alliant drame social réaliste et vaudeville hilarant.
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Raf et Julie traversent une crise après dix ans de relation. Interprétées respectivement par Valeria Bruni-Tedeschi et Marina Foïs, Catherine Corsini creuse avec talent les particularités des deux actrices. Julie est blasée, cassante, envoie des piques bien senties. Raf, au contraire, est impulsive, inconséquente, vit dans sa bulle. Leur couple est donc explosif, au bord de la rupture quand nous les voyons pour la première fois. Pendant qu’elle se dispute, leur fils se prépare à se rendre à la manifestation des Gilets Jaunes, prévue sur les Champs-Élysées l’après-midi même. Lors de ce début de film, les manifestations sont secondaires dans la vie de Raf et Julie, un événement hors de leur quotidien déjà mouvementé. Mais le destin (scénario) va les placer au cœur de la manifestation, dans un hôpital parisien en grève, avec des médecins et infirmier⋅ères en sous-effectif, qui vont devoir quand même gérer les nombreux patients aux urgences (dont la moitié sont des blessé⋅es de manif).
Pendant que la cinéaste met en place un ton humoristique, avec deux actrices au sommet de leur art (Valeria Bruni-Tedeschi n’a jamais été aussi hilarante, en totale roue libre), elle prépare également son regard sur la situation sociale en France. Le ras-le-bol des prolétaires sur la politique “pro-riche” de Macron, avec le personnage de Pio Marmaï, Yann. La situation catastrophique des hôpitaux, avec des soignant⋅es qui doivent enchaîner les gardes, qui doivent quémander des lits, qui doivent gérer avec peu de moyen les différentes crises, à l’aide du personnage interprété par Aissatou Diallo Sagna, une infirmière douce et compétente, également jeune maman. Catherine Corsini mélange les genres à l’intérieur de cette salle d’attente, microcosme de la France d’aujourd’hui. L’humour désamorce parfois les scènes de violences policières, de détresse sociale mais ne les édulcore pas. C’est toute la force de La fracture, de rassembler les gens, les genres et les émotions en un seul et même film. Le film ne s’arrête alors jamais. Il commence dans un élan comico-tragique et garde une dynamique intense jusqu’à la toute fin, où nous ressortons complètement lessivé⋅es par cette proposition de cinéma finalement très humaine. On crie, on pleure, on s’énerve, on souffre et malgré les situations cocasses, tout cela contient un goût amer, bien trop réel.
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La cinéaste propose un portrait nuancé de cette France divisée et regarde au-delà des préjugés. Le temps d’attente très long aux urgences cache des soignant⋅es en bout de course, à qui l’on demande de devenir des machines. La colère des Gilets Jaunes cache une situation précaire insoutenable (Yann est prêt à mettre en danger sa santé pour ramener son camion et livrer sa cargaison). Raf et Julie, les personnages les plus “chanceux” du film, sont alors forcées de voir ce qui se passe hors de leur petite crise de couple. La première finit par se lier d'amitié avec un Gilet Jaune. L’autre déambule dans les couloirs de l’hôpital et finit par venir en aide aux patients, témoin au premier plan d’une souffrance physique et psychologique.
Fabriqué pendant une crise sanitaire surplombant la crise sociale que nous voyons à l’écran, La fracture analyse avec pertinence et humour la situation actuelle et rend hommage à la fois au personnel soignant, positionné en héros/héroïnes pendant le premier confinement mais oublié par la suite, mais aussi à l’entraide dénuée d’intérêt pendant les situations de crise.
Laura Enjolvy