[CRITIQUE] : Drive my car
Réalisateur : Ryusuke Hamaguchi
Avec : Hidetoshi Nishijima, Tōko Miura, Masaki Okada, Reika Kirishima,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Japonais
Durée : 2h59min
Synopsis :
Alors qu'il n'arrive toujours pas à se remettre d'un drame personnel, Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène de théâtre, accepte de monter Oncle Vania dans un festival, à Hiroshima. Il y fait la connaissance de Misaki, une jeune femme réservée qu'on lui a assignée comme chauffeure. Au fil des trajets, la sincérité croissante de leurs échanges les oblige à faire face à leur passé.
Critique :
Au travers du langage, le cœur des liens sociaux et de la communication, #DriveMyCar déploie un récit de toute beauté sur le deuil, l’amour et l’acceptation de l’autre, dans son entièreté, formant une magnifique métaphore entre le réel et la fiction. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/19AVDfUtDT
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) August 18, 2021
Chaque année, pendant le festival de Cannes, un film gagne le cœur des festivaliers, mais gagne rarement la sacro-sainte Palme d’or. L’expression «palme du cœur» se dresse alors partout. Cette année, cette palme fictive revenait à Drive my car, le nouveau film de Ryusuke Hamaguchi, reparti de Cannes avec le prix du scénario. Cinéaste longtemps inédit en France, Hamaguchi nous est apparu comme un raz de marée en 2018 avec Senses, puis avec Asako I & II. Cette force délicate et sensible est de nouveau présente, avec le film qui nous intéresse mais aussi avec Contes du hasard et autres fantaisies, passé à la Berlinale en mars dernier, où il a obtenu le Grand Prix du jury.
Adapté d’une nouvelle éponyme, présentée dans le recueil Des hommes sans femmes écrit par Haruki Murakami, Drive my car est une odyssée de trois heures qui vient sonder la complexité des relations humaines au travers de deux personnages en deuil. À l’intérieur d’une petite voiture rouge se joue la lente reconstruction de deux êtres en proie au chagrin et à la résignation.
Diaphana Distribution |
Le film de Ryusuke Hamaguchi commence par un monologue, en contre-jour dans une chambre baignée d'obscurité. Oto (Reika Kirishima) raconte à son mari une histoire autour d’une jeune adolescente qui rentre par effraction dans la maison d’un jeune homme. Il est question de peur, de passion, de désir. Sa voix transforme la chambre noir en un papier blanc, où elle couche son scénario pour ne pas l’oublier. Son mari, Yusuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima), célèbre acteur et metteur en scène de théâtre, l’écoute patiemment, exactement comme nous, spectateur‧trices, avides de son récit. Le couple est dans son plus simple appareil, que la caméra montre pudiquement. La scène se déroule simplement et montre un certain quotidien dans leurs gestes, dans leurs dires. Avec peu de plans, le cinéaste nous dévoile l’intimité de ce couple, leur vie ensemble, leur petite manie et habitude. Nous avons l’impression qu’ils n’ont rien à se cacher, que leur communication est fluide, sans part d’ombre. Pourtant, pendant la première heure du film, consacrée à la vie commune d’Oto et Yusuke, nous verrons les silences dans leur dialogue, les gestes suspendus, les secrets dévoilés. C’est un couple en deuil, leur fille partie pour toujours, emportée par une maladie à l’âge de quatre ans. C’est un couple qui a dû se reconstruire, trouver un nouveau rythme pour digérer la souffrance. L’ancienne actrice a su trouver sa porte de sortie par les mots, les dialogues, la construction d’un récit. L’acteur et metteur en scène s’est laissé porter par le texte d’un autre, Beckett ou Tchekhov, sur scène et lui a trouvé une nouvelle gestuelle, un nouveau souffle par une mise en scène jouant sur les différents langages. Mais quand Oto décide de lever le voile sur les silences, un drame survient et la communication sera coupée pour toujours entre eux deux.
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Deux ans plus tard, Yusuke arrive à Hiroshima pour une résidence de deux mois, où il doit monter Oncle Vania de Tchekhov. On lui impose une conductrice, qui s’installe à sa place dans sa voiture rouge, endroit de dialogue, de répétition et de souvenirs. La voiture est comme une partie du corps de Yusuke, un endroit intime, un lieu sacré. Y laisser entrer une inconnue reviendrait à se dévoiler entièrement. C’est donc avec réticence qu’il accepte Misaki (Tōko Miura) dans l’habitacle. La conduite souple et le profond respect de cette dernière, envers lui et sa voiture, viendront enlever les doutes. D’abord bercé‧es par la voix d’Oto, sur une cassette enregistrée pour permettre à Yusuke de répéter son texte, Misaki et lui partageront leurs deuil et les secrets d’autres personnes, venus dans la voiture pour parler à Yusuke. La voiture, objet en perpétuel mouvement, devient la métaphore d’une vie qui ne peut s’empêcher de continuer, malgré la mort. En positionnant sa caméra dans l’habitacle, Ryusuke Hamaguchi choisit de se placer aux côtés des vivants, qu’importe les fantômes qui les accompagnent. Le changement de place de Yusuke dans cette voiture, passant de conducteur (celui qui décide de la trajectoire, comme un metteur en scène) à passager, l’oblige à changer de point de vue et à écouter davantage, sa concentration n’étant plus placée sur la route. Ainsi, le récit ouvre les possibilités d’une réparation, protéger dans une voiture qui n’est jamais tombée en panne d’après les dires de Yusuke. Ceux et celles qui auraient bien besoin d’être réparé‧es sont les humains qui la conduisent, qui y montent.
Au travers du langage, le cœur des liens sociaux et de la communication, Drive my car déploie un récit de toute beauté sur le deuil, l’amour et l’acceptation de l’autre, dans son entièreté. Si sa durée peut rebuter, le film ne comporte aucune longueur. Chaque dialogue, chaque plan à sa place et forme une magnifique métaphore entre le réel et la fiction.