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[SƎANCES FANTASTIQUES] : #61. Bunny Lake is missing

Copyright Columbia Pictures / Wheel Productions

Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s, sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'œuvres de la Hammer que des pépites du cinéma bis transalpin, en passant par les slashers des 70's/80's ; mais surtout montrer un brin la richesse des cinémas fantastique et horrifique aussi abondant qu'ils sont passionnant à décortiquer. Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture nos billets !

#61. Bunny Lake a disparu d'Otto Preminger (1965)

Anne, mère de Bunny, dépose sa fille dans sa nouvelle école. Lorsqu’elle vient la chercher, la petite fille demeure introuvable. L’enquête démarre pour Anne et Steve...

Attention, spoilers!


Bunny Lake is missing est le dernier film qui fera vraiment date dans la longue filmographie d’Otto Preminger, réalisateur du culte Laura, en 1944.

Le film est adapté du livre de l’écrivaine Marryam Modell, publié en 1957.


Bunny au pays de l'angoisse


Bunny Lake is missing est un film magistral, tant sur la forme que sur le fond. Plutôt que de seulement traiter le thème classique des apparences trompeuses, Preminger choisit d’utiliser les classiques préjugés que l’on a tous-tes, pour évoquer une violence intra familiale peu traitée, celle d’un frère sur une sœur.

La toxicité de l’inceste prend même vie, à travers le comportement du frère dans la terrible, mais magistrale dernière séquence.
Le personnage d’Anne ne cesse de tenter d’éviter cette menace qui ne fait que la suivre, en adaptant son comportement à celui de son frère, pour survivre.
Illustrant précisément la manière d’agir des victimes d’inceste, pour supporter, résister.

Copyright Columbia Pictures / Wheel Productions


Bunny Lake is missing sort en 1965, dans une période forte en mouvements féministes, autant au Royaume Uni qu’aux USA. Il faut noter que le film est joué, réalisé et produit par des Américain-es, quand l’action se situe à Londres (alors que l’action du livre se situe à New York).
Depuis le début des années 60, les femmes arrivent sur le marché du travail, les lois pour l’avortement s’assouplissent, des lois interdisent toutes discriminations sexuelles.
Betty Friedan, écrivaine féministe américaine sort un best seller “La femme Mystifiée”, critiquant la manière dont les media représentent les femmes, et surtout la fameuse femme de classe moyenne instruite et qui serait heureuse, mais cache en réalité des souffrances.
Des apparences trompeuses, donc.


Qu'est il arrivé à Baby Bunny?


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Dès le générique (réalisé par le brillant Saul Bass), le ton est donné. Il est donné à voir une main, qui arrache un papier, dévoilant les noms. Il y aura donc une vérité à trouver derrière la première façade.

Otto Preminger enchaîne avec l’exposition qui sera cette première façade.

Ainsi, on nous présente une famille classique, aisée, bien sous tous rapports.

Anne (jouée par l’excellente Carol Lynley que l’on verra davantage dans des séries B d’horreur par la suite), est d’abord décrite comme une bonne mère qui s’inquiète de l’accueil de sa fille dans sa nouvelle école. Elle représente également la ménagère qui s’occupe de préparer un bon repas à son compagnon.

Pourtant, on peut aussi voir une deuxième lecture de l’introduction du personnage d’Anne. Preminger expose sa protagoniste dans toute sa solitude. Elle erre dans une école qui semble vide, sans personne pour l’accueillir elle et sa fille, à la manière d’un personnage perdu dans un manoir inquiétant. Quand elle va chercher sa fille, elle est envahie par une horde d’enfants, qui deviennent subitement une menace qui grouille autour d’elle.

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La solitude d'Anne s'intensifiera tout au long du film. Face aux gérantes de l’école, de la police qui doute de l’existence de Bunny, à son propriétaire pressant, et évidemment face à son frère.


Take the power back


Pourtant, en apparence dominée, Anne prend aussi le statut de dominante.

Elle tient tête aux policiers qui doutent de l’existence de Bunny, quitte à enquêter elle-même. J’en profite pour souligner que le gaslighting est utilisé ici, dans le but de décrédibiliser les policiers, paradoxalement. Le point de vue nous place toujours du côté d’Anne. La mise en scène prend soin dès le départ de nous inciter à faire confiance à Anne, qui s’inquiète de laisser sa fille entre de bonnes mains.

De même, quand elle explique que le nom “Bunny” vient de son amie imaginaire d’enfance qui était un personnage dans un livre, elle assume cette référence. Le fait qu’elle ne souvient plus de l’histoire de Bunny dans le livre, marque bien qu’Anne s'est détachée de cette imaginaire et qu'elle est ancrée dans la réalité.
Ainsi, alors que nous n’avons pas plus de preuves de la réalité de l’existence de Bunny, on fait confiance à notre héroïne. Par ailleurs, elle n’hésite pas à affirmer sa situation familiale délicate pour l’époque, être mère célibataire. 


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Mais elle reste dépendante d’un homme, son frère, dont Preminger nous aura fait croire qu’il était son compagnon, en utilisant nos aprioris sur la manière d’identifier un couple (ce qui en dit long sur les représentations du couple au cinéma).
Tout comme le fait que sa domination s’illustre à travers le fait qu’il a incité Anne enfant, à brûler fictivement l’amie imaginaire de sa soeur. 


Le mâle fraternel


La menace du frère est représentée via ses deux facettes. Le côté homme adulte dominant. Il est toujours associé au noir, se permet d’occuper l’espace, la parole, et tient le rôle attendu de l’homme qui calme la femme apeurée.

Mais sa facette sombre se manifeste lorsqu’il se tient derrière Anne de manière régulière. Comme une ombre (au propre comme au figuré). Parfois, la caméra le suit tel un prédateur qui fond sur sa proie, et il occupe le cadre, en étouffant sa sœur.


Copyright Columbia Pictures / Wheel Productions
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Sa puérilité dangereuse est caractérisée par le fait qu’il utilise des jouets. Dès la scène d'ouverture, il s'empare d'une peluche qu'il cache. Puis on le voit sur un cheval à bascule.

Le basculement se fait lorsqu'il brûle la poupée de Bunny qui représente la petite fille à ses yeux. C’est aussi très clair dans le final, quand il est enfermé dans la véranda avec la fille d’Anne, simulant une partie de cache cache des plus sordides. A mon sens, c'est une des représentations les plus efficaces de la toxicité de la puérilité masculine, souvent traitée à tort, de manière comique au cinéma.


Copyright Columbia Pictures / Wheel Productions
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A l’image d’Alice au Pays des Merveilles qui découvre le monde absurde des adultes, Anne tente d’évoluer dans un monde tout aussi insensé et menaçant: entre les gérantes hostiles de l'école et les enfants qui grouillent, son propriétaire qui la harcèle sexuellement. Mais aussi les policiers qui hésitent à la prendre au sérieux, et son frère qui ne supporte pas de l’avoir pour lui seul, Anne doit redoubler de détermination pour protéger sa fille. Et quand elle semble trouver du réconfort en plongeant dans un monde de poupées symbolisant sa fille, c'est pour mieux sombrer par la suite.

Bunny Lake is Missing est un bijou de mise en scène. C’est une oeuvre sublimée par une photo en noir et blanc soignée qui mérite d’être (re)découverte, et dont la séquence finale reste toujours aussi terrifiante 55 ans plus tard.



Jessica
 



Jessica (Bon Chic Bon Genre)
Le blog qui parle de cinéma de genre(s) et de représentations.

Passionnée de cinéma de genre, j'axe mon travail sur l'analyse de la représentation des minorités et des problématiques féministes.
Je suis membre de La S'horrorité, collectif féministe de créatrices autour du cinéma de genre.

Blog : Bon Chic Bon Genre




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