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[CRITIQUE] : Désigné Coupable


Réalisateur : Kevin Macdonald
Acteurs : Tahar Rahim, Jodie Foster, Benedict Cumberbatch, Shailene Woodley, ...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Biopic, Drame, Thriller
Nationalité : Britannique, Américain
Durée : 2h10min

Synopsis :
L'histoire vraie de Mohamedou Ould Slahi, un Mauritanien que son pays a livré aux Etats-Unis alors en pleine paranoïa terroriste à la suite des attentats du 11 septembre 2001. L'homme a passé des années en prison sans inculpation ni jugement. Il a retrouvé la liberté en octobre 2016.


Critique :



Kevin Macdonald revient avec un long métrage de fiction — après les documentaires L’échelle céleste : l’art de Cai Guo-Qiang (disponible sur Netflix) et Whitney — avec un récit basé sur une histoire vraie. Désigné Coupable s’intéresse à l’histoire de Mohamedou Ould Slahi, un mauritanien enfermé pendant quatorze ans dans la prison américaine de Guantánamo alors qu’il était innocent. Maintenant libre, il a écrit son effroyable expérience dans un livre, Les Carnets de Guantánamo, un ouvrage censuré en partie par un gouvernement américain peu enclin à dévoiler une part sombre de leur justice, après le cauchemar du 11 septembre. Le cinéaste écossais réunit un casting solide pour livrer ce drame humain : Tahar Rahim prête ses traits à Mohamedou, Jodie Foster interprète son avocate Nancy Hollander et Benedict Cumberbatch le procureur militaire, bien décidé à faire payer l’accusé.

Copyright Metropolitan FilmExport

Parti très tôt faire ses études à Berlin, Mohamedou revient en Mauritanie pour un mariage. Il profite alors de sa famille, de la plage, de la joie du moment. Elle est de courte durée. Les autorités de son pays viennent le chercher, le FBI aurait des questions à lui poser concernant son cousin, et ses possibles liens avec Al-Qaïda. Dans la panique, il efface tous ses contacts de son téléphone portable, un geste qui jouera bien sûr contre lui. Il est embarqué sous les yeux de sa mère, pensant rentrer chez lui après son interrogatoire. Il ne reverra son pays que quatorze ans plus tard. Désigné Coupable joue sur la véracité de son récit. “Ceci est une histoire vraie” s’inscrit directement dans les premiers plans du film, enlevant le mot “inspiré”, expression que l’on voit souvent pour des biopics ou des événements historiques. La volonté du réalisateur se place ailleurs et met les spectateur‧trices dans un siège difficile, celui de juge. Il nous faut juger le point de vue de Mohamedou, son innocence ou sa culpabilité, les méthodes employées par les États-Unis pour venger l’attentat du World Trade Center. Le film place un autre personnage au centre, qui devient le vecteur de l’action, Nancy Hollander, l'avocate de Mohamedou. Militante des droits humains et de la justice, il est impensable pour elle de laisser les détenus de Guantánamo sans chef d’accusation, sans procès. Les prisonniers sont comme Mohamedou, emprisonnés depuis de longues années, interrogés chaque jour, sans avocats et parfois sans preuves recevables dans une cour de justice. En acceptant de représenter Mohamedou, Nancy Hollander milite pour le Habeas Corpus, qui s’oppose à une justice arbitraire et énonce la liberté fondamentale de ne pas être emprisonné sans jugement.

Copyright Metropolitan FilmExport

Kevin Macdonald met l’accent sur l’empathie dans sa mise en scène et joue sur le capital sympathie de Tahar Rahim pour faire passer les différentes émotions du personnage. Le film ne nous permet pas, tout d’abord, d’assurer l’innocence de Mohamedou. Le cinéaste joue avec l'ambiguïté de ses liens avec Ben Laden, et la recherche de preuves instaurée par Nancy et le procureur, en vue du procès. Le cadre est proche de ses personnages, une approche sensorielle parfois inconfortable dans les séquences les plus atroces, la torture, induite par une lettre écrite de la main de Mohamedou. Malgré nos possibles connaissances sur la violence de cette prison sur le territoire cubain, ces séquences prennent une tournure presque voyeuriste et donc insoutenable, resserrées comme une liste des méthodes américaines pour briser un être humain. Heureusement, ces séquences sont mises en parallèle dans le montage avec des plans sur Jodie Foster (qui lit le récit de son client) et Benedict Cumberbatch (qui lui, lit les compte-rendus non censurés du gouvernement), des visages scandalisés, émus, effrayés par ce que nous voyons dans le cadre, permettant de créer une distance et de souffler un peu face à la brutalité.

Copyright Metropolitan FilmExport


En mettant en parallèle les scènes carcérales et la quête du procès, Désigné Coupable évite un récit jalonné de poncifs sur la justice et permet même un questionnement sur la prison et les parts sombres de l’histoire des États-Unis, interrogeant dans le même mouvement notre propre responsabilité et la notion, bien plus complexe qu’il n’y paraît, de liberté.



Laura Enjolvy