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[CRITIQUE] : Madame Claude

 

Réalisatrice : Sylvie Verheyde
Avec : Karole Rocher, Roschdy Zem, Garance Marillier, Pierre Deladonchamps,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame, Biopic.
Nationalité : Français
Durée : 1h52min

Synopsis :
Fin des années 1960, Madame Claude règne sur Paris et au-delà grâce à son commerce florissant. En réinventant les codes de la prostitution, en empruntant ceux de la bourgeoisie et en s’inventant un passé respectable, elle est devenue une femme d’affaires redoutée et estimée du monde politique au grand banditisme. Femme de pouvoir dans un milieu et une époque d’hommes, à la veille des grands mouvements de libération de la femme, elle sera aussi le témoin de la fin d’une époque. Sa rencontre avec Sidonie, son opposée mais aussi son alter ego, sera imperceptiblement le fil conducteur de l’érosion de son empire. Sidonie est la fille qu’elle s’est choisie, qui deviendra presque son bras droit. Pour la première fois de sa vie, elle tient à quelqu’un. Elle qui tient le tout Paris dans ses carnets, qui s’est construite sur la haine et la honte, aimer quelqu’un, ça, elle ne sait pas le gérer. Sans le vouloir, et sans doute aussi car elle représente la liberté et l’indépendance, Sidonie précipitera sa chute...



Critique :



Un temps prévu pour la salle, le nouveau film de Sylvie Verheyde, Madame Claude, est sorti directement sur Netflix le 2 avril. Après s’être intéressée à la figure de la call-girl dans Sex Doll (2015), la cinéaste a confié vouloir explorer l’envers du décor, explorer une autre partie de ce monde, le proxénétisme. C’est au travers d’un personnage emblématique du monde de la nuit, Fernande Grudet, dite Madame Claude, qu’elle nous entraîne dans la France de Pompidou et dresse un portrait insipide et peu convaincant de la “maquerelle de la République”.


Copyright Netflix

La fascination autour de Madame Claude est intacte, malgré les années. Devenue célèbre grâce à son réseau de “filles” qu’elle envoyait dans les chambres d’illustres membres du gouvernement ou de stars de toutes nationalités dans les années 60, sa vie avait déjà fait les frais d’une adaptation sous les traits de Françoise Fabian dans un film érotique en 1977, réalisé par Just Jaekin. Un biopic peu fidèle d’après les dires de Sylvie Verheyde, qui brosse dans le sens du poil cette femme beaucoup plus ambivalente qu’on veut bien nous la montrer. Quand la cinéaste s’est prise de passion pour ce projet de film, sa première volonté était de montrer le côté sombre de Claude. Menteuse invétérée, Fernande la provinciale issue d’une famille pauvre, s'est réinventée une fois sur Paris. Elle est devenue Claude, d’origine bourgeoise, éduquée chez les Soeurs visitandines et résistante pendant la guerre. La cinéaste prend donc de grande liberté dans son récit pour nous raconter une toute autre histoire, celle d’une maquerelle manipulatrice, qui mène ses filles à la baguette tout en jonglant dans un milieu d’hommes (donc dangereux). Madame Claude est le portrait d’une femme sous la France de Pompidou, prônant la seule émancipation qu’il lui soit accessible, celle du corps. Tandis qu’elle l’offre contre de l’argent, son esprit tourne à plein régime et fomente un business lucratif. “Prendre l’argent là où il y en a et baiser les hommes de l’intérieur” comme le personnage l’apprend à une de ses nouvelles protégées, Sidonie, interprétée par Garance Marillier. Une relecture qui se veut féministe, jouant sur la dichotomie entre le monde de la prostitution (un monde de pouvoir régit par les hommes) et la figure de la maquerelle, comme une femme qui a réussit son ascension sociale.

Copyright Netflix

Hélas, la réalisatrice passe à côté de son sujet. Madame Claude dévoile une vision romantique du personnage, comme détachée du réel. Évidemment, on peut louer la volonté de la réalisatrice à s’échapper du côté érotisé et léger du film de Jaeckin. Mais dans sa volonté de s’en éloigner à tout prix, Sylvie Verheyde transforme les séquences sexuelles en scène dénuée de vision. Il réside alors une sorte de fétichisme mal assumé dans cette mise en scène mécanique, qui ne sait pas comment filmer ces corps. Comme si la cinéaste était à la fois dégoûtée de devoir inclure ces séquences, mais aussi fascinée par les fantasmes des messieurs qui font appels aux filles de Claude. La bisexualité du personnage de Sidonie devient juste un prétexte à une scène de plan à trois. La méthode du bondage vient comme une cheveu sur la soupe dans une scène, qui avec une mise en scène maladroite, devient le moyen de cadrer en gros plan les parties du corps de l’actrice. Si la caméra reste sur le personnage et suit sa détresse, la mise en scène découpe son corps et ne remet pas en question l'action du récit. Le va-et-vient entre les larmes et son corps dans le cadre questionne sur le regard que porte la réalisatrice sur cette scène : que veut-elle exprimer ? La souffrance du personnage ou alors veut-elle nous émoustiller ? Ce n’est pas clair. Ce questionnement s’étend à l’ensemble du film. Madame Claude ne s’intéresse jamais au business du personnage, comme si la narration méprisait la prostitution, qui est pourtant le cœur du récit. Les “filles” de Claude n'existent pas dans le cadre, elles n’intéressent pas la réalisatrice. Les différentes histoires qui entourent le personnage (comme l’affaire Markovic) ne sont jamais expliquées dans le récit. L’époque où se place la narration est montrée trop subtilement pour que le spectateur comprenne les mécanismes du système dans lequel vit Fernande. On ne voit rien de la condition féminine sous Pompidou. Ne reste qu’une vision maladroite d’un monde extérieur au nôtre. Madame Claude nous donne l’impression que la réalisatrice elle-même ne comprend pas ce monde.

Copyright Netflix

Sylvie Verheyde dresse le portrait de Madame Claude en s'éloignant du système dans lequel elle évolue. Une vision dénuée d'intérêt, malgré cette volonté louable de montrer le personnage dans toute son ambivalence.


Laura Enjolvy