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[CRITIQUE] : The Keeping Room


Réalisateur : Daniel Barber
Avec : Brit Marling, Hailee Steinfeld, Muna Otaru, Sam Whorthington, Kyle Soller,...
Distributeur : OCS
Budget : -
Genre : Drame, Western
Nationalité : Américain
Durée : 1h30min

Synopsis :
Laissées seules sans hommes et alors que la guerre de Sécession touche à sa fin, trois femmes - deux sœurs et une esclave afro-américaine - vont devoir se défendre contre l'attaque d'un groupe de soldats déserteurs de l’armée de l’Union qui se rapprochent à grands pas des états du Sud.




Critique :



En 2015, Daniel Barber sortait son deuxième long métrage, The Keeping Room, un neo-western porté par Brit Marling et Hailee Steinfeld. Resté inédit en France, nous pouvons enfin le visionner sur OCS depuis le 8 mars, date pas si anodine vu le sujet du film. Genre américain et surtout très masculin, le western se modernise ces dernières années et développe des personnages féminins plus importants au sein du récit. Daniel Barber fait encore mieux en proposant un casting constitué majoritairement par des femmes. Cette originalité fait passer la pilule d’un énième film sur la guerre de Sécession. Sujet éculé, il offre ici le point de vue de femmes éloignées de cette guerre, victimes collatérales. Mais le danger rôde pour ces femmes seules, sans figure masculine pour les protéger des violences de genre.

Copyright Koch Media

Bien que centré sur des personnages féminins, le cinéaste commence son film par la menace, c’est-à-dire les hommes. Deux hommes en l'occurrence, filmés comme des archétypes de la violence masculine. Ils tuent sans sommation, agressent, violent. Ils n’ont plus de limites. Moïse (Sam Worthington) dévoilera même à une de ses victimes qu’il ne sait plus comment s’arrêter, la guerre ayant détruit tout repère. Augusta (Brit Marling) et Louise (Hailee Steinfeld) vivent dans leur maison familiale avec Mad (Muna Otaru), leur domestique noire. La classe sociale est devenue floue et les trois femmes se serrent les coudes. Toutes mettent la main à la patte pour ne pas dépérir. Il faut tenir jusqu’à la fin de la guerre, même si nous comprenons assez vite que leurs parents, frères et autres domestiques hommes sont partis à la guerre et n’en reviendront plus. Daniel Barber installe une atmosphère posée, presque éthérée, qui forme un contraste frappant avec la violence du début. Louise se lève et rêvasse sur un siège à bascule, pendant que Mad brosse un cheval blanc. Augusta, quant à elle, essaye de chasser dans une forêt dense et magnifique, elle se fond dans la nature, sans succès. Son coup de feu vient perturber ce calme factice, comme une ombre dans ce doux tableau de femmes à la campagne. La réalité est bien plus brute, la forêt dangereuse. C’est par ce biais que viendront les problèmes. Une morsure de raton laveur oblige Augusta à prendre le risque de sortir de leur cocon, et ramène avec elle les deux Yankee, avides de chair fraîche.

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The Keeping Room ausculte une Amérique rongée par le mal et par la violence. C’est un peu là où le bât blesse, quand le récit transforme les deux antagonistes en métaphore de la violence masculine. Daniel Barber les filme alors en monstre sanglant, sans nuance et joue toutes ses cartes là-dessus. Ce trope de l’homme animal, qui excuse presque son agressivité, propose une représentation surannée de la violence. Le film ne leur donne aucune substance, à contrario du film de Jacques Audiard, Les frères Sisters, qui justement déconstruisait la figure du cow-boy, questionnait la violence et le pouvoir. Hélas, dans le film qui nous intéresse, les deux personnages ne dépassent jamais l’enjeu du récit. Il est dommage alors de donner de la valeur à des personnages féminins sans montrer un minimum le système dans lequel elles vivent, qui nourrissent la violence de genre, exacerbé en ce temps-là par une guerre sans merci. Cependant, la scénariste Julia Hart n’oublie pas la double violence raciste et sexuelle des femmes noires et donne la parole à Mad pour raconter son enfance en tant qu’esclave.


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Le film détient un rythme particulier et place la confrontation finale entre hommes et femmes, non pas pendant le climax, mais juste avant. Un propos intéressant se déploie alors. Leur combat ne se situe pas dans cet instant T mais dans l’après. Les deux Yankee sont des catalyseurs, le signal que d’autres vont venir. Leur combat ne se finira donc pas vraiment, il ne fait que commencer. L’émancipation féminine est loin d’être dénuée de violence ici, où pour s’affranchir d’une condition de victime, il faut renier son genre pour être en sécurité.
The Keeping Room est loin de porter un message d’espoir. Explorant la violence masculine d’une façon peu nuancée, le film a le mérite de mettre en avant des personnages féminins solides dans un genre généralement très masculin. C’est par leur point de vue que nous sommes témoins d’une Amérique rongée par la violence et le sang.


Laura Enjolvy
 


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