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[CRITIQUE] : Malcolm & Marie


Réalisateur : Sam Levinson
Avec : Zendaya et John David Washington
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame, Romance
Nationalité : Américain
Durée : 1h46min

Synopsis :
Après la projection en avant-première de son dernier film, un cinéaste rentre chez lui avec sa petite amie. Alors qu'il est certain que son film rencontrera un succès critique et commercial, la soirée prend une tournure inattendue : les deux amoureux doivent affronter certaines vérités sur leur couple qui mettent à l'épreuve la force de leurs sentiments…


Critique :


L’art doit-il être sans contraintes ? S’il n’est pas question de répondre à cette vaste question dans ces lignes, des exemples d'œuvres exécutées sous de fortes contraintes pullulent pour démontrer que la créativité est parfois favorisée quand le choix est restreint. Sam Levinson avait deux choix, quand en mars dernier le coronavirus a frappé à sa porte pour l’inviter à se confiner : attendre de pouvoir tourner la seconde saison d'Euphoria, ou alors profiter de ce moment de calme pour tourner un film en deux semaines, avec équipes réduites et protocole sanitaire élevé. Malcolm & Marie est le fruit de la seconde proposition. Disponible sur Netflix le 5 février, ce morceau de pellicule, petit miracle en termes de production, est le troisième long-métrage du réalisateur. Après Assassination Nation, véritable raz-de-marée pop, et son incursion dans l’univers de la série TV avec Euphoria, il change de registre pour s’intéresser au couple, à l’art et comment les deux se concilient.

Copyright DOMINIC MILLER/NETFLIX

Une maison. Une nuit. Deux personnages. Malcolm & Marie est construit de bric et de broc. Filmé en pellicule, la Kodak double-x qui donne un noir et blanc très contrasté, le film suit les deux protagonistes qui déambulent dans cette vaste maison, après une avant-première de film bien arrosée. Ce qui frappe en premier lieu, c’est la beauté qui suinte du cadre. La maison luxueuse, les habits de soirée, l’image sublimée par le chef opérateur Marcell Rév et surtout les acteur·trice·s : Zendaya et John David Washington, filmé·e·s par une caméra désireuse de capter toute leur séduction. Il est Malcolm, cinéaste dont le nouveau film est acclamé par la critique. Elle est Marie, sa compagne, qui lui prépare un mac and cheese post-soirée, la mâchoire crispée. Le problème, c’est qu’il a oublié de la mentionner dans ses longs remerciements après la projection, alors qu’elle l’encourage depuis le début sur le film en question. Le ton de la soirée est donné ; alors que Malcolm exulte, Marie l’écoute en silence et contient ses émotions. Jusqu’à l’explosion. Prétexte à une dispute beaucoup plus profonde, le film expose les ressentiments des deux personnages, les non-dits de la relation. Petit à petit, tous deux quittent le glamour de leurs habits et se dévoilent devant l’un l’autre, mais aussi devant nous. À chaque millimètre de costumes enlevés, les personnages quittent l’aspect séduisant de leur être (favorisé par le noir et blanc) et se révèle vulnérable, irascible, plein de défauts devant la caméra. Comme si Sam Levinson voulait à tout prix casser un mythe, ce qui se cache derrière les paillettes.

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Plusieurs disputes éclatent, rythmant le film qui passe, d'altercation à réconciliation. Ces tempêtes servent aussi à délivrer quelques informations cruciales pour comprendre les réels enjeux de ces joutes verbales. Par fragment, nous apprenons que Marie est une ancienne addicte, que Malcolm a longtemps eu des déboires dans sa jeune carrière de cinéaste et que leur couple a connu des moments durs, qui a consolidé leur relation. Le film de Malcolm est d’ailleurs librement inspiré de l’addiction de Marie, et c’est pourquoi son oubli de remerciement la rend si amère. Malcolm & Marie veut creuser plus loin que les déboires relationnels du couple, et tend vers une réflexion de la place de l’art dans l’amour, ainsi que des questions plus politiques, la place des critiques et le racisme des institutions. Malcolm cite plusieurs cinéastes pour étayer ses propos : son cinéma serait politique parce qu’il est noir, alors qu’il veut s’ancrer vers un héritage classique comme William Wyler. Il voudrait être politique parce qu’il l’aurait décidé et non parce que son actrice principale est noire. La séquence où il exprime sa colère face à une critique (pourtant extrêmement positive) sur son film est à la fois hilarante et caustique. Avec beaucoup de verve et d’intelligence, Levinson appuie là où ça fait mal, sur une presse cinéma blanche, souvent prétentieuse et qui peine à déconstruire son regard sur des questions progressistes.

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En plus d’être un film esthétiquement magnifique, Malcolm & Marie donne de la place à ses deux interprètes pour briller. Zendaya se meut avec aisance devant la caméra. Le réalisateur voulait lui donner un scénario où elle pourrait complexifier son jeu et paraître plus adulte, mature après son rôle de Rue. Pari réussi. De son côté, John David Washington s’amuse avec son personnage enjoué et perspicace, plus profond que le copain égocentrique du début. La différence d’âge entre les deux acteur·trice·s trouve résonance au sein même du récit, donnant une dynamique de pouvoir très intéressante dans le couple. 
Avec Malcolm & Marie, Sam Levinson propose un exercice cinématographique stylisé, filmé dans un climat particulier qui lui donne un statut miraculeux. Si l’on peut comprendre les quelques réserves sur le film, on ne peut que louer l’énergie créatrice qui l'entoure, comme un rappel s’il en fallait un, que le cinéma n’est pas mort et qu’il est toujours incroyablement beau et séduisant. 


Laura Enjolvy 



À une heure ou beaucoup se demande encore pourquoi le nouveau long-métrage de Sam Levinson, et encore plus sa comédienne vedette Zendaya, ne semble pas plus que cela bousculer la déjà bien lancée course aux statuettes, ceux qui ont eu la chance de mirer l'oeuvre avant la majorité, auront sans aucun doute une réponse à cela - bien aidé également par une critique US ayant grandement spoilé ses fragilités.
Mais quel que soit l'appréciation de chacun concernant le métrage en lui-même, c'est un vrai bonheur d'admirer Zendaya en parfaite possession de ses moyens, embrasser à pleine bouche le virage mature important qu'incarne cette nouvelle collaboration avec le créateur d'Euphoria (un rôle qui, au fond, pourrait facilement se voir comme une version futuriste de Rue Bennett), qui cimente pour de bon son arrivée dans le petit clan des comédiennes qui compte dans le cinéma ricain.
À la fois entre l'émotivité brute et le désenchantement blasé d'une femme perspicace endurcie par l'expérience d'une vie sous les spotlights et des faux-semblants, elle irradie un drame de chambre intense qui s'échine à explorer tous les contours complexes de la vie de couple tout en examinant le quotidien à l'intérieur de la bulle de l'industrie du divertissement; et en particulier la façon dont l'art se fait une place dans l'amour, ou comment les artistes peuvent parfois aspirer tout l'oxygène de leur propre relation.

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Sur un tout petit peu moins de deux heures, le film se déroule de manière réaliste dans et autour d'une maison isolée tout au long d'une nuit - et en grande partie en temps réel -, s'ouvrant avec les phares de la voiture de Malcolm et de Marie après le retour de la grande première du film à Los Angeles, pour se terminer par leur réveil le lendemain matin, debout côte à côte.
Et à partir du moment où ils entrent dans la maison, il est clair qu'il y a de la tension dans l'air.
Malcolm est à moitié écrasé et naturellement aux anges suire à la réception enthousiasmante de son film, déjà salué comme le véhicule parfait pour l'émergence du nouveau talent majeur qu'il pense être, tandis que Marie est passablement énervée, même si elle garde tout en elle pour mieux exploser au moment opportun.
Tandis qu'il se verse un verre et danse dans le salon, elle lui prépare un mac and cheese tout en ne faisant aucun effort pour cacher sa fatigue.
Malcolm se plaint d'être appelé le prochain Spike Lee ou John Singleton alors qu'il veut intimement être un héritier de William Wyler, acclamé pour le cœur de son travail et non à travers le prisme étroit de la politique identitaire (il est un cinéaste afro-américain donc son film est obligatoirement politique ?).
Ce reproche d'un racisme ordinaire institutionnel (jamais mentionné comme tel, mais bien réel) est amplifié dans une tirade énervée plus tard dans la nuit, lorsque la critique du Los Angeles Times apparaît en ligne, et que des commentaires élogieux - "tour de force cinématographique", "véritable chef-d'œuvre" - ne font rien pour apaiser sa colère face à la sur-analyse d'une presse critique majoritairement blanche (des diatribes drôles d'amour-haine qui ont le bon ton de dégainer des vérités poliment tus, même à une époque moderne ou les paroles sont un poil plus libérées).

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D'un autre coté, l'amusement impassible de Marie s'étend autour de l'abbatage du film de Malcolm lui-même, son cynisme à l'égard de l'industrie du divertissement étant alimenté non seulement par l'observation aux premières loges de l'implication de son compagnon dans le milieu, que par ses propres tentatives maintenant avortées d'être actrice.
Mais le vrai cœur de son animosité magnifiquement cool (oui), est l'incapacité de Malcolm à la remercier dans un discours enthousiasmé qui mentionnait tout le monde sauf elle (ce qui est réellement arrivé à l'épouse de Levinson, lors de la première d'Assassination Nation); la femme qui non seulement lisait les ébauches sans fin du script et donnait des notes détaillées, mais surtout dont la vie antérieure en tant que toxicomane, a façonné l'ensemble de l'oeuvre.
Malcolm démantèle d'ailleurs cette théorie d'appropriation avec une cruauté vicieuse, sans pour autant lui expliquer pourquoi il ne l'a pas choisie dans un rôle censé être écrit pour elle, répondant à l'impression constante de Marie qu'il a une sacré réticence à partager la lumière - et encore plus avec elle.
Entre les flèches et les tirs à balles réelles - lancées/tirées parfois avec un esprit ludique -, fonctionnent comme les révélateurs d'un examen presque médico-légal de toute relation amoureuse, alors que les déséquilibres dans un hypothétique soutien mutuel sont exposés, ne laissant plus la place qu'à des vérités brûlantes.
À ce petit jeu dangereux, c'est clairement Zendaya qui porte le film - et Levinson ne se cache même pas de prendre son parti -, autant dans les silences chargés de Marie que dans ses mots percutants (la regarder patiemment accumuler les ressentiments et les accusations à déployer, ou se questionner sur son avenir dans cette relation, confère un pouvoir fascinant à sa performance), qui en quelques efforts détruisent sciemment le sang-froid et mine la supériorité suffisante de Malcolm.

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Malcolm & Marie est, indiscutablement un essai fascinant dans ce qu'il invoque, même si la gymnastique de son scénario perspicace parsemé de monologues plus ou moins empathiques - mais constamment grisant -, ne semblent pas toujours 100% organiques ou tout du moins naturels, tant l'affrontement athlétique qui unit les deux protagonistes laisse très souvent exposer les coutures " sur-écrites " de l'entreprise; comme si Levinson ne parvenait pas toujours à masquer son hommage au formidable Who's Afraid of Virginia Woolf? de Mike Nichols (jusque dans son noir et blanc contrasté, et certains convoquent même le Eyes Wide Shut de Kubrick), ainsi qu'à l'intimité rongeante des bijoux de feu John Cassavetes.
Un menu défaut in fine tant la fluidité séduisante de la mise en scène autant que les performances percutantes et l'écriture - majoritairement - musclée, rendent l'oeuvre continuellement convaincante même lorsqu'elle flirte avec les contours de l'exercice de style prolongé et à la longueur parfois frustrante.
Et ne félicitons jamais assez Levinson qui, en tant qu'homme et qui plus est réalisateur et scénariste, privilegie dans ce tango sexy, triste et furieux non pas l'auteur avide de reconnaissance, mais sa femme extrêmement intelligente qu'il a tendance à prendre pour acquise.


Jonathan Chevrier 




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