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[CRITIQUE] : The Cemil Show

Réalisateur : Bariş Sarhan
Avec : Ozan Çelik, Nesrin Cavadzade, Alican Yücesoy, ...
Distributeur : -
Budget : -
Genre : Drame, Comédie
Nationalité : Turc
Durée : 1h52min

Synopsis :
Lorsqu'il auditionne pour le remake d'un film turc classique, Cemil est rejeté presque immédiatement. Il retourne à son travail d'agent de sécurité dans un grand centre commercial, où il découvre que sa collègue est la fille de l'acteur vétéran Turgay Göral, qui jouait autrefois le rôle rêvé de Cemil. Lorsque Göral meurt, Cemil se plonge aussitôt dans l'œuvre de sa vie, alors qu'il est raillé et humilié de toutes parts, à tel point qu'il se replie de plus en plus sur lui-même…



Critique :

Bariş Sarhan adapte son propre court métrage au format long. The Cemil Show, sorti en 2015, racontait l’histoire de Cemil, agent de sécurité dans un centre commercial, qui essayait en vain de devenir l’employé du mois. Si le réalisateur a gardé pratiquement le même casting, le récit, lui, a bien changé. Présenté dans la section Big Screen du festival de Rotterdam, le cinéaste turc adresse au Septième Art une lettre d’amour.
Nous rencontrons Cemil, jeune homme un peu gauche, en train d’auditionner pour le remake d’un classique du Yeşilçam (sobriquet de l’ancienne industrie du cinéma turc), Kâbus (un film fictif). Il veut le rôle du vilain, interprété dans la version originale par le grand acteur Turgay Göral. Agent de sécurité le jour, on s’aperçoit très vite du caractère timide du personnage, moqué par ses patrons et collègues. Il ne rentre pas dans le moule, étant trop obsédé par le cinéma et surtout par l’image de Turgay Göral. The Cemil Show porte visuellement cette obsession et n’hésite pas à montrer des séquences filmées en noir et blanc de ces films. L’acteur devient le phare de Cemil, tandis qu’il est de plus en plus humilié de toute part : le réalisateur qui parle de lui comme s’il n’était pas là, sa collègue Burcu qui se moque de son jeu d’acteur et son patron, qui ne le respecte pas. Jusqu’à se perdre dans le personnage. 

Alpha Violet

Il faut comprendre le titre du film, The Cemil Show comme une ironie. Loin d’être un show à l’américaine, le film de Bariş Sarhan est amer, tragique et transforme le rêve que produit parfois le cinéma en un long cauchemar sanglant. Incapable de réaliser son plus grand rêve, devenir Turgay Göral, Cemil se heurte sans cesse à la réalité et décide d’y réagir à sa manière, en la reniant. Les films deviennent une obsession toxique, et font basculer le personnage dans un univers qui lui est propre, peuplé de gangsters et lui-même, le roi des gangsters. À force de voir Göral dans son rôle, le spectateur comprend la fascination qu’il dégage. Séduisant, impitoyable, autoritaire, il est l’archétype du personnage intimidant et fier, tout ce que Cemil n’est pas . On voudrait tous et toutes avec sa carrure, son assurance face à l’adversité. Mais Cemil n’arrive jamais à l’incarner, seulement à l'imiter, à le mimer. Il faut d’ailleurs louer l’effort effectué par le réalisateur pour filmer les séquences de Kâbus, qui ont tout d’un véritable classique du cinéma des années 70. Il a l’intelligence de se servir de ces séquences non pas comme élément divertissant, mais comme le rouage même de la structure scénaristique, reflétant l’état psychologique de son personnage.
The Cemil Show est déroutant à plus d’un titre. S’il flirte parfois avec le grotesque et le slapstick, il déroule pourtant une histoire filmée d’une façon réaliste, permettant une réelle empathie avec Cemil, malgré son comportement. Jouant intelligemment avec les codes de différent genre cinématographique, Bariş Sarhan s’en sert pour filmer le pouvoir fascinant du cinéma, même si ici, il se conjugue avec le drame.


Laura Enjolvy