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[CRITIQUE] : Beginning

Réalisatrice : Dea Kulumbegashvili
Avec : Ia Sukhitashvili, Rati Oneli, Kakha Kintsurashvili,...
Distributeur : - (Wild Bunch)
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Géorgien, Français
Durée : 2h05min

Synopsis :
Yana, son mari David et leur fils Georgi sont des Témoins de Jéhovah. Ils vivent dans un village géorgien isolé. Ils sont traités avec hostilité par la communauté locale, majoritairement chrétienne orthodoxe. Quand leur lieu de culte est incendié au cours d'un service religieux par un groupe d'extrémistes, Yana est sous le choc. Après avoir appris que l'attaque a été filmée, Yana souhaite se venger...


Critique :


Présenté dans la section Limelight du Festival de Rotterdam, le premier long métrage de la réalisatrice géorgienne Dea Kulumbegashvili, Beginning, fait - comme son titre l'indique - un début retentissant dans plusieurs festivals. Label Cannes 2020, il a aussi remporté plusieurs prix au Festival de San Sebastian et celui de Trieste. La réalisatrice vient remettre en question les normes sociales sous le prisme des Témoins de Jéhovah, mais aussi en terme plus général : qu’est-ce qu'on attend des épouses, des mères ? Son héroïne, Yana, est inspirée d’un fait divers qui a profondément marqué la cinéaste et lui a donné envie de s’intéresser à la vie intérieure d’une femme qui a envie de tout envoyer balader sans avoir ni le courage, ni l’éducation pour le faire.

Wild Bunch

Nous découvrons Yana dans son rôle d’épouse bien disciplinée, qui accueille dans l'église de son mari les membres de leur congrégation. Dans cette première scène, un long plan-séquence statique, Dea Kulumbegashvili pose les bases de Beginning, qui est comme un long cri silencieux. David, son mari, commence son sermon dans le noir et projette un tableau au mur, permettant une lumière naturaliste, qui suivra pendant l’intégralité du métrage. L’obscurité rend l’attaque encore plus violente, les flammes encerclant les membres du culte, pris au piège. Nous comprenons vite que la violence n’est pas une surprise pour le couple, habitué aux attaques musclées sur les Témoins de Jéhovah, Yana exprime (peut-être pour la première fois) sa lassitude face à tout cela. Elle remet en question ses choix de vie, surtout celui de son mariage, abandonnant de ce fait une carrière d’actrice. Mais avait-elle vraiment le choix, nous demande la réalisatrice ? Une question vaste, complexe, qui met au défi le spectateur. Peut-on comprendre les choix radicaux que fait Yana ? La mise en scène prend un parti-pris esthétique risqué, avec une caméra furieusement immobile, à part pour de rare panoramique. Beginning se révèle dur à regarder, avec une caméra qui refuse de se détourner au moment où la tension devient intolérable. 
Il n’est pas question pour le film d’imposer un point de vue moral, quand bien même les thèmes religieux du Paradis et de l’Enfer imprègnent une partie de l'œuvre. Alors que les Témoins de Jéhovah sont souvent représentés comme un milieu sectaire, ils sont ici représentés comme des victimes d’une injustice policière. Ostracisés dans ce pays à majorité orthodoxe, l’enquête sur les coupables de l’incendie de leur église stagne, malgré les preuves flagrantes des caméras de sécurité apportées par David. La cinéaste entend bien anéantir toute trace de clichés sur la moralité et veut même faire ressentir de l’empathie devant un acte intolérable. Elle questionne le pouvoir du conditionnement, des deux côtés de la barrière. 

Wild Bunch

La mise en scène de Beginning est audacieuse et souligne la radicalité de son sujet. La caméra reste immobile et laisse souvent un personnage en hors-champ pendant une conversation. Cela souligne l'emprisonnement que ressent Yana, son exaspération. Personnage principal, elle devient victime du cadre, qui lui dicte sa position et non l’inverse. Dans une scène, située pile au milieu du film, Yana s’allonge et devient parfaitement immobile pendant de longues minutes, comme si elle faisait valoir sa propre liberté de mouvement au sein du récit. Malheureusement, la vie quotidienne doit reprendre son cours et avec elle, les péripéties précédant le drame. Beginning détient quelques éléments pasolinien, mais nous pensons surtout à Delphine Seyrig, à Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles. Hommage volontaire ou non, la préparation d’un smoothie convoque la forme singulière du cinéma de Chantal Akerman, qui avait pour la première fois posé un regard sur le quotidien féminin à l’intérieur du foyer.
Alors que l’émancipation féminine commence doucement à être à la mode dans un cinéma plus mainstream, Dea Kulumbegashvili s’approprie le sujet dans Beginning, où elle filme sans concession des rôles genrés tellement bien définis et ancrés, qu’ils ne peuvent être abolis. Le personnage arrive alors à une solution inacceptable pour se libérer, quitte à ce que son acte la hante toute sa vie. Et hante le spectateur, démuni face à un tel drame.


Laura Enjolvy



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