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[CRITIQUE] : Looking for Venera

Réalisatrice : Norika Sefa
Avec : Kosovare Krasniqi, Erjona Kakeli, Rozafa Celaj, Basri Lushtaku, ...
Distributeur : -
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Kosovar, Macédonien
Durée : 1h50min

Synopsis :
Venera, adolescente calme et taciturne, vit dans un petit village du Kosovo. À la maison, trois générations se côtoient dans un espace exigu, et Venera n’a pratiquement aucune intimité. Dans les rues et au café, ce n’est pas beaucoup mieux : il y a toujours un frère, un neveu ou un voisin qui la surveille. Une fille doit protéger sa bonne réputation – et celle de sa famille. Dans ces conditions, il est difficile pour Venera de suivre son propre chemin…


Critique :



Norika Sefa, réalisatrice kosovare, présente son tout premier long métrage Looking for Venera au Festival de Rotterdam, dans la catégorie Tiger. Après des débuts remarqués grâce à ses courts métrages, dont le dernier en date Desde Arriba a été effectué sous la supervision de Werner Herzog, la cinéaste vient filmer un petit village du Kosovo, où l’intimité n’existe pas.
Venera, l'héroïne éponyme, est une adolescente calme, réservée et presque mutique. Elle n’a jamais l’occasion d’être seule. Sa maison exiguë abrite sa grand-mère, ses parents et ses deux jeunes frères, très bruyants. La rue est tout aussi étouffante, remplie d’hommes et de jeunes garçons s’amusant comme ils peuvent. Venera et toutes les jeunes filles de son âge sont scrutées comme des aliens. On les veut invisibles, qu’elles soient de “bonnes filles” sans histoire, pour garder leur réputation et celle de leur famille intacte. Venera n’a que ses cours d’anglais comme prétexte pour sortir de chez elle et découvrir autre chose que l’exemple marital présenté par ses parents. Le titre, Looking for Venera, n’est alors pas à prendre dans son sens littéral : ce n’est pas le personnage qu’il faut chercher, c’est plutôt Venera elle-même qui se cherche. Quelle femme veut-elle devenir ? Difficile de trouver sa voie quand on est étouffée dans un environnement stérile à toute liberté féminine. 

Circle Production

Quand on rencontre le personnage, elle est en train de regarder un couple faire l’amour dans la forêt, chemin qu’elle a pris innocemment comme raccourci pour rentrer chez elle. C’est par ce biais qu’elle se lie d’amitié avec Dorina, la jeune fille des bois, présente aussi dans son cours d’anglais. Dorina dénote et devient vite un modèle pour la jeune fille. Elle paraît libre de faire ce qu’elle veut, quand elle le veut. Nous comprenons donc pourquoi Venera pense que cette liberté passe forcément par la sexualité. Quand un barman bien plus âgé lui fait des avances, cela ne la dérange pas, au contraire. Tout ce qui peut l’éloigner de chez elle et de son destin de femme mariée est le bienvenu. Looking for Venera filme une soif d’émancipation grandissante, qui va de pair avec l’adolescence, mais qui est ici emprisonnée dans un environnement traditionnel, aux rôles genrés très strictes.
La mise en scène de Norika Sefa est façonnée par rapport à son personnage. Venera est souvent au bord du cadre, comme si elle poussait celui-ci à lui laisser de l’espace. Elle définit par ce biais son besoin d’intimité, qu’elle n’a pas dans le récit. Le cadre lui offre l’espace en hors-champ pour découper son corps (et lui donner la liberté de choisir ce qu’elle veut montrer aux spectateurs), ou pour laisser des actions hors-cadre (que l’on peut quand même deviner). Si le récit se soucie de placer Venera dans un contexte social bien particulier : à la campagne, précaire, avec un esprit patriarcal marqué, la cinéaste ne force pas le côté dramatique de la situation. La domination masculine est montrée avec subtilité, une force ténue mais tangible, tout comme la violence de sa condition sociale. Cela renforce l’injustice qu’elle subit, avec cette oppression invisible, à laquelle elle ne peut se soumettre, ni totalement s’en dégager.
Norika Sefa remet en question avec beaucoup de nuance et de subtilité l’émancipation de la femme par la sexualité. Looking for Venera ne donne pas de réponse, pas de solution, mais pose les bonnes questions. Son héroïne comprend qu’elle devra négocier constamment son petit espace de liberté. Une fin peut-être pessimiste qui pourtant se rapproche bien plus de la réalité qu’un happy-end.


Laura Enjolvy