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[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #116. Lorenzo’s Oil

Photo by Universal Pictures - © 1992

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !



#116. Lorenzo de George Miller (1992)

Toujours sorti des sentiers battus. On sait à quel point les films de George Miller sont hybrides, que les codes inhérents aux genres de ses œuvres sont toujours brisés, remaniés, amenant une singularité par rapport à ses homologues américains. Car George Miller est un réalisateur australien. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup. Au-delà d’une évidente distance géographique, le cinéaste s’éloigne structurellement de ce qu’on pourrait attendre d’un film hollywoodien adaptant cet épineux sujet qu’est la maladie enfantine, lorsqu’il réalise Lorenzo (Lorenzo’s Oil) en 1993.

Photo by Universal Pictures - © 1992

Le film qu’il met en scène, inattendu de la part du créateur de Mad Max, raconte la véritable histoire des parents Odone, luttant contre la maladie supposément incurable qui tue à petit feu leur fils : la leucodystrophie. Miller met de côté l’imaginaire et les métaphores d’un monde sur le déclin pour nous proposer une fresque contemporaine intimiste, poignante et terrible d’une lutte sans fin aux portes de l’affrontement mythologique, un combat campbellien qui hantait déjà les œuvres précédentes du réalisateur australien. Car le couple Odone ne succombera pas au désespoir ni au relâchement. Des films sur des enfants malades, il en existe des tonnes, et pas que sur M6 le mercredi après-midi. Prenons par exemple Jack, réalisé par Francis Ford Coppola et mettant en scène Robin Williams, sorti 4 ans après Lorenzo. Ce film, dépeignant l’histoire d’un enfant dont le corps vieillit quatre fois plus vite que la normale, aussi tendre soit-il, n’échappe jamais aux suppléments crémeux des bons sentiments et de l’émotion facile, ce qui est encore plus étonnant de la part du metteur en scène du Parrain et d’Apocalypse Now. Du côté de George Miller, mélangez Les Hommes du Président et Evil Dead, et vous aurez une idée de l’esthétique du film. Lorenzo’s Oil emprunte autant au thriller politique qu’au film d’horreur, rendant le tout bien plus étouffant que les tropes narratifs mièvres que l’on peut attendre d’une telle histoire. Les parents courent partout, guettent la moindre information qui pourrait sauver leur fils, cherchent continuellement un miracle. Et lorsque les parents lâchent un tout petit peu leur quête, c’est l’horreur qui habite leur quotidien. Les cris, les suffocations et les convulsions de leur petit garçon peuvent évoquer la hantise du personnage de Regan dans L’Exorciste de William Friedkin, tout comme une scène de cauchemar, dans un noir et blanc complètement abstrait, n’est pas sans rappeler le cinéma expressionniste allemand. Au final, un film à la mise en scène organique mais jamais grossière, dont la composition des cadres varie selon le gravité de la progression de la maladie ainsi que l'angoisse exponentielle des parents.

Photo by Universal Pictures - © 1992

En 1992, George Miller était fatigué des studios hollywoodiens suite aux expériences de tournage épuisantes que furent Mad Max Beyond Thunderdome et Les Sorcières d’Eastwick. Néanmoins le réalisateur reste fidèle à ses ambitions dans un genre tout à fait différent de ceux auxquels on l’attachait. On pourrait même dire que Lorenzo est aussi étouffant que Mad Max : Fury Road, tant il ne laisse aucune seconde de répit à ses spectateurs, telle une apnée de deux heures, comme il est aussi libérateur qu’un Happy Feet lors de ces scènes où le moindre espoir, aussi minime soit-il, représente une incommensurable joie autant pour les personnages qui le vivent que pour les spectateurs qui y assistent. Ce film est aussi la métaphore d’un cinéaste luttant contre un système malade, semblable aux associations de parents tournant en rond, répétant sans cesse les mêmes protocoles, constituant des barrières à la potentielle guérison de leur enfant. Faire un film, c’est comme faire un enfant. Ici il s’agit de le garder en vie, de sauver ce qu’il y a de plus humain, et donc, on peut alors y voir une façon pour Miller de raconter la tâche difficile de garder une œuvre personnelle, alors que le système entier veut que l’on respecte ses directives insensées. Le rapprochement avec les déboires de la carrière de Miller est aisé dans ce cas.

Photo by Universal Pictures - © 1992

C'est un film difficile, extrême, éreintant, qui n'est aucunement conçu dans le but d'attendrir son public. Une course contre-la-montre filmée avec maestria, avec une caméra aussi vivante que jamais, le tout monté avec minutie et interprété avec passion (Susan Sarandon est stellaire, et même si Nick Nolte en fait un peu trop avec son accent italien, c'est un géant). Lorenzo's Oil n'a rien d'une sortie de route de la part de son réalisateur. Au contraire, c'est un prolongement pragmatique et logique de ses questionnements philosophiques : se battre, quoiqu'il en coûte, même si tout paraît perdu d'avance, même si le système paraît gargantuesque, car le chemin en vaut le coup. C'est David (Lorenzo et ses parents) contre Goliath (le reste du Monde). Mais un miracle existe toujours. Il ne vient cependant pas d'un dieu quelconque, mais bien de la détermination des fragiles êtres que nous sommes. Une inoubliable leçon de vie, de survie, de cinéma, pour l'éternité. 

En bonus de cet article je vous recommande la vidéo du Ciné-Club de M.Bobine sur Lorenzo, avec laquelle je partage beaucoup de points de vue et de références. Je vous garantis avec honnêteté que la rédaction de cet article a débuté avant de voir la vidéo (lien ici).


Florian