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[CRITIQUE] : Kajillionaire


Réalisatrice : Miranda July
Acteurs : Evan Rachel Wood, Richard Jenkins, Debra Winger, Gina Rodriguez,...
Distributeur : Apollo Films
Budget : -
Genre : Comédie, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h46min.

Synopsis :
Theresa et Robert ont passé 26 ans à former leur fille unique, Old Dolio, à escroquer, arnaquer et voler à chaque occasion. Au cours d'un cambriolage conçu à la hâte, ils proposent à une jolie inconnue ingénue, Mélanie, de les rejoindre, bouleversant complètement la routine d'Old Dolio.




Critique :



Époque trouble et désespérée oblige, le cinéma tend de plus en plus à mettre en images des familles s'adaptant difficilement à la société contemporaine, survivant avec des moyens dépassant - souvent - les limites de la légalité et de la bienséance; certains cinéastes arrivant même à nous faire vivre à travers elles, des thèmes infiniment profonds qui tendent vers l'universel, là où leur quotidien lui, épouse la singularité/loufoquerie la plus totale.
Partageant avec les formidables Une Affaire de Famille d'Hirokazu Kore-eda, et Parasite de Bong Joon-ho, le questionnement d'une progéniture se demandant si les valeurs familiales sont si saines que le martèlent leurs parents, Kajillionaire de Miranda July est un bonheur de dramédie intime et mélancolique, qui transpire le cinéma si particulier de sa trop rare cinéaste.

© Matt Kennedy/Focus Feature

On y suit la famille (très) en difficulté des Dyne, composée du patriarche Robert, de la mère Theresa, et d'une fille au prénom ridicule - inspiré du passé excentrique de ses parents -, Old Dolio, une jeune femme maladroite et dégingandée à peine capable de tenir un contact visuel avec son prochain, et qui vit sans réserve dans les limites du mode de vie acharné qui dicte son existence.
Pour les Dynes, chaque jour constitue une histoire de survie particulière, alors qu'ils parcourent les rues de Los Angeles à la recherche d'arnaques à deux sous, dans une quête permanente de payer le loyer de leur " appartement ", sorte de dortoir/espace de bureau abandonné calé dans une usine délabrée de bulles (de la mousse rose de l'usine suinte régulièrement sur leurs murs, et leur salon est composé de cabines mal entretenues).
Les Dynes contrôlent toutes les facettes de la vie d'Old Dolio, mais leur situation est devenue tellement insoutenable, que leur propriétaire farfelu leur donne une semaine pour payer leurs dettes - 1500$ -, sinon ils sont définitivement à la rue.
Heureusement, les deux parents ont bien formé Old Dolio, et elle propose rapidement une solution : un vol aller-retour rapide vers New York entre un vol de bagages et une arnaque à l'assurance pour les sortir de la panade.
Mais au milieu de leur plan absurde, la routine très soudée de la famille se complique lorsqu'ils rencontrent la folle Melanie sur leur vol, et décident sur un coup de tête de la faire entrer dans leur clan...

© Matt Kennedy/Focus Feature

Jeune femme bouillonnante désireuse de se faire recruter dans la prochaine arnaque des Dynes - qu'elle voit comme la famille de Danny Ocean -, Melanie soulève d'emblée les soupçons de Old Dolio, en partie parce qu'elle se sent menacée par la présence même d'un inconnu dans sa vie.
Mais Melanie offre rapidement ses propres idées arnaques : vendre des lunettes à double foyer à des clients âgés...
Comme tous les personnages brisés de July, si la (très) particulière famille Dyne commet des actes étranges ou répréhensibles, elle le fait parce que ces membres sont, volontairement et involontairement à la fois, incapables de vivre dans le monde moderne, comme s'ils n'avaient jamais appris les codes de la société à l'école, comme si les règles préétablies ne les concernaient pas.
Escrocs pas vraiment doués mais déterminés, leur vie de lutte effrénée pour joindre les deux bouts - ce qu'ils n'arrivent jamais -, n'est au fond que le fruit que d'une mentalité basée sur le détachement obscur et l'évasion absolue de l'autre : la certitude d'une apocalypse imminente, le rejet des normes et des comportements sociaux, un vocabulaire émotionnel qui commence et se termine par la survie, le danger et la mort... que de fuites qui ont dépouillés leurs vies de sens, de responsabilité mais surtout d'amour.

© Matt Kennedy/Focus Feature

Mais en enlaçant toute cette étrangeté dans une bulle surréaliste pourtant férocement accrochée au réel, Miranda July arrive à créer une sorte de cocon à l'absurdité douce et curieusement intemporelle, un champ de tous les possibles imprévisible qu'elle va bousculer de la plus belle des manières, en y injectant une quête désespérée de chaleur et de connexion humaine.
Incroyablement terre-à-terre, oscillant entre l'idée cynique que les liens familiaux sont souvent bardés de conneries, mais aussi celle que tout le monde mérite un peu tant soit peu d'amour dans ce monde de brut - même les introvertis les plus déconnectés du monde -, Kajillionaire offre une variation fascinante du concept de l'enfant sauvage, rendue d'autant plus distinctive par l'environnement urbain hostile et constamment en mouvement, qui l'entoure.
Une vision élevée par la performance extraordinaire d'Evan Rachel Wood, dont le personnage apprend littéralement à vivre en découvrant son libre arbitre (et des sentiments dont elle ne connaît finalement rien), au contact d'une âme excentrique à même de l'aider à sortir de sa coquille (Gina Rodriguez, sont l'alchimie avec Wood est l'une des grandes forces du film).

© Matt Kennedy/Focus Feature

Elle est sans aucun doute le coeur vibrant et passionnant, d'une oeuvre intelligente (et qui sera sans doute trop cérébrale et subtile pour certains) et irrévérencieuse, une comédie dramatique loufoque se transformant en quête d'émancipation qui s'éloigne sagement de toute confrontation mélodramatique fracturée, sans jamais surestimer ses implications émotionnelle, entre tragédie et petites parcelles lumineuses d'espoir.
Un petit bijou, rien de moins.


Jonathan Chevrier





© Matt Kennedy/Focus Feature


Miranda July revient après neuf ans d'absence derrière une caméra pour un nouveau long métrage singulier présenté en compétition au dernier festival de Deauville.
Kajillionaire sera dans nos salles fin septembre et devient le troisième long métrage de la réalisatrice et actrice américaine, continuant ainsi à explorer une filmographie unique en son genre, aux accents baroques irrésistibles. Depuis sa Caméra d’Or en 2005 pour son excellent Moi, toi, et tous les autres, nous suivons avec une intention particulière son oeuvre, rafraîchissante et décalée. Ce troisième film, le tout premier où elle n'interprète pas à un de ses personnages, la hisse tout droit vers le haut du panier du cinéma indépendant américain, une cinéaste accomplie à l’univers savoureux.

© Matt Kennedy/Focus Feature



Evan Rachel Wood est Old Dolio, une jeune femme de vingt six ans qui habite encore avec ses parents. Son nom est la preuve ultime de la profession de ses parents, Robert et Teresa (respectivement Richard Jenkins et Debra Winger), arnaqueurs à temps plein. Entraînée depuis sa naissance à la débrouillardise et aux petites arnaques du quotidien, Old Dolio est maintenant un membre à part entière de ce gang minable voulant gruger la société. Miranda July s’amuse dès le début du film à nous montrer cette famille atypique, pillant des lettres à la poste, en espérant qu’elles contiennent de l’argent. Tout est millimétré pour que Old Dolio puisse se faufiler à l’intérieur sans être vue des caméras, effectuant des acrobaties qui de loin paraissent ridicules. Ridicule est d’ailleurs le premier mot auquel nous pensons face à ces protagonistes, dont la liberté espérée n’est présente que de nom. Leur quotidien, non parasité par les téléphones portables et toutes puces pouvant les tracer par un gouvernement voyeur, est rythmé par ces arnaques sans saveurs et par l’élimination d’une mousse rose qui parsème tous les jours le mur de leur modeste demeure, des bureaux accolés à une usine de savon. Sur le point d’être expulsé à cause d’impayés, Old Dolio décide de voir grand et fomente un plan pour se faire rembourser une valise présumée perdue par l’aéroport. C’est à partir de ce moment où Kajillionaire bascule et dévoile son véritable sujet : le coming of age d’une Old Dolio assujettie à des parents froids, incapables de lui donner la moindre tendresse.

© Matt Kennedy/Focus Feature


Mélanie (Gina Rodriguez) devient le catalyseur de ce changement. Rencontrée dans l’avion, cette jeune femme primesautière et sans filtre s’amourache de cette famille atypique et décide de les aider dans leurs petites arnaques. Old Dolio ouvre les yeux sur sa situation et prend conscience par le regard de cette inconnue de tout ce qu’elle a manqué. Mélanie l’encourage alors à appréhender son indépendance, physiquement en s’éloignant de ses parents, qui se révèlent très toxiques mais aussi mentalement, qu'elle puisse vivre pour son unique bien être. Son enfance excentrique est dévoilée par une liste contenant tout ce qu’elle a manqué, une sorte de voyage initiatique à cocher, où se cache en fin de quête une liberté désuète mais terriblement bienvenue. Chaque élément exécuté devient un point de non retour, à la fois excitant et angoissant pour la pauvre Old Dolio, qui doit apprendre à vivre dans un nouveau monde, fait de choix cruciaux pour son avenir. 

© Matt Kennedy/Focus Feature

Plus Kajillionaire avance, plus il nous surprend. Alors qu’on pense être devant un film d’arnaque un peu décalé, il change de registre pour nous proposer une allégorie du passage à l’âge adulte par une femme déjà adulte, mais dépendante de parents beaucoup trop connecté (ironiquement) à leur mode de vie, où l’égoïsme prime sur l’amour parental. Sa mise en scène est très visuelle, exprime les émotions des protagonistes via leur corps et les couleurs saturées plutôt que par les dialogues. Des liens indéfectible se forment entre ces personnages et le spectateur, qui est pris dans un tourbillon de péripéties fantasques, où se niche pourtant un soupçon de tristesse, donnant au récit un intérêt plus solide. La fin est alors un très beau message d’espoir, entourant son héroïne d’une aura romantique douce, surprenant une dernière fois le spectateur.

© Matt Kennedy/Focus Feature


Kajillionaire réjouit car il ne cesse de nous jouer des tours, pour livrer un très beau coming of age, alliant douceur par son propos et sa fin et extrême radicalité par une mise en scène visuelle forte.


Laura Enjolvy


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