[CRITIQUE] : Billie
Réalisateur : James Erskine
Acteurs : -
Distributeur : L’Atelier Distribution
Budget : -
Genre : Documentaire, Musical
Nationalité : Britannique
Durée : 1h32min
Synopsis :
BILLIE HOLIDAY est l'une des plus grandes voix de tous les temps. Elle fut la première icône de la protestation contre le racisme ce qui lui a valu de puissants ennemis. A la fin des années 1960, la journaliste Linda Lipnack Kuehl commence une biographie officielle de l'artiste. Elle recueille 200 heures de témoignages incroyables : Charles Mingus Tony Bennett, Sylvia Syms, Count Basie, ses amants, ses avocats, ses proxénètes et même les agents du FBI qui l'ont arrêtée....Mais le livre de Linda n'a jamais été terminé et les bandes sont restées inédites … jusqu'à présent.
BILLIE est l'histoire de la chanteuse qui a changé le visage de la musique américaine et de la journaliste qui est morte en essayant de raconter l’histoire de Lady telle qu’elle était.
Critique :
#Billie est un bel hommage, un documentaire étonnant et juste qui s’emploie à raconter l'histoire de Billie Holliday autant comme la figure mythique du jazz qu'elle était, mais aussi la femme dans toute sa complexité, avec une forte tendance à l’auto-destruction. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/ZNl3O8yUCj
— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) September 26, 2020
James Erskine revient sur la légende du jazz, Billie Holiday, avec un documentaire étonnant, des enregistrements sonores inédits accompagnés d’images colorées.
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Habitué des documentaires, le réalisateur s’attaque avec l’aide de son producteur Barry Clark-Ewers à la vie mouvementée de Lady Day. Ses déboires avec la drogue, avec les différents hommes, qui ont parsemé son parcours, ne sont un secret pour personne, c’est pourquoi il fallait trouver un angle original, novateur pour ce documentaire, sobrement intitulé Billie. La légende devient une femme dans ce film, une voix extraordinaire, un caractère bien trempé, racontée par ses proches et ses collègues. Par ses recherches, James Erskirne tombe sur l’histoire de Linda Lipnack Kuehl, une journaliste américaine. Elle a entrepris pendant huit ans l'écriture d’un livre sur la chanteuse, malheureusement inachevé à cause de son possible suicide en 1978. Pendant un an, elle était partie enregistrer les proches de Billie Holiday : des ami.es d’enfance, des compagnons, des membres de son orchestre, des grands noms de la musique (Count Basie, Tony Bennett, Sarah Vaughan, …). Plus de deux cent heures d’enregistrements retrouvés par le réalisateur et son producteur, qui nous dévoilent dans ce documentaire ces pépites, ponctuées d’images d’archives et par le témoignage de la sœur de Linda Kuehl, sur son long travail journalistique.
Billie brosse un portrait exhaustif de la chanteuse, n’hésitant pas à creuser dans les méandres de son enfance et de ses déboires, une descente aux enfers qui mêlent alcool, drogue et sexe. Nous sommes invités à nous asseoir dans le noir et à écouter ces témoignages, de ses proches, de ceux et celles qui l’ont côtoyé de près ou de loin. Des témoignages parfois francs, vulgaires, de personnes qui ne mâchent pas leur mot, d’autres plus prudents, où l’émotion pointe le bout de son nez à l’évocation du souvenir de Billie Holiday. Le documentaire défait lentement le puzzle de sa vie, lorgnant vers une véritable tragédie grecque. La plupart des intervenants sont morts (Tony Bennett est le seul rescapé), donnant un côté fascinant et mystérieux sur ces enregistrements, comme une réunion de fantômes que l’on serait chanceux d’écouter depuis l’au-delà.
Pour accompagner ces voix, le réalisateur s’appuie bien évidemment sur des images d’archives, où l’on peut admirer la prestance de Lady Day et surtout, l'entendre interpréter ses chansons les plus célèbres, "Strange Fruit" et "My Man" notamment. Mais James Erskine décide d'y mettre de la couleur, peut-être pour égayer cette histoire et lui donner un côté moderne et actuel. Il fait appel à Marina Amaral pour venir colorer toutes les images d’archives, photos et vidéos. Un véritable défi, un travail technique d’harmonisation minutieux, surtout sur des images en mouvement. C’était une volonté artistique du réalisateur, une façon de faire résonner cette histoire chez les plus jeunes, un univers plus contemporain aidant à s’y projeter. Ces couleurs mettent alors en avant sa peau noire, jusque là invisibilisée par le noir et blanc des archives, ancrant le récit dans un propos toujours d’actualité sur le racisme aux États-Unis.
Billie ne se focalise pas seulement sur la chanteuse, qui donne pourtant son nom au film et vient chercher des informations sur celle qui a, sans le savoir, engendrée ce film. L’histoire de Linda Kuehl est également passée au crible des questionnements : qui était cette femme passionnée par Billie Holiday ? Son dévouement pour la biographie de la chanteuse, qu’elle écrivait, son professionnalisme que l’on peut distinguer dans cette voix qui n’hésite pas à poser des questions et à creuser dans les silences de ses interviewé.e.s, suscitent le respect. Sa mort, subite et mystérieuse pose évidemment beaucoup de question. Mais la pertinence de ces portraits croisés s'amoindrit au fur et à mesure, car la journaliste finit par prendre beaucoup de place dans le documentaire. Si l’on comprend l’intention de mettre en lumière cette femme de l’ombre, la frustration de voir l’histoire de Billie Holiday hachée à cause du récit autour de Linda Kuehl est bien présente.
Billie s’emploie à raconter la figure mythique du jazz, mais aussi la femme dans toute sa complexité, avec une forte tendance à l’auto-destruction. James Erskine rend autant hommage à cette femme entière qu’au travail journalistique hors-norme de Linda Lipnack Kuehl, qui a voulu raconter son histoire.
Laura Enjolvy