Breaking News

[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #128. Scanners

Copyright Constantin Film Verleih

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !




#128. Scanners de David Cronenberg (1981)

Mine de rien, les glorieuses (oui) 80's auront permis au Master of The Veneral Horror David Cronenberg, de se tailler une petite part du lion du cinéma de genre grand public, avec quelques bandes légèrement (vraiment légèrement) plus conventionnelles et " accessibles ", lui assurant suffisamment de succès pour pouvoir revenir plus tard, vers des expérimentations plus... perverses; et tout ça sans pour autant, renier son cinéma, pas une mince affaire quand on répond favorablement aux sirènes Hollywoodiennes.
Constat surprenant de prime abord, et encore plus aux vues de sa réputation de petite péloche gore (dû à quelques scènes cultes bien sanglantes), Scanners se présente pourtant avant tout et surtout comme un thriller d'espionnage avec quelques saillies d'action, ou le cinéaste plie avec férocité la grammaire du B movie musclé, pour mieux lui faire épouser les courbes codifiées d'un propos surnaturel, et donc ouvertement fantastique.
Adaptation - ou presque - des comics X-Men avant l'heure (Singer lui rendra, dans un sens, un hommage plus ou moins conscient dans son X-Men 2), le film reprend quelques canons de la création du tandem Stan Lee/Jack Kirby.

Copyright Constantin Film Verleih

On y suit les aléas d'un marginal, coupé du monde de par sa difformité génétique (on peut penser, de manière très, très lointaine, à Wolverine), Cameron Vale (Stephen Lack, pas charismatique pour un sou), qui va devenir l'apprenti du Dr Paul Ruth (hello Professeur Xavier), chercheur pour la multinationale ConSec, où il se spécialise dans la formation de ceux qu'on nomme les " scanners " : des parias télépathiques, aliénés par leur exposition écrasante aux pensées privées de tout le monde autour d'eux, et dominés par le terrifiant Darryl Revok (Michael " Fucking " Ironside, au sommet de son art)...
Cinéaste de l'esprit et de la chair, que l'on possède autant que l'on rejette, Cronenberg filme cette " spécialité " télépathique comme une geôle pour son héros titre (un grand pouvoir nécessite de grandes responsabilités...), l'élément déclencheur d'une marginalité primaire - le thème majeur chez le cinéaste -, d'une incompatibilité viscérale entre lui et son environnement, qui se ressent autant dans la mise en scène opératique du papa de Videodrome (qui opère une séparation systémique entre le cadre et ses personnages), que dans son scénario (et le manque cruel d'empathie qu'il cherche à provoquer pour ses protagonistes, et en particulier Vale).
Une oeuvre glaciale, chiche en intellectualisation (il faudra attendre le premier tiers pour les premières explications) mais surtout furieusement sensorielle, ou le sound design mais avant tout l'image, sont les piliers essentiels de sa fable parfois savoureusement extrême et... sensuelle.
Car pour Cronenberg, ses séances de scanning s'apparentent à de véritables actes sexuels, une pénétration forcée et quasi-sadomasochiste d'un esprit dans un autre, d'un être dominateur se nourrissant dans la défaite d'un autre plus faible, tel un requin n'attaquant plus pour survrir mais par pur plaisir d'annihiler son prochain.
Et quand victoire se fait, l'explosion est une jouissance, un orgasme organique visuellement jouissif pour celui qui le vit, mais aussi pour le spectateur qui en est le témoin privilégié.

Copyright Constantin Film Verleih

Montrant la télépathie autant comme une arme dangereuse et aliénante, qu'une expérience addictive ou le plaisir et la souffrance ne font plus qu'un, dans un partage mais aussi une dépossession du corps et de l'esprit (ce que l'on retrouvera plus tard dans Crash et eXistenZ), Cronenberg fait l'apologie de la loi du plus fort, ou le mâle dominant est le maître absolu, comme le dévoile son climax dantesque, ou Vale fusionne littéralement avec Revok jusqu'à en faire de la pâté pour chiens.
Insaisissable dans son cocktail détonnant (la paranoïa des thrillers politiques des 70's couplée à l'horreur psychique de De Palma, avec une bonne cuillerée d'action et de gunfights du cinoche d'espionnage), Scanners peut se voir comme la première pierre angulaire - voire même un grand film de transition - excentrique d'une époque grisante dans la carrière du cinéaste, les prémisses d'une pluie d'oeuvres à l'étrangeté assumée et enivrante, n'ayant jamais peur de leur pendant pop-corn.
Un vrai petit plaisir coupable, certes loin des plus grandes oeuvres de son auteur (Faux-Semblants, La Mouche et Crash), mais qui n'a strictement rien perdu de sa superbe, même à bientôt quarante balais au compteur...


Jonathan Chevrier