[CRITIQUE] : A perfect family
Réalisatrice : Malou Leith Reymann
Acteurs : Kaya Toft Loholt, Mikkel Boe Folsgaard, Neel Rønholt, Rigmor Ranthe,...
Distributeur : Haut Et Court
Budget : -
Genre : Comédie dramatique, Drame, Comédie.
Nationalité : Danois.
Durée : 1h37min.
Synopsis :
Emma, une adolescente, grandit au sein d’une famille tout à fait ordinaire jusqu’au jour où son père décide de devenir une femme.
Ce bouleversement au sein de cette famille aimante conduit chacun à se questionner et à se réinventer…
Critique :
Pour son premier long-métrage, Malou Reymann s’inspire de sa propre histoire et fait de #APerfectFamily un drame poignant et touchant, qui arrive à gérer ses émotions profondes avec une touche d’humour subtile et délicate. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/eNO1JQSxYo— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) August 20, 2020
Pour son premier long-métrage, Malou Reymann s’inspire de sa propre histoire, où une jeune ado doit gérer l’implosion de sa famille face à la transition de genre de son père.
Un premier film est toujours délicat à aborder. Il faut savoir se livrer, montrer son potentiel, tout en canalisant un trop plein d'énergie qui peut être fatal. L’actrice danoise décide de pousser le curseur à fond et de s’inspirer grandement de son expérience intime sur sa famille : à l’âge de douze ans, elle apprend que son père veut entamer sa transition et s’assumer pleinement en tant que femme. Depuis quelques années, le cinéma aborde enfin la transidentité de manière frontale, incluant les questionnements intimes sur le corps et les relations (amoureuses, familiales, amicales, …), le très beau Lola vers la mer étant un des derniers exemples en date. Mais la réalisatrice décide de ne pas placer son point de vue vers Agnete, qui doit gérer autant sa transition que la révélation à sa famille, mais sur ses filles, surtout la plus jeune Emma qui rentre tout juste dans l’adolescence. A perfect family contient toute l’ironie requise dans son titre (moins que le titre VO cependant, A perfectly normal family), ainsi qu’une indication sur comment le film traite son sujet, entre émotion et humour.
Emma grandit dans une famille aimante, entourée de parents qui s’aiment et d’une grande sœur de quatorze ans qui la tolère. Le film s’établit dans le début des années 2000, au moment où Britney Spears cartonne en tête du classement avec “Oops … I dit it again”. Pas de téléphone portable, caméra VHS au poing pour capter la vie quotidienne de sa famille et se créer des souvenirs avant l’heure d'Instagram, la réalisatrice réussit à instaurer cette époque où le mot transidentité n’existe pas et où les questions du genre ne se posaient pas. Emma semble proche de son père, qui l’emmène à ses matchs de foot, où il l’encourage et lui donne des conseils. La famille s’apprête même à adopter un chiot, la seule chose qui manquait à cette famille parfaite. Mais une tension entre les parents se profile, qui nous laisse penser qu’une séparation est possible. C’est avec beaucoup d’humour que la cinéaste filme la révélation, sensation d’un pavé dans la mare éclaboussant cette famille faussement parfaite et créant un fossé qui aura du mal à se refermer. Devant des pizzas appétissantes, la mère Helle décide d’annoncer de la façon la plus abrupte qui soit leur divorce et la raison : son mari Thomas ne sera plus. Yeux écarquillés et bras qui tombent, leurs deux filles Caro et Emma deviennent des statues, dans un silence pesant, et laisse place à une situation tragi-comique où s’échappe quelques rires discrets. Emma va alors subir un divorce, comme d’autres jeunes gens avant elle, mais aussi le deuil d’un père tel qu'elle l'a connue. Mauvais timing alors qu’elle arrive dans une période où la “normalité” devient un sujet central.
Malgré l’amour que porte Agnete à ses filles et sa promesse de continuer d’être un père pour elles, les relations subissent elles aussi une transition. Il faut s’habituer à vivre avec des parents séparés, à voir le corps de son père changer, à la voir s’épanouir dans une nouvelle vie, prendre possession de son corps, de sa féminité. Si Caro accepte facilement ces changements, Emma a un blocage. Malou Reymann décide de faire de ce personnage le centre du récit et la caméra prend son point de vue. Quand l’annonce du divorce est faite, Agnete disparaît petit à petit de l’écran, comme si Emma voulait l’effacer de sa vie. Elle refuse même de la voir habiller en femme, se met un bandeau sur les yeux, empêchant le spectateur de la voir également. Nous avons droit à quelques bribes d’informations quant à l’opération, mais la transition en elle-même se place en arrière plan. Malou Reymann privilégie les relations et met l’accent sur l’expérience et l’effet que provoque le choix d’Agnete plutôt que la transition en elle-même. En conséquence, elle questionne la norme, le fait de ne pas s’y plier si l’envie n’y est pas et d’explorer les choix qui s’offrent à nous, malgré les obstacles. Si Emma a perdu le père que la société voudrait qu’elle ait, elle a gagné un parent tendre et aimant, en phase avec son corps et son genre, ce qui au final est le plus important. On peut cependant regretter ce choix de ne pas donner le rôle à un acteur transgenre, malgré l’explication de la réalisatrice, qui privilégie l’ambivalence de jouer à la fois Thomas et Agnete, “Quelqu’un qui ait une physionomie particulière, et qui puisse passer d’un corps d’homme à l’expression de sa féminité [...] trouver quelqu’un qui puisse jouer et vivre en même temps sa transition était impossible.”