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[CRITIQUE] : Kill It and Leave this Town


Réalisateur : Mariusz Wilczynski
Acteurs : Krystyna Janda, Maja Ostaszewska, Andrzej Chyra, Małgorzata Kożuchowska, Andrzej Wajda,...
Distributeur : Outsider Pictures
Budget : -
Genre : Animation.
Nationalité : Polonais.
Durée : 1h27min.

Synopsis :
Le personnage principal ayant perdu ceux qui comptaient le plus pour lui, il tente d'échapper au désespoir en se cachant dans un endroit sûr et rempli de souvenirs. Au fil des ans, une grande ville se forme dans son imagination. Des héros issus de la littérature et des dessins animés de son enfance viennent la peupler sans y avoir été invités. Quand le protagoniste découvre qu'ils sont tous devenus vieux et que la jeunesse éternelle n'existe pas, il décide de retourner à la réalité.





Critique :


Mariusz Wilczynski nous emmène dans un voyage troublant au fin fond de son esprit, où se mêlent souvenirs, cauchemars, une animation ancrée dans la culture de son pays, la Pologne.

Kill It and Leave This Town, premier long-métrage du réalisateur polonais Mariusz Wilczynski, fait partie de la sélection officielle du festival d’Annecy, qui cette année se déroule intégralement en ligne. Le synopsis est alléchant et nous invite dans le monde de l’imagination, un monde singulier et très intime.

Photograph: Mariusz Wilczyński


Et dès les premières secondes du film, le réalisateur nous rappelle à quel point l’esprit est quelque chose d'intangible, il est donc absurde d’en attendre un rendu cohérent et lisse. Plusieurs univers se dégagent de ce monde conceptuel, une aventure viscérale dessinée à la main, un cauchemar obscène et obsédant, qui ne laisse pas indemne.
En préparation depuis 2010, il aura fallu onze ans à Wilczynski pour mener son projet à bien, preuve de son attachement au film, qui porte son aura du début à la fin. Il apparaît même, avec d’autres personnages, pour certains issus du cinéma polonais, dont le regretté Andrzej Wajda, qui prête sa voix à un passager du train. L’animation est minimaliste et laisse voir le papier sur lequel est posé le dessin. Des lignes noires, parfois grossières, des tâches de couleur (un nœud rouge dans les cheveux, un fard à paupière bleu, une enseigne de néon) qui rendent compte du caractère surréaliste du métrage. Le récit est volontairement non-linéaire, le spectateur est à la merci de la narration, une imagerie teintée de désespoir et de violence. L’oppression que nous ressentons face à cette ville de Pologne est voulue, représentant l’enfance du réalisateur pendant les années 70 où le pays était alors encore sous l’emprise communiste. De la fumée sort des usines, un horizon industriel qui se retrouve partout, même à travers une fenêtre en arrière plan. On peut y voir un début d’histoire, avec cette femme qui se réveille pour dire au revoir à son mari et son fils, allant à la mer sans elle. Elle prend son bain, part travailler. Avant de prendre le tram, elle s’arrête dans une épicerie, où la commerçante préfère parler de sa nouvelle permanente que de la servir. Puis rien ne va plus. Le réservoir où flottent des poissons attendant patiemment pour être éventrés par la commerçante, se transforme en eau où flottent des hommes, qui se feront décapités un peu plus tard par des animaux, échangeant les rôles. Les images sont parfois graphiques et provoquent un malaise, quand on comprend enfin à quoi nous sommes témoins. Âmes sensibles, vous êtes prévenues.

Photograph: Mariusz Wilczyński


Kill It and Leave This Town se fait le témoin de l’esprit du réalisateur, qui nous confie ce qu’il a de plus précieux, enfoui profondément en lui : ses névroses. La vieillesse a l’air de lui faire particulièrement peur. Ses personnages, malgré les traits grossiers, sont marqués par la vie. Cernes, rides, la vie se lit sur leurs visages et dans leurs yeux fatigués par les heures de labeurs, par les peines, les regrets. La jeunesse ne trouve jamais sa place dans le film. Soit elle n’est montrée avec parcimonie, des jouets, des chaussures d’enfants. Soit le visage du personnage est placé bord cadre, le plus éloigné du corps vieux et fatigué. Soit cette jeunesse est moquée, comme ce petit garçon maladroit qui se fait humilier par sa mère dans le tram. Les aspérités de l’animation sont alors compréhensibles, comme des témoins de la fièvre, de la hâte de nous livrer ces images au plus vite, pour s’en débarrasser.
Cette atmosphère disparate est accentuée par les transitions aléatoires, des fondues au noir ou coupe nette dans la séquence. La seule chose qui relie ces scènes entre elles est la guitare du musicien Tadeusz Nalepa, bande originale du film, bouée de sauvetage dans ce chaos cauchemardesque. Kill It and Leave this Town est hanté par les pertes de son réalisateur, par la mélancolie de son enfance, de cette vie qui passe, de ce corps qui vieillit sans qu’on ne puisse rien y faire.


Laura Enjolvy 



Photograph: Mariusz Wilczyński

Le Festival d'Annecy cuvée 2020, auquel on assiste tous gentiment installés dans nos fauteuils et non dans des salles obscures - un changement drastique de cadre pour les habitués -, n'aurait pas pu commencer d'une manière aussi intense qu'avec Kill It and Leave This Town du réalisateur polonais Mariusz Wilczyński; une fable férocement misérable et à l'animation incroyablement brute, qui mélange réalisme et songe onirique dans un imaginaire aussi sombre que troublant.
À une heure ou Disney - via Pixar ou sa propre production maison -, Dreamworks et même Ghibli dominent les salles obscures avec une justesse relative selon les firmes, le film incarne un véritable rappel fascinant et important d'un tout autre style d'animation venue d'Europe centrale, plus rugueux, fragmenté et brusque, mais pas moins brillant dans sa douleur infiniment esthétique.
Le type d'animation qui n'est décemment pas faite pour tous les publics, qui n'est pas là pour amuser petits et grands dans la joie et la bonne humeur, qui exalte ou célèbre les sens, plutôt une art peu commode, vachard et qui s'échine à offrir un regard acéré et satirique sur l'homme et la société qui nous entoure; une animation croquée avec brutalité, semblant se dégager avec violence des tripes du papier glacé, pour éclater à l'écran.

Photograph: Mariusz Wilczyński

Entre le cauchemar ambulant et le témoin d'une mémoire singulière sur le souvenir des parents de Wilczyński, Kill It and Leave This Town est réellement une expérience particulière, extrêmement personnelle et " à l'ancienne ", qui se permet tout, même le plus glauque et le plus improbable.
Une anxiété palpable et à la limite de l'anxiogène, des visages laids immobiles qui hantent l'écran, un regard parodico-malaisant sur la mort imaginé de sa mère (vraiment glauque), mais surtout un réalisme très souvent écrasé par un nihilisme très " Beckettien "; le film laisse souvent son auditoire dans une situation assez complexe - mais pas déplaisante en soi -, celle de ne pas trop comprendre ce qu'il se passe ou quelles sont véritablement les grandes lignes esquissées par le cinéaste polonais.
Un film chaotique sur la nostalgie et la mélancolie du passé, les songes, les névroses de son auteur ou encore les messages brouillés qui eclatent de l'inconscient, Kill It and Leave This Town ne laisse jamais différent et véhicule sa propre poésie mystérieusement sombre.
Et c'est sans doute ce qui justifie autant sa présence au sein de la sélection du festival, mais aussi et surtout, sa vision.


Jonathan Chevrier


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