[CRITIQUE] : Nina Wu
Réalisateur : Midi Z
Acteurs : Wu Ke-Xi, Vivian Sung, Kimi Hsia,...
Distributeur : Epicentre Films
Budget : -
Genre : Thriller, Drame.
Nationalité : Taïwanais, Malaisien, Birman.
Durée : 1h43min
Synopsis :
Nina Wu a tout quitté pour s’installer à Taipei dans l’espoir de faire une carrière d’actrice. Mais elle n’a tourné jusqu’alors que quelques publicités. Un jour, son agent lui propose le casting du rôle principal d’un film d’espionnage. Malgré sa réticence à la lecture des scènes de nu et de sexe, Nina se rend à l’audition.
Critique :
Plongée intense, implacable et hypnotique,#NinaWu ou un rappel profondément douloureux et inconfortable de la dévastation d'un pouvoir malsain sur la vie d'une jeune comédienne pleine d'espoir, confrontée à la dure et gerbante réalité de la toute puissance de l'autorité masculine pic.twitter.com/YxeC8I1hny— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) January 7, 2020
À minima, même s'il n'a pas fondamentalement bousculé les choses, le mouvement #MeToo a au moins pour lui la réussite d'avoir montrer à différentes échelles, à quel point la corruption, la misogynie et l'exploitation gangrènent voire même sont le ciment de l'industrie du divertissement - et donc du septième art.
Il était temps que les abus multiples (harcèlement sexuel, intimidations, agressions, pressions,...) soient matérialisés par des paroles soutenues par les médias, et que certaines grosses têtes commencent enfin à tomber.
L'un des premiers à frontalement prendre la parole par la fiction suite au mouvement, le réalisateur taïwanais Midi Z présente un rappel profondément douloureux de la dévastation d'un pouvoir incontrôlé sur la vie d'une jeune comédienne pleine d'espoir, qui va vite être confrontée à la toute puissance gerbante de l'autorité masculine.
On y suit le destin un temps tranquille mais bientôt chamboulée de Nina Wu (formidable Wu Ke-Xi, également au scénario), une actrice de seconde zone ambitieuse qui n'a pas réussi à percer dans l'industrie cinématographique taïwanaise, elle qui n'a que quelques lignes fragiles sur son cv (des publicités et un tchat vidéo sur la toile).
Mais lorsque son agent la contacte au sujet du rôle titre d'un film d'espionnage à gros budget, elle accepte sans hésitation d'auditionner malgré qu'elle soit visiblement mal à l'aise avec la nudité graphique hautement requise par le metteur en scène...
Rappelant autant le formidable Perfect Blue de Satoshi Kon, mais aussi le plus décrié Inland Empire de David Lynch, avec sa superposition entre réalité et fiction pour mieux exprimer la déroute traumatique subit par son héroïne, narratrice plus ou moins fiable mais unique de l'histoire, le film déploie un canevas électrique sur les abus subit par les actrices au coeur de l'industrie du divertissement de masse, nous plaçant littéralement au premier rang du calvaire stressant de Nina qui reflète une vérité commodément ignorée sur la façon dont certains cinéastes traitent leurs comédiennes.
Victime de son réalisateur (terrifiant Shih Ming-shuai), qui n'a aucun mal à la torturer émotionnellement et physiquement Nina (hurlements, insultes, gifles,...) pour l'amener à provoquer les émotions négatives requises aux scènes qu'il tourne.
Un comportement odieux qui n'est pas sans rappeler ceux de cinéastes majeurs du septième art, que ce soit directement (Lars von Trier, feu Stanley Kubrick,...), ou plus subtilement (comme Quentin Tarantino, via l'incident de Nina qui frôle la mort, rappelle celui vécue par Uma Thurman sur le tournage du dyptique Kill Bill).
Dommage que la seconde moitié du métrage, qui délaisse la crudité du tournage pour une sous-intrigue moins maîtrisé sur le harcèlement par un fan tordu (la référence à Perfect Blue prend ici tout son sens) et un flashback répété qui fait monter le sadisme d'un cran, manque de consistance (et brouille encore plus que de raison, sa mise en abyme), même si sa manière apathique de jamais blâmer ses bourreaux (ni même sa victime, qui décide de tout encaisser pour réussir, sans réagir en mettant un pied à terre), laissent habilement penser que le septième art n'en est lui-même pas capable non plus, sorte de boeing sans pilote et insouciant, composés de passagers volontairement aveugles tant que l'avion vole sans turbulences ingérables.
S'il lui manque peut-être un chouïa de punch et de maîtrise (sa générosité le dessert grandement parfois), le sentiment douloureusement inconfortable que procure cette plongée sans concession dans la mise en images d'une vérité connu de tous, convoque suffisamment de malaise et de colère pour faire de Nina Wu est une belle réussite hypnotique à la mise en scène précise, dont la caméra lancinante et ses solides cadrages appréhendent avec puissance l'anxiété d'un destin tragique, croulant sous les sacrifices et les concessions nullement désirées.
Une oeuvre importante, féministe et surtout férocement implacable dans sa description crue des abus indignes et répulsifs, qui rappelle de façon accablante que le mouvement de 2017 n'a pas définitivement pas éradiqué un souci majeur qui, sans doute, ne le sera jamais tant que le septième art décidera de se complaire dans une ignorance choisie.
Jonathan Chevrier