[CRITIQUE] : Lola vers la mer
Réalisateur : Laurent Micheli
Acteurs : Mya Bollaers, Benoît Magimel, Els Deceukelier, Sami Outalbali,...
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Drame, Comédie
Nationalité : Belge, Français
Durée : 1h30min
Synopsis :
Alors que Lola, jeune fille transgenre de 18 ans, apprend qu’elle va enfin pouvoir se faire opérer , sa mère, qui devait la soutenir financièrement, décède. Afin de respecter ses dernières volontés, Lola et son père, qui ne se sont pas vus depuis deux ans et que tout oppose, sont obligés de se rendre jusqu’à la côte belge. En chemin, ils réaliseront que l’issue du voyage n’est peut-être pas celle à laquelle ils s’attendaient…
Critique :
Road movie intime entre un père et sa fille transgenre, ou les deux se déchirent, se lient et cherchent surtout à se comprendre, #LolaVersLaMere est un beau film sur la construction d'un nouveau regard, vers l'acceptation et même la compréhension. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/3RF4ZgrH0s— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) December 12, 2019
"Je crois que souvent au cinéma, le besoin de raconter un récit naît d’une double envie : l’une intime, l’autre politique” nous dit Laurent Micheli. Le réalisateur belge revient avec son deuxième long-métrage Lola vers la mer, où un Benoît Magimel, ébranlé par la mort de sa femme, se voit faire un road-trip avec sa fille, qu’il a mis dehors quand il a découvert sa transidentité. Intime, car le spectateur se trouve dans la tête de cette jeune fille de dix-huit ans, pleine de rage, de conviction, voguant dans une jeunesse qui déjoue les codes sociaux et identitaires. Politique car le cinéaste a voulu caster une véritable actrice transgenre, Mya Bollaers, qui fait ses premiers pas au cinéma (en lice pour les Révélations aux Césars 2020, rien que ça). Le film fait se confronter deux regards : celui cisgenre, d’un père qui ne veut pas laisser le fils qu’il pensait avoir, celui d’une fille, d’une femme qui s’est enfin trouvée.
Lola et son père se retrouve dans des conditions particulières. Cette jeune ado aux cheveux roses se prépare pour l’enterrement de sa mère. Avant de voir le père en question, nous savons déjà que les relations sont tendues : elle vit dans un foyer, mais semble plutôt bien lotie, entourée de personnes qui l’encouragent. Mais arrivé devant l’église, personne. Son père a avancé la cérémonie sans lui dire. Folle de rage, elle s’en va avec l’urne de sa mère. Ce “vol” va être le début d’un road-trip dans la Belgique flamande, vers la maison d’enfance de la mère de Lola. Malgré son jeune âge, Lola est autonome et a entrepris seule la démarche de transition, avec cependant le soutien financier secret de cette mère maintenant disparue. Lola se retrouve dans une situation précaire : elle ne peut pas payer seule les deux opérations qu’elle doit subir. Laurent Micheli utilise le road-trip comme un voyage initiatique. Le film détient donc tous les éléments pour une confrontation forcée : espace restreint, non-dit, relation tumultueuse. Ces deux êtres, que tout oppose malgré les liens du sang, sont en recherche d’identité. Lola, qui se sent enfin elle-même dans une identité qui la convient, est en recherche d’affection et de soutien. Elle fait le deuil d’une mère, d’une enfance difficile, d’une adolescence trop vite brisée. Philippe n’est plus un mari, plus un père depuis quelques temps. Si la trame narrative est simple, entre dispute et moment émouvant, le cinéaste évite le pathos, rend le récit fluide, réaliste et poignant.
Si le travail de Laurent Micheli est à féliciter, il faut aussi rendre grâce au tandem du film, porté par quatre épaules solides. Si le début de Lola vers la mer montre une Mya Bollaers hésitante, presque timide, elle s’épanouit par la suite et donne corps à cette Lola. Benoît Magimel incarne avec brio ce père bloqué dans l’archétype du type viril à l’extrême, égoïste, incapable de communiquer si la conversation ne lui donne pas raison. Une masculinité loin d’être un exemple et qui ne fonctionne plus. Sa transphobie, plus qu’une véritable haine, vient de l’incompréhension. Lui qui pense avoir élever un fils pendant tout ce temps, qui pense que le sexe biologique et genre sont forcément la même chose, se retrouve perdu face à cette vérité : il a et a toujours eu une fille. Une vérité qu’il découvre petit à petit, d’abord dubitatif, puis ébahi. Dubitatif, quand il voit entrer Lola dans une station-service, une silhouette dite féminine, au short court qui met en valeur les courbes. Ébahi, quand il la voit se maquiller dans la voiture, avec un naturel déconcertant. Car le regard aide à construire une identité. Un regard sur soi-même évidemment, mais aussi les regards portés sur nous. Lola vers la mer relate le changement des ces regards : celui d’un père qui voit son enfant devenir adulte, sa propre personne avec ses émotions et choix Celui d’une fille qui ne voit plus son père comme un monstre sans-cœur, mais comme un être humain faillible, capable pourtant de comprendre et peut-être, pourquoi pas, accepter.
Laura Enjolvy
Laura Enjolvy