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[CRITIQUE] : Chanson Douce


Réalisatrice : Lucie Borleteau
Avec : Karin Viard, Leïla Bekhti, Antoine Reinartz, Assya Da Silva,...
Distributeur : StudioCanal
Budget : -
Genre : Drame, Judiciaire.
Nationalité : Français
Durée : 1h40min

Synopsis :
Paul et Myriam ont deux enfants en bas âge. Ils engagent Louise, une nounou expérimentée, pour que Myriam puisse reprendre le travail. Louise se montre dévouée, consciencieuse, volontaire, au point que sa présence occupe une place centrale dans la famille. Mais très vite les réactions de Louise deviennent inquiétantes.



Critique :


En 2016, Leïla Slimani accédait à la reconnaissance littéraire que mérite son brillant esprit, avec son best-seller Chanson Douce en gagnant le prix Goncourt, une des plus hautes distinction pour un écrivain. Un récit cruel, intense, inspiré d’un fait divers : une nounou tue les enfants dont elle s’occupe. Mais l’autrice y a vu de l’inspiration pour parler d’autre choses qu’un meurtre sanglant, elle a voulu s’intéresser à ces femmes qui s’occupent des enfants des autres, à la charge mentale, à la solitude, à l'humiliation sociale que peuvent vivre ces personnes occupant un poste si difficile, mais tellement invisible. Bien évidemment, un tel récit passionnant et complexe intéresse également le cinéma. Si la réalisatrice Maïwenn était dans la ligne de course, cet exercice difficile est revenu finalement à Lucie Borleteau, dont c’est seulement le deuxième film. Avec son co-scénariste Jérémie Elkaïm, ils se sont penchés sur la lourde tâche d’adapter un roman aussi apprécié, tout en essayant d’en faire un vrai produit de cinéma. Pari tenu ?


Le film commence par une maman au bout du rouleau. Myriam (Leïla Bekhti) n’en peut plus d’être femme au foyer et rêve de reprendre son travail en tant qu’avocate. Sa voix-off qui nous accompagne explique que c’était son choix d’avoir un deuxième enfant, mais maintenant qu’il a onze mois, elle veut parler autre chose que de couche, comme elle l’explique à son mari Paul (Antoine Reinartz). Une place en crèche se révélant encore plus difficile à obtenir qu’une place de parking d’un centre commerciale la veille de Noël, ce jeune couple trentenaire recherche donc une nounou. Mais cela se révèle compliqué. Par le biais des entretiens, Chanson Douce aborde déjà la différence sociale et culturelle, entre ces parents bobo du onzième arrondissement et ces femmes, souvent racisées et précaires, qui cherchent désespérément un emploi. Heureusement, arrive Louise (Karin Viard),qui après ces entretiens compliqués, fait office de la nounou idéale. Posée, à l’écoute, cette séquence est filmée presque comme un coup de foudre amoureux. Myriam l’aperçoit tout d’abord de dos, la nuque bien droite. Elle s’approche pour écouter sa voix douce et rassurante. La maman est charmée. Les enfants aussi, surtout l'aînée qui vient lui offrir son doudou, comme pour lui signifier que oui, Louise a bel et bien obtenu le poste.


Si nous devions donner qu’un seul thème à Chanson Douce, ce serait le débordement. Affectif, au travail, les lignes sont toujours franchies. Myriam est tellement reconnaissante de retrouver du temps, pour elle et pour son couple, qu’elle laisse Louise prendre plus de place qu’il ne le faudrait. Le couple fait beaucoup de mauvais choix, comme emmener leur nounou en vacances, faire comme-ci elle faisait partie de la famille, franchissent toutes les lignes employeurs/employée comme si nous étions dans Mary Poppins, pour finir par se plaindre quand Louise devient trop familière avec eux. Quant à elle, le débordement est tout d’abord affectif. Elle aime beaucoup trop les enfants, quitte à s’en rendre malade quand les parents partent une semaine avec eux sans elle. Son comportement aussi déborde : elle joue parfois trop intensément (cette scène où Louise fait le lion) ou quand elle fait lécher un yaourt pour apprendre à Mila de ne pas gaspiller. Quelque chose sonne faux chez Louise qui se permet d’entrer dans la vie intime du couple, mais l’empathie est présente quand on voit à quel point elle aime les enfants. Quand on voit le lieu où elle vit, seule, dans un appartement triste. Quand on voit comment Paul et Myriam l’a traite (cette horrible scène où le couple parle d’elle en sa présence par texto). Et c’est ce balancement, entre l’empathie que nous ressentons et ces détails gênants qui donne cette tension insoutenable. Louise perd de plus en plus pied avec la réalité, les parents sont de plus en plus cruels avec elle, quelque chose d’horrible va se produire.


Parce que Chanson Douce parle aussi de maladie mentale, le film choisi parfois d’être plus dans la symbolique que dans l’explication. Nous voyons plusieurs fois des pieuvres, qui symbolisent Louise. Par l’oeuvre de Hokusai, Le Rêve de la femme du pêcheur, alors que Louise s’est autorisée à la jouissance dans la chambre des parents. Par des hallucinations, pour montrer sa vulnérabilité quand elle sent que les enfants vont lui échapper. Parce que la pieuvre symbolise autant la femme sexuée qu’est Louise, bien loin de l’image “Mary Poppins” que nous voulons voir dans le travail de nounou, mais aussi un être gluant, puissant, qui entoure ses victimes de ses tentacules pour étouffer ses proies.
Par le jeu de Karin Viard, nuancé et incroyable, par la mise en scène faite de petits détails glaçants, par sa musique, une comptine qui déraille à en devenir glauque, Chanson Douce est un piège pour le spectateur, un puzzle qui, quand on rassemble tous les morceaux, nous enferme dans une vérité terrifiante : les enfants sont morts et nous pouvions rien y faire.


Laura Enjolvy

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