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[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #70. Rocky IV

© Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !


#70. Rocky IV de Sylvester Stallone (1985)

Il y a quelque chose de profondément paradoxal avec Rocky IV, que l'on peut aisément qualifier de film le plus faible scénaristiquement de la saga (mais pas intrinsèquement le plus faible d'un point de vue qualitatif, la nuance est importante), tout autant qu'il en est le plus jouissif et même, pour beaucoup, la meilleure aventure de Rocky Balboa; véritable symbole sur pellicule de toute une époque folle, et de la mutation énervée de son metteur en scène/scénariste/comédien vedette.
Échaudé par quelques flops difficilement défendables (Staying Alive, le franchement déprimant New York Cowboy), si l'année 1985 marquera non seulement les retrouvailles entre Stallone et son monstre de Frankenstein Rambo, dans Rambo II - La Mission, B movie tonitruant façon victoire revancharde d'une Amérique Reagienne encore blessée par l'échec du Vietnam; elle permettra surtout à Sly de renouer avec les rings via un opus résolument plus simpliste que le déjà limité - mais génial - Rocky III : L'Oeil du Tigre, et intimement plus politique.

© Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved

Exit le boxeur nerveux, crée dans la misère et désireux de bouffer sa part de l'American Dream - Clubber Lang, incarné par un Mr T post-Agence Tous Risques -, dans Rocky IV, bonjour la montagne de muscle russe Ivan Drago, joué par le wannabe comédien Dolph Lundgren, que Sly a gardé au chaud sur le tournage de Rambo II, où il devait déjà campé un méchant venu du froid.
Prenant en grippe une Guerre Froide alors pleinement lancée dans ses dernières heures tendues (et parfaitement résumée dans une ouverture simpliste de quelques secondes), Balboa, l'étalon italien de Philadelphie, incarnera ici sans sourciller un héros " à l'américaine " (bon père de famille, intègre, un exemple du dur labeur et de la réussite, aux valeurs traditionnels bien ancrées dans son ADN), fustigeant par la force de ses poings l'arrogance de la jeunesse communiste (un ancien agent du KGB conditionné à n'être qu'une machine de guerre déshumanisé du Kremlin), plus imposante physiquement et capable d'utiliser ce déséquilibre physique pour tuer son prochain, avec une froideur incroyable.
Car tout Rocky IV n'est, au fond, qu'une histoire de vengeance dans la plus stricte définition du terme : celle d'un homme voulant coûte que coûte confronter l'assassin de son meilleur ami (dans un combat non reconnu par le monde de la boxe, et pour lequel son titre n'est même pas en jeu), lui-même ancien ennemi du passé, et dont l'extravagance lui aura été douloureusement fatale.
Rien de plus... enfin presque.
Pur produit de son époque, et sensiblement en avance sur son temps (si...), le quatrième Rocky est férocement influencé par la culture MTV et l'avènement du vidéo-clip qui envahit tous les foyers américains, tellement qu'il en vient même à renier dans sa propre chair quelques canons essentiels de sa propre franchise : l'absence d'une vraie présence féminine vitale (Adrian est là sans vraiment l'être, ne comprend pas Rocky avant de finalement vite partir le soutenir en Russie), mais aussi d'un traitement émotionnel fort (malgré la mort d'Apollo), et l'absence du score mélancolique et entraînant de Bill Conti (occupé - mais pas que - par Karaté Kid de... John G. Avildsen, papa de Rocky et Rocky V), remplacé par la partition synthétique de Vince DiCola et, il est vrai, quelques titres qui marquent salement les écoutilles (Living in America de James Brown, Burning Heart de Survivor mais SURTOUT la merveilleuse Heart's on Fire de John Cafferty and The Beaver).
 
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Des trahisons étonnamment acceptables pourtant (la B.O. du IV, même si l'on aime d'amour Conti, est la meilleure de la franchise), tout comme la durée follement expéditive du métrage, passant d'un montage de 2h30 à un plus rachitique d'à peine 1h28, puisque Stallone ne fait qu'aller à l'essentiel dans son film, quitte à salement tâter de l'ellipse à gogo, même au coeur des combats.
Un parti-pris osé mais d'une efficacité redoutable : jamais un Rocky n'a su autant titiller la bestialité imposante de son héros, et le rapprocher de manière totalement improbable de l'autre grande figure Stallonienne, Rambo.
Un guerrier des temps modernes qui doit calmer la bête qui est en lui sous peine d'imploser sous la douleur du deuil et le besoin viscéral de justice, à peine édulcoré par un discours final certes sincère mais un peu trop bon enfant vu la véritable guerre sanglante qui s'est déroulé quelques instants auparavant, sur le même ring (les coups sont pour la plupart bien vrais, le passage à l'hôpital de Sly l'atteste).
Il s'entraîne en pleine nature, se laisse pousser la barbe et repousse les limites de son corps jusqu'à un point de non-retour, dont on aura pleinement conscience dans le décevant Rocky V
Jamais un Rocky n'a retranscrit avec autant de justesse la brutalité du noble art (même si toute idée de réalisme est définitivement abandonné ici), ce sport où l'homme meurt littéralement à petit feu sous le poids des coups qu'il reçoit. 
Il n'y a qu'à voir l'expéditif - et funeste - premier combat entre Creed et Drago, sommet de tension morbide ou le " Death From Above " fond sur son opposant et le martèle de coups comme un vulgaire punching-ball paralysé par la peur et la douleur.
Traumatisante, la séquence est une punition insoutenable ou chaque plan équivaut à un punch rapprochant l'ancien champion du monde de son décès (dès le départ, il est clair que quelque chose de grave va arriver).
Elle catapulte en l'espace de quelques secondes le spectateur dans un sentiment de malaise absolu (après l'avoir faussement amusé lors d'une séquence musicale avec James Brown), que Stallone accentue par un montage frénétique et anxiogène - chaque coup ou presque, est capté par des caméras différentes.
Une impression moins prégnante il est vrai, malgré un montage lui aussi fragmenté, dans l'imposant combat final, qui contient à lui seul tout le dernier acte, avec le plus jouissif et entraînant des montages d'entraînements de l'histoire du cinéma (et une véritable opposition de style entre modernité High-Tech et rudesse naturelle " à l'ancienne ").

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Mais surtout, jamais aucun Rocky n'a été autant en parfaite adéquation avec le statut de divertissement pur et dur qui caractérise la carrière de son géniteur. 
Si Stallone change au cours des 80's, Rocky le fait avec encore plus de puissance, aussi bien physiquement (une mutation musclée entreprise dès le troisième opus, mais qui montre ici un Sly dans la plus grande forme de sa vie) que métaphoriquement (les " rocky steps ", symbole des efforts à parcourir pour mener à la victoire, sont remplacés par l'immensité des montagnes de la Toundra, exposant la mission quasiment impossible qu'il va devoir accomplir pour se venger et gagner), intellectuellement et politiquement, le gentil prolo de Philadelphie laissant sa place le temps d'une oeuvre, à un super-héros embourgeoisé et pro-US, une arme physique et idéologique qui doit aider l'ennemi communiste a retrouver son humanité... dans la défaite (on ne donne pas de leçon sans victoire). 
Une image assez rétrograde - voire vulgaire - au fond, quand on pense au chemin parcouru par le bonhomme au fil des épisodes, mais qui n'apparaît jamais comme tel autant par la bienveillance inhérente que l'on porte à Balboa (aussi bien nous dans notre regard de spectateur, que Stallone sur ce qu'il considère comme un meilleur homme que lui), que par la double lecture maline apportée autant à Rocky (qui abandonne, pour mieux se retrouver, les apparats du consumérisme pour un retour à la nature) qu'à Drago, une âme programmée qui n'est finalement qu'une victime de plus de son pays, une marionnette inexpressive (sa femme parle constamment pour lui), un pion jetable d'un pouvoir russe qui saura flatter son égo au moment opportun, avant de le jeter comme un malpropre une fois que le vent tourne et que son physique de Terminator ne suffit plus à coucher un vieux briscard comme Balboa.

© Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved

Facile jusque dans les relations entre ses personnages, cantonnés au strict minimum (Paulie est un boulet, et Sly ne le cache même plus, Rocky Jr grandit plus vite que Robin Williams dans Jack,...), prévisible (on reprend presque la même mécanique que le III : un décès, un Balboa tourmenté et deux combats) et volontairement tourné vers l'humour (pour mieux masquer, aussi, la noirceur de sa vision du conflit USA/URSS), Rocky IV, relecture bis de David contre Goliath, dénigre certes l'envahisseur russe (froid, violent, dopé), mais il n'offre pas forcément non plus, à l'instar de Rambo II, une image toute blanche de l'Amérique triomphante, engoncée dans un consumérisme abusif, une arrogance pédante (et une fierté mal placée jusqu'au bout, même face à une défaite annoncée), un voyeurisme morbide (le début de la sur-présence des médias) mais surtout une haine viscérale pour tout pays ne suivant pas son idéologie (l'ennemi est toujours celui qui n'a pas les mêmes croyances et valeurs).
Deux figures caricaturées luttant au coeur d'un opus violent, spectaculaire et totalement conscient de ses faiblesses, shooté aux montages en tout genre (tous géniaux) mais surtout infiniment fun, nostalgique et mémorable.
Loin d'être le meilleur, mais clairement le préféré de nombreux amoureux de la saga... dont moi.


Jonathan Chevrier