[CRITIQUE] : Douleur et Gloire
Réalisateur : Pedro Almodóvar
Acteurs : Antonio Banderas, Asier Etxeandia, Leonardo Sbaraglia,...
Distributeur : Pathé
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Espagnol.
Durée : 1h52min.
Synopsis :
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2019
Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.
Critique :
Proche d'un poème poignant et mélancolique à la Nanni Moretti, délicat et sobre, avec #DouleuretGloire, Almodóvar se met à nu comme jamais, fait doublement face à lui-même (Antonio Banderas, parfait) et signe une oeuvre psychanalytique formidable, tout en rupture et en émotion pic.twitter.com/hPJMIdGq2J— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) May 17, 2019
Qu'on se le dise, et même si beaucoup assureront que ses derniers longs-métrages sont inférieurs à l'âge d'or de son cinéma - les 80's/90's -, tout film signé par le maître Pedro Almodóvar mérite décemment son pesant de popcorn, et encore plus à une heure où sa frénésie artistique est sensiblement moins imposante que par le passé (un film tous les trois, quatre ans), et où le cinéaste, à l'aube de ses 70 ans, en a peut-être bientôt fini dans sa romance avec le septième art.
Mais les adieux ne sont décemment pas pour tout de suite, aujourd'hui c'est l'heure de l'introspection et du regard douloureux et mélancolique sur toute une vie, dans une bande follement sincère et personnelle.
S'il a toujours intimement mêlé fiction et réalité dans ses précédentes oeuvres, avec son vingt-deuxième passage derrière la caméra, Douleur et Gloire, le grand Pedro nous parle de lui, sans concessions et même sans jamais se cacher, en prenant pour rôle-titre son alter ego favori, Antonio Banderas (grimé comme le réalisateur), un choix qui coule de source tant le créateur et l'acteur ne forme cette fois plus qu'un, après des années de dualité.
Dans la peau d'un vieux cinéaste hirsute, solitaire et dépressif, littéralement au fond du trou, refusant d'affronter son propre mythe - prison créative qui le condamne à la grandeur pour rester dans la lumière de la gloire - pour mieux se lover dans ses excès, Banderas est Almodóvar dans tout ce qu'il y a de plus fragile - et donc sincère -, au sein d'une véritable oeuvre psychanalytique sur grand écran, une autofiction introspective ou le cinéaste fait doublement face à lui-même, que ce soit dans le passé fantasmé ou dans le présent douloureux - physiquement et psychologiquement -, enlassant imaginaire, souvenirs et quotidien épuisant avec une retenue incroyable, évitant tout du long l'égo trip gerbant.
Tout en rupture et en émotion - même s'il ne laisse pas l'humour de côté -, il renoue avec son enfance avec une mère aimante et courageuse, son premier amour, sa découverte de la sexualité et de son désir, mais aussi et surtout avec un comédien qu'il n'a plus vu depuis trente ans - et véritable moteur de ce questionnement existentiel poignant.
Proche d'un poème mélancolique à la Moretti, délicat et sobre, avec Douleur et Gloire, Almodóvar se met à nu comme jamais, règle ses comptes avec un parcours glorieux et douloureux - d'où le titre -, et se réconcilie avec lui-même et son propre cinéma, se prouvant qu'il en a encore pleinement dans les tripes pour continuer à nous émerveiller.
Une oeuvre testamentaire bouleversante sur les ravages du temps autant qu'une déclaration d'amour mélancolique au septième art et un film majeur dans sa filmographie.
Tout cela à la fois, et même plus encore, à tel point qu'il mériterait pleinement sa palme cette année.
Jonathan Chevrier
« Douleur et Gloire est-il un film basé sur ma vie ? Non, et oui, absolument »
C’est ainsi que débute la bande-annonce du dernier long-métrage de Pedro Almodovar, une question pertinente tant le film floute la notion de fiction et réalité et pourtant bien trop réductrice. Car, la véritable interrogation au fond est la suivante : Mon cinéma est-il basé sur ma vie ? La réponse ? Non, et oui, absolument.
Douleur et Gloire n’est pas la première œuvre dans la filmographie du réalisateur qui évoque sa vie. La loi du désir — déjà avec Banderas — c’était cela, La Mauvaise Éducation c’était aussi cela, Volver — déjà avec Cruz — c’était également cela. Mais, ici, plus que jamais le cinéaste espagnol tient à lever les ombres, s’exposer, se mettre à nu. Cet exercice d’autopsychanalyse aurait pu donner un métrage bouffé par le « moi », il n’en est rien.
Le fait est qu’à — presque — 70 ans, Almodovar maîtrise, plus que jamais, son cinéma. Ce qui lui permet d’offrir une œuvre purement Almodovarienne et qui pourtant surprend par sa pudeur, sa subtilité, son quasi-minimalisme. Le film est jonché d’instantané d’une vie, celle de Salvador Mallo (Antonio Banderas colossal), cinéaste abîmé, qui est plongé dans un état de dépression latente. Ses retrouvailles avec Alberto Crespo, un acteur avec qui il s’était fâché trente auparavant va enclencher la réminiscence de vestige et d’être du passé.
Dès lors, on pénètre dans ce labyrinthe des souvenirs, le réalisateur évoque les douleurs d’une vie, les pertes, les amours abîmés, la santé qui décline, se précipite ici les figures de son cinéma, la mère (Pénélope Cruz splendide), figure pivot de ses obsessions, les amants, scène de retrouvailles tel un instant suspendu au milieu du film, mais également, le premier désir, magnifique moment d’une érotisation toute Almodovarienne.
Ce qu’évoque le cinéaste a la crinière grisâtre, est d’une rare simplicité, car, en maître qu’il est, il parvient à capter la vie dans ce qu’elle a de plus vrai, de plus prévisible et pourtant d'inattendu. Cette flânerie de l’esprit se couple à la passion du cinéma, un volcan en sommeil chez Salvador, qui souffre de cette impossibilité de pouvoir tourner. Son existence, expurgé de cet art est vide, alors ses déambulations dans le passé, à l’aide des médocs et drogues deviennent un pansement, qui se mue en nécessité. Car au final c’est encore une fois la simplicité qui frappe, Salvator souffre d’une perte dont il n’a pas fait le deuil. D’une bien belle manière le cinéma est, ce médicament, qui est le seul à pouvoir faire disparaître les douleurs.
Avec Douleur et Gloire, Almodovar floute les notions de réalité et fiction, dans cette délectation, il offre une œuvre enivrante, colossale, totale, une sorte de film somme, qui pose une question : et maintenant ?
Thibaut Ciavarella