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[CRITIQUE] : Monsieur Link


Réalisateur : Chris Butler
Avec les voix originales de : Hugh Jackman, Zach Galifianakis, Zoe Saldana, Emma Thompson, Stephen Fry, ...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Animation, Aventure
Nationalité : Américain
Durée : 1h35min

Synopsis :
Monsieur Link est une créature surprenante, étonnamment intelligente et surtout incroyablement attachante. Dernier vestige de l’évolution humaine et unique représentant de son espèce, Monsieur Link se sent seul... Pour l’aider à retrouver ses parents éloignés, il approche l’explorateur Sir Lionel Frost, le plus grand spécialiste des mystères et des mythes. Accompagnés par l’aventurière Adelina Fortnight qui possède l’unique carte qui leur permettra d’atteindre leur destination secrète, ils se lancent dans une odyssée à travers le monde.



Critique :


En une décennie, le studio d’animation Laika a su démontrer l’étendu de son talent et devenir une référence dans le monde musclé de l’animation, en seulement quatre long-métrage (malgré un manque cruel de reconnaissance au box office). Le tout dernier, Kubo et l’armure magique réalisé par le directeur du studio Travis Knight, était un petit bijou de stop-motion, sur l’acceptation de la mort pour faire pleinement son deuil. Le stop-motion est d’ailleurs leur signature, et le studio n’hésite pas à montrer le boulot considérable que cela requiert pendant les génériques de leur films. Les enfants sont le centre de leur histoire, avec des récit d’apprentissage parfois sombre (comme Coraline), mais toujours bienveillant, qui touche au cœur. C’est évidemment avec une certaine excitation que nous avons pris l’annonce de leur nouveau film, qui montre cependant un tournant dans leur filmographie. Monsieur Link, au vu de sa bande annonce se veut beaucoup plus fun et léger que ses prédécesseurs et pour la première fois, ce n’est pas un enfant le personnage principal, mais un Sasquatch.
A la fameuse question : est-ce que Monsieur Link a sa place dans la filmographie (parfaite) de Laika, la réponse est oui. Aucun doute possible, le studio semble incapable de produire autre chose qu’un film réussi. Et il a l’avantage de changer la donne pour éviter de devenir redondant. C’est dans l’Angleterre du XIXe que Chris Butler (le réalisateur, qui a déjà officié chez Laika avec Paranorman), a décidé de placer son histoire.


Nous découvrons Sir Lionel Frost et son assistant sur le célèbre lac du Loch Ness, en Ecosse. Frost, britannique de toute son âme sur une barque, tasse de thé à la main, veut s’emparer du monstre du lac, de son petit nom Nessy. Mais tout ne se passe pas comme prévu et après une confrontation épique, Lionel Frost rentre chez lui bredouille. Car cet homme a un rêve, apporter une découverte au club privé des aventuriers du Lord Piggot-Dunceby. Mais Frost est pour l’instant moqué par ce club, car il s’intéresse beaucoup plus aux mythes, qu’aux véritables découvertes. Mais c'est un homme optimiste et enthousiaste, prêt à prendre des risques pour ce qu’il croit. Trop de risque pour son énième assistant qui le fuit après l’échec du Loch Ness. Tout n’est pas perdu, car un anonyme lui envoie une preuve que le Sasquatch (une sorte de singe préhistorique doté d'intelligence, cousin du Bigfoot) existe. Il apparaît que l’anonyme en question est le Sasquatch lui-même, seul survivant de son espèce. Il compte sur Frost pour l’emmener de l’autre côté du monde retrouver sa famille les Bigfoot. Ils vont être rejoint par l’aventurière Adelina Fortnight, qui détient une carte pour les retrouver et vont être poursuivi par des hommes de main du Lord, qui a toutes les raisons du monde de voir Frost échouer…

Laika nous a habitué à leur technique parfaite et ce n’est pas Monsieur Link qui fera exception. Le film étant plus dans l’action que les précédents, l’animation fait preuve d’une liberté sans égal, la caméra partant dans tous les sens pour rendre les séquences épiques. L’ambition démesurée porte ses fruits, l’animation est fluide, colorée, un vrai plaisir pour les yeux. Le générique de fin montre une infime partie du boulot titanesque que représente le principe du stop-motion (principe d’animation image par image). Si au bout de dix ans, la surprise n’est plus là, nous restons sidéré par cette animation magnifique, qui mérite toutes les louanges.
Ce qui fait de Monsieur Link un film différent du studio, c’est le récit. Comme dit précédemment, Laika avait un fil conducteur parmi leur film, voir le monde sous les yeux d’un enfant, une quête identitaire apportant une certaine noirceur, qui n’hésitait pas à aborder la mort et le deuil. Ici, même si le propos est tout à fait adéquat avec notre monde moderne, le film le fait avec légèreté et surtout une écriture comique maîtrisée et bienvenue. Un sacré tournant pour le studio. On peut voir l’histoire comme une quête identitaire toute simple : le Sasquatch, renommé Monsieur Link par Lionel Frost se cherche une famille, une communauté qui l’accepterait car la solitude le pèse. Mais les hommes ne sont pas prêts à accepter qu’une telle créature existe, car il bouscule toute leur conception de leur monde étriqué d’homme privilégié, dont le club d’aventurier existe plus pour plaire à leur égo plutôt que leur volonté à répondre aux questions du monde.


Monsieur Link aborde aussi un questionnement genré, totalement en osmose avec l’actualité. Tout d’abord avec le personnage d’Adelina, une veuve qui a été mariée à un explorateur. Même si elle est une aventurière, le travail de son mari l’a totalement éclipsé. Même Lionel Frost qui l’a connait depuis des années, ne lui propose pas de s’embarquer avec Monsieur Link et lui dans leur folle aventure, cela ne lui vient pas à l’idée. En plus d’être une femme, c’est une femme latine, trop de minorité pour le mâle britannique blanc. Pendant le long-métrage, le spectateur est témoin du béguin de Frost pour Adelina, femme courageuse, déterminée. Et nous avons peur d’une chose, un trope souvent utilisé : la femme indomptable qui finit en love interest. Pas de ça ici, Adelina restera un personnage secondaire il est vrai, mais un personnage libre, avec de l’ambition et un but concret. Cependant, elle sera le personnage qui va pointer du doigt ce qui ne va pas chez Frost, pour l’aider à se déconstruire, à prendre conscience de ses privilèges. Car même si ses idées ne sont pas du goût des Lord et qu’il est souvent moqué, personne ne remet en question sa légitimité. Monsieur Link aborde le genre, et essaye de le remettre en question. Quand Frost comprend que pour s’accepter totalement, Link doit se choisir lui-même un prénom, il décide de le laisser faire. Mais Link décide de prendre le prénom de la personne qu’il estime le plus, un prénom à connotation féminine. Un temps choqué, Frost finira par admettre que ce n’est pas si grave finalement, tant que le Sasquatch se sent lui-même. Une belle façon d'éveiller les enfants à ces questionnements.


Si les fans de la première heure de Laika vont peut être sourciller face à ce changement radical de ton, Monsieur Link saura les convaincre grâce à son exigence technique, toujours aussi poussée et à sa finesse d’écriture, même si les gags sont de mise, cohérent avec le récit. L’humour british fait mouche, ainsi que le ton burlesque qui rappelle bien sur Le tour du monde en 80 jours, réalisé par Michael Anderson, tiré du roman de Jules Vernes. S'ajoute la musique de Carter Burwell, soulignant magnifiquement le côté épique aventurier du long-métrage.
Monsieur Link se révèle donc un des meilleurs films d’animation de ce mois d’avril. Meilleur film d’animation de l’année ? Seul le temps nous le dira mais il se trouve en pôle position.


Laura Enjolvy