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[COOKIE TIME] : #10. La La Land - Pourquoi la fin est-elle si moderne ?


C'est le Cookie Time. Un moment de détente pour parler cinéma. Alors installez vous dans votre canapé, prenez un thé et un cookie. Et c'est parti !



Courant 2010, après avoir réalisé son premier long-métrage, Guy and Madeline on a Park Bench (une histoire d’amour centrée sur le jazz en noir et blanc), le méconnu Damien Chazelle (à l’époque) s’attelle à l’écriture d’une comédie musicale ambitieuse, liant à la fois un hommage à l’âge d’or du cinéma hollywoodien, où tout nous paraît beau et parfait et la vie réelle, avec ses aléas. Le jeune Chazelle de seulement vingt cinq ans ne trouve personne pour financer son film. Il faut dire que la comédie musicale n’a plus la côte dans notre cinéma contemporain et effraie les producteurs par son coût exorbitant. Surtout qu’ici, nous avons affaire à des chansons originales, composées par Justin Hurwitz, le grand ami de Chazelle. Focus Film accepte de produire le film à quelques conditions : faire du personnage de Sebastian un musicien de rock, modifier certaines scènes trop ambitieuses et qui coûteraient donc chères (comme le plan-séquence du début) et surtout changer la fin jugée trop triste pour ce genre de film. Chazelle choisit de ne pas se faire produire dans ces conditions. Pendant ce temps, une autre idée de scénario, sur le thème du jazz encore une fois fait son bonhomme de chemin, ce qui donne le court-métrage Whiplash en 2013 et le long-métrage du même nom en 2014. Acclamé par la critique, et avec cinq nominations aux Oscars (et une récompense du meilleur acteur dans un second rôle pour J.K. Simmons), la comédie musicale écrite par Damien Chazelle retient maintenant l’attention. La La Land sort chez nous en janvier 2017, dans une hype totale. Acclamé pendant la mostra de Venise 2016 (où Emma Stone reçoit la coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine), le film est un véritable raz de marée qui rafle les récompenses sur son passage : sept au Golden Globe, quatorze nominations aux Oscars, dont six récompenses. Le film obtient d’excellentes critiques de la part de la presse mais aussi du public (cinéphile ou non). Impossible de passer outre la chanson phare du film City of stars ou de la fameuse photo du couple Emma Stone dans sa robe jaune et Ryan Gosling, dans leur pose de leur danse pendant A lovely night. Le film est une réussite, aussi bien dans sa mise en scène virtuose que dans sa gestion de l’émotion. Il ne sera pas question ici de remettre en cause le film, mais pour parler de la fin (comme le dit si bien le titre de cet article, hautement subtil). Si La La Land devait avoir un défaut pour la majorité, ce serait sans conteste la fin. Comme Focus Film l’avait annoncé, cette fin est ressentie comme beaucoup trop triste pour contenter les spectateurs. Et pourtant … C’est bien une fin moderne auquelle nous avons droit. Une fin qui fait du bien au cinéma contemporain, car il creuse enfin une autre voie pour les personnages féminins sans en avoir l’air. C’est pourquoi j’ai décidé d’exposer enfin mon point de vue sur la question. Mon but étant de démontrer en quoi, même si mélancolique, comment se finit La La Land n’est en soi pas si triste que cela.


Un peu d’étude féministe

En 1991, la journaliste américaine Susan Faludi sort son analyse féministe Backlash : la guerre froide contre les femmes. Cet énorme essai de presque huit cent pages analyse méthodiquement la mécanique du “backlash”, une revanche systématique à chaque avancée de la cause féminine. L’autrice étudie toutes sortes de revanche survenu après la révolution sexuelle des années 70 : dans la politique, dans les médias, dans les études universitaires, dans la publicité, dans les séries, dans le cinéma, … En aucun cas Backlash se défini comme “un livre contre les hommes” comme a pu critiquer certains. Il se définit plutôt comme une enquête pointue sur un système patriarcale qui enveloppe les hommes mais aussi les femmes (comme on peut le voir, il existe aussi des femmes américaines virulentes contre le féminisme). Dans les premières pages du livre, l’autrice nous parle d’une étude d’un sociologue, Neil Bennett, réalisée dans les années 80, qui a fait sensation. Les médias s’en sont vite emparés car l’étude confortait la politique de l’époque de Ronald Reagan qui privilégiait la famille (il faut comprendre : les femmes à la maison pour s’occuper du foyer). Neil Bennett, par son étude (soit disant poussée) arrive à certaines conclusions : les femmes diplômées risquent fort de ne jamais se marier. Il donne même des chiffres : à trente ans, les femmes diplômées n’ont plus que 20% de chance de se marier, à trente cinq ans, le chiffre descend à 5% et après quarante ans, il ne reste que 1,3% de chance. Les médias s’emparent donc des chiffres et l’étude est reprise partout. On la retrouve même dans les feuilletons télévisuels de l’époque comme Designing Women (Femmes d’affaires et dame de coeur pour le titre en français), ou dans le cinéma dans Liaison Fatale ou Quand Harry rencontre Sally. L’étude, si elle ne le dit jamais textuellement, essaie de culpabiliser les femmes de faire des études et de concrétiser leur rêve de carrière. Pour Neil Bennett, les femmes ne peuvent pas tout avoir et un choix doit être fait : être heureuse en se mariant et en fondant une famille ou être malheureuse en concrétisant un rêve et/ou une carrière mais finir seule. Susan Faludi démonte l’étude, en se basant sur une autre étude faite par Jeanne Moorman, une démographe au Département mariage et famille du recensement des États-Unis. Au lieu d’utiliser un “modèle paramétrique” comme Bennett, Moorman utilise les chiffres du recensement général. Elle obtient les chiffres suivant : à trente ans, les femmes diplômées ont entre 58% à 66% de chance de se marier, à trente cinq ans, de 32 à 41% et après quarante ans de 17 à 23%. Quand Jeanne Moorman remet ses conclusions aux médias, ils ne s’en intéressent pas. Parce que les chiffres n'offrent aucun titre où apparaît un danger “attention, il ne vous reste que peu de chance de vous marier !”. L’étude de Neil Bennett et de ses collègues, appelée par la presse l'Étude Harvard-Yale, fait de nombreux dégâts sur les femmes. En 1986, le Wall Street Journal fait un article sur les angoisses liées au célibat sur les femmes de plus de trente ans. D’après les témoignages, les femmes ne ressentaient aucune pression sur le mariage, jusqu’à lire l’étude dans la presse. Les femmes se montrent obsédées par le mariage et finissent par regretter leur carrière. C’est cette image que le cinéma garde pour Hollywood dans les années 80. Liaison Fatale, Working Girl, Baby Boom sont les exemples les plus parlants. Mais aussi Aliens, le retour, où Ripley devient une maman poule (avec le modèle de la mère capable de tout pour sauver son enfant).

Et là, je pense qu’une question vous brûle les lèvres : qu’est-ce que tout cela à avoir avec La La Land ?


Mia, la femme qui a tout

Pour ceux et celles qui ne connaissent absolument pas La La Land, résumons un peu l’histoire. À Los Angeles, de nos jours, deux jeune personnes se rencontrent. Mia, une serveuse, se rêve actrice hollywoodienne reconnue. Sebastian, un musicien de jazz, rêve d’ouvrir son propre club et consacrer sa vie à la musique. Une histoire d’amour naît entre eux deux, ils comprennent et encouragent l’ambition de l’autre. Sebastian fait prendre conscience à Mia que les castings ne rendent pas justice à son talent et la pousse à écrire un one woman show. De son côté, Sebastian rentre dans le moule en acceptant de jouer dans un groupe, même si le style musical ne lui convient pas. On se rend vite compte que le couple n’est pas heureux. Tandis que Mia se démène seule à monter son show, Sebastian part en tournée avec son groupe. L’un connaît le succès, tout en n’aimant pas du tout ce qu’il fait. L’autre, explore le côté outsider, hors du système détraqué de Hollywood, mais n’aime pas non plus de se mettre à nue devant une (non) foule qui regarde son spectacle par politesse. Sebastian pousse encore une fois Mia, cette fois pour passer un casting. Mia a fait comprendre à Sebastian qu’il fait fausse route et s’est détourné de son rêve. Leur séparation est inéluctable. Pourtant, Chazelle ne s’arrête pas à leur séparation, en faisant un bond en avant de cinq ans. Sebastian a ouvert un club de jazz, qui fonctionne. Mia est une actrice célèbre, mariée et mère. Au cours d’une soirée, Mia et son mari tombent sur le club de Sebastian, le Seb’s (avec le logo que lui avait dessiné Mia). Ils s’échangent un regard, hochent la tête et chacun s’en va de son côté.


Nombreux sont les personnes qui trouvent la fin triste, les deux personnages principaux ne finissant pas ensemble. C’est quelque chose d’assez rare au cinéma. Il ne me vient que Pocahontas, qui choisit de ne pas suivre John à Londres pour rester dans sa tribu, là où elle appartient. À l’instar de Mia et Sebastian, Pocahontas et John partagent leur mode de vie, mais malgré l’amour qu’ils se portent, ils sont beaucoup plus heureux l’un sans l’autre (je ne compte évidemment pas Pocahontas 2, le monde devrait oublier ce film). Il est donc rare d’avoir deux protagonistes amoureux être séparés. Mais pour avoir un happy-end au cinéma, la plupart du temps l’un des personnages se sacrifient. Un boulot, un voyage, une conviction, parfois même sa famille, l’amour vaut bien un petit sacrifice. Et c’est principalement les femmes qui le font. Dans le cas de La La Land, en terme de sacrifice, nous sommes à l’opposé total. Un accord est établi entre eux deux, après l’audition de Mia : leur rêve passe avant leur couple. Ils s’aiment, mais pour combler leur ambition, ils doivent se séparer. En tout cas, c’est comme cela que les analyses du film le voit. Je vous l’avoue, je ne vois pas la fin de leur histoire comme un sacrifice, mais comme allant de soi. Leur couple est voué à l’échec.

La scène la plus parlante pour moi est leur dispute pendant le dîner. Sebastian fait une surprise à Mia, pendant la tournée de son groupe en rentrant à la maison lui préparer un somptueux repas. La soirée infiniment romantique se termine pourtant par une terrible dispute. Mia lui dit enfin ce qu’elle pense de son groupe. Sebastian le prend mal. Des choses terribles sont dites. Mais Chazelle ne filme pas cette scène comme une dispute de couple classique. C’est là où tout bascule, où ils se rendent comptent que leur couple à une date de péremption. Un vinyle tourne, installant l’ambiance sonore : la chanson City of stars, remasterisée en air jazzy, qui enlève toute la mélancolie qui se dégage de la chanson. Chazelle donne le ton. Les couleurs ont changé, en remplaçant le clinquant par du terne. Mia est pour la première fois en pantalon et porte du noir. Sebastian porte aussi une chemise noire, comme si les deux personnages portaient déjà le deuil de leur relation vouée à l'échec. Le réalisateur les réunit dans un seul plan au début de la séquence, mais quand la discussion s’envenime, il les sépare, et ne les remettra jamais ensemble à l’écran. Chacun a une vision bien précise et se rende compte que c’est leur couple qui est coupable de cela. Mia est en pleine préparation de son spectacle, étant pour la première fois hors du réseau hollywoodien, une outsider, comme le voulait Sebastian, qui avait pour ambition d’ouvrir un club de jazz, alors que cette musique ne plaît plus. Mais elle n’a aucune confiance en son talent. Sebastian lui, a fini par signer avec un groupe à succès, rentrant dans le moule de la célébrité, comme le voulait Mia. Ils ont, sans le vouloir échanger leur ambition et sont malheureux. Sebastian en veut à Mia de ne pas le suivre en tournée “can’t you rehearse anywhere ?”, lui demande Sebastian, “anywhere you are ?” lui répond Mia. Elle n’a aucune envie de le suivre partout en tournée et mettre de côté son ambition pour lui. De son côté, Sebastian pense avoir atteint un rêve. Pas le sien, mais celui de Mia, car il a un boulot stable et réussi ce qu’il entreprend. Mais il a laissé de côté son rêve du début. Quand Mia lui demande “Do you like the music you’re playing”, il est incapable de répondre “oui”. Parce que c’est faux. Mais il le dit lui-même, “this is the dream”, LE rêve absolu d’être reconnu et célèbre, mais aucunement le sien. Après cette scène, plus de doute possible : Mia et Sebastian ne sont pas fait pour rester ensemble. La fin est donc pas si surprenante que cela.


Et là où je trouve cette fin absolument magnifique est dans le personnage de Mia. Comme j’ai essayé de le démontrer dans la première partie, les rôles des femmes possédant un rêve/ une carrière n’ont jamais été pleinement satisfaisant. Et pas seulement dans l’étape de la revanche après la révolution sexuelle en 1980. Quand j’ai demandé sur Twitter si des followers pouvaient me citer des films avec un personnage féminins carriéristes qui finissent par regretter leur choix de n’avoir eu ni vie de famille, ni enfant, plusieurs films des années 2000-2010 ont été cité : Le Diable s’habille en Prada (2006), Toni Erdmann (2016), Miss Sloane (2017), Le grand jeu (2018), etc… Ou quand elles ont une vie de famille, il est extrêmement difficile pour elles de jongler entre leur ambition et leur famille : Le Nouveau Stagiaire (2015), Mais comment font les femmes ? (2011), Pentagon Papers (2018), etc … Alors de voir Mia, qui a un mari, un bébé et une carrière, avec l’air d’être parfaitement heureuse, ce chemin pour les personnages féminins est assez innovant tellement il est rare. Damien Chazelle n’appuie pas dessus, privilégiant le moment des retrouvailles. Cette scène est très nostalgique, avec des flash-back sur leur bons moments et ce qui aurait pu être leur vie (si Sebastian avait suivi Mia et abandonné son rêve). Mais comme on l’a vu, ils ne peuvent rester ensemble sans se sacrifier, ce qu’ils ne sont pas du tout prêts à faire. Un regard, un demi-sourire et chacun retourne à leur petite vie, là où leurs rêves se sont réalisés. Damien Chazelle ne juge aucunement son personnage féminin d’avoir fait ce choix, là où d’autre aurait fait culpabiliser Mia pour la faire revenir dans les bras de Sebastian. Et c’est là où se niche la modernité de la fin de La La Land.

Le film s’inscrit dans le cinéma de Damien Chazelle, qui en quatre films, a donné son point de vue sur l’ambition et le rêve artistique. Triste pour certains, le fait est pour Chazelle, l’art apporte un bonheur légitime, bonheur aussi grand que l’amour ou la vie de famille. Son point de vue est ambiguë dans certains de ses films. Whiplash présente l’ambition à l’extrême, Andrew se sépare de sa copine quand tout va bien, se préparant déjà à l’éventualité de finir seul pour sa passion. Dans First Man, le rêve n’appartient pas à Neil Armstrong, mais il est ce qui lui permet de faire le deuil de son enfant et de guérir. Ici, le rêve symbolise la réussite et ce que l’on est prêt à faire pour l’avoir. Et il le traite dans une parfaite équité entre l’homme et la femme. 


Laura Enjolvy