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[GUINNESS, CORK ET CINE] : #1. Black ’47, ou le devoir de mémoire à l’irlandaise


#1. Black ’47, ou le devoir de mémoire à l’irlandaise


Bonjour, bonsoir, je m’appelle Léa et j’ai la chance de faire un échange universitaire pour cette année scolaire dans la formidable ville de Cork en Irlande ! L’occasion pour moi de découvrir ce pays au travers de ses célèbres pubs, de ses églises, de ses ruelles pittoresques mais aussi de son cinéma ! Je vous propose ainsi dans cette rubrique de partager mes découvertes culturelles au travers de mes expériences cinématographiques ! 

Ce premier article parlera donc du premier film « irlandais » que j’ai pu voir au cinéma : Black ’47. Il s’agit d’un film de 2018, sorti le 7 septembre ici (mais le 28 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni) réalisé par Lance Daly. Pour contextualiser la production du film, il s’agit d’une œuvre à « petit budget », qui bénéficie du soutien de plusieurs pays européens, mais qui se targue d’être le « premier film sur la Grande Famine ». J’avoue avoir été surprise de cette information, tant il s’agit d’une période décisive dans l’histoire irlandaise. Mais j’avoue aussi ne pas être une grande experte sur l’histoire d’Irlande, d’où mon intérêt pour ce film.

(© IFC Films - Black'47, Hugo Weaving, Freddie Fox, Barry Keoghan)

Le titre fait référence à la pire année de toute la période de famine dont le pays a souffert au milieu du XIXème siècle. La domination anglaise est dure et ne fait rien pour aider les habitants à survivre. De nombreux irlandais sont forcés à s'enrôler dans l'armée britannique pour un peu d’argent, un toit et de la nourriture. C’est dans ce contexte que notre personnage principal, Martin Feeney, déserteur, revient au pays. Il trouve un pays dévasté, la population se retrouvant confrontée à des conversions à l’église anglicane en échange d’un peu de soupe, des expulsions arbitraires et pour seul échappatoire l'émigration en Amérique. Sa mère et son frère sont morts. Ne restent que sa belle soeur et ses trois enfants, luttant contre le froid de l’hiver dans une chaumière délabrée. Lorsque sa famille subit une fois de plus les persécutions des autorités britanniques, Martin entame une croisade vengeresse contre ceux qui ont fait souffrir les siens. 

(© IFC Films - Black'47, Hugo Weaving, James Frecheville)

Le film se concentre donc sur ce scénario très “western” et en reprend les codes pour nous montrer toute la brutalité de cette période. Le choix de décor et de colorimétrie renvoie un Connemara gris, ténébreux et froid, presque noir et blanc, ou les taches de sang ne ressortent que plus vivement. Les seules issues possibles sont ailleurs : dans la mort ou dans le départ en Amérique, impression renforcée par la désolation ambiante. La musique, simple et efficace, confirme la nature de ce film : sans prétention et sans fioriture. Le film va droit au but, en s’inspirant de faits réels, n’offrant que peu de rebondissements. Justement, on peut reprocher au film son manichéisme certain, qui a bien sûr des justifications historiques mais qui rend le final quelque peu artificiel. Peu de surprises, peu de dialogues et beaucoup d’action : serait-on face à un “The Revenant” à l’irlandaise ?

(© IFC Films - Black'47, James Frecheville)

Les performances des acteurs font d’ailleurs beaucoup penser à ce film. James Frecheville en Martin Feeney est un ténébreux brun à la barbe rousse intériorisant la rancoeur et la haine des colons britanniques. Face à lui, Hugo Weaving offre une performance aussi mystérieuse : il joue un capitaine britannique déchu chargé de traquer le héros. Sa présence apporte de la nuance au scénario, même si j’avoue que parfois je ne comprenais pas un mot sortant de la bouche de ce policier. C’est aussi cela de voir les films en irlande : pas de sous titres, un vrai exercice de compréhension orale! Autres présences intéressantes au casting (n’incluant en tout et pour tout qu'une seule actrice, Sarah Greene en Ellie, la belle soeur du héros) : Stephen Rea, qui apporte une dose salutaire d’humour et représente la population irlandaise de l'époque, prête a tout pour survivre mais n'oubliant pas ses racines ; Freddie Fox, très statuesque, représentant au contraire la cruauté et l'intolérance des britanniques ; et enfin, Jim Broadbent (vu en professeur Slughorn dans Harry Potter) en détestable gouverneur. Le casting est solide et peut se vanter d'avoir des noms connus même en sa qualité de film à petit budget.

(© IFC Films - Black'47, James Frecheville)

Au final, nous sommes face à un morceau d’histoire, a un devoir de mémoire dans ce film. Il dépeint bien toute la gravité de cette effroyable époque, au cours de laquelle l’Irlande perd deux millions d’habitants. Il s’agit d’un moment clé dans l’histoire. L’Irlande est en effet l’un des seuls pays développés à avoir une population moins nombreuse aujourd’hui qu’en 1840. La gravité des événements rend presque obligatoire un film sérieux et sombre, ce que le réalisateur parvient à offrir. En revanche, on peut regretter l’aspect parfois “documentaire”, le scénario très simple et le manque de nuance dans certains personnages. Cela reste un film très intéressant à voir, une bonne introduction au riche passé de ce pays! 


Léa 



Pour aller plus loin sur la genèse du film et sur l’histoire derrière le film :


© IFC Films